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« La plupart des discours [contre le mariage homosexuel] sont tenus par des gens d’Eglise ou ceux qui en sont proches. Il est difficile pour eux d’aller à l’encontre des dogmes. » C’est par ces mots suffisants que débute la courte interview de Marie-Elisabeth Handman, maîtresse de conférence à l’EHESS, paru le lundi 15 octobre dans l’édition parisienne de 20 Minutes [1]. J’ai lu ces lignes atterrés ; non pas parce qu’on les voit diffusées dans tous les métros parisiens à heure de grande affluence [2], mais parce que les erreurs et raccourcis débités à ce sujet sont grossiers et en tout cas surprenants pour une personne de cette qualification. Nous nous proposons de les débouter en deux poncifs.
Penser que la réticence face à l’homosexualité et une lubie de monothéistes étriqués est une absurdité. Comme l’affirme le très-païen Platon dans Le Banquet, la nature a voulu que deux sexes complémentaires permettent, par leur union, la génération et l’enfantement [3]. Il ne parait donc pas outrageant de dire que l’attirance « hétérosexuelle » est d’ordre naturel. On éprouve de la peine à rappeler de telles évidences : toutes les civilisations de l’histoire se sont construites autour de cette idée. Les mythes, les religions, les légendes, les symboles, les institutions, les arts font tous référence à un imaginaire "hétérosexuel" – y compris, quoiqu’en pense Mme Handman, chez les peuples « non-monothéistes ». Zeus était l’époux d’Héra, Héphaïstos avait pour femme Aphrodite ; cette dernière garantissait la fécondité qui elle permettait de fonder un foyer - sur lequel devait veiller Hestia. Les exemples sont légion : Hélène fut ravie par Pâris, Pénélope fut la fidèle épouse d’Ulysse. Le mariage est toujours « hétérosexuel » dans les mythes, et jusque dans les confins du monde connu, comme à Massalia, où l’oikiste Protis est choisi comme époux par la fille du roi ligure, et permet ainsi à la ville de devenir grec. Platon affirme quant à lui que l’enfantement est sublime en ce qu’il donne à l’homme la possibilité d’être immortel [4]. L’homosexualité ne va donc pas à l’encontre de ce que la société monothéiste seule a construit, mais de ce que la nature a donné aux hommes comme moyen d’être et d’exister. Le passé millénaire des civilisations en témoigne. C’est pour cette raison que les catholiques défendent non pas une cérémonie religieuse, mais une institution qui trouve son fondement dans la société civile elle-même. Les catholiques ne veulent pas conserver un modèle religieux mais un ordre social, car le mariage produit la famille, qui est, avant l’individu, la cellule de base de la société [5].
Le mariage homosexuel contredit même le régime sous lequel nous vivons et dont on ne pourra pas reprocher le caractère « religieux », « monothéiste », « homophobe » ou que sais-je encore. En effet, la République française n’est pas seulement « laïque » : elle fondée sur un universalisme qui veut que la nation, souveraine, soit l’expression de tous ses citoyens. C’est une République "une et indivisible" qui ne reconnait aucun culte ni aucune communauté de quel nature qu’elle soit (religieuse, économique ou sexuelle). Rien ne doit, en principe, s’opposer et interférer entre le citoyen et l’Etat républicain ; aucune instance intermédiaire ni groupe de pression. Or la revendication homosexuelle pour la reconnaissance d’un mariage gay est une revendication communautaire. Si l’on transige sur ce point, il faudra reconnaître, comme l’a courageusement exprimé Mgr Barbarin [6], toutes sortes de revendications qui ne paraissent pas moins légitimes : pourquoi, à moins d’être islamophobe, refuser aux musulmans et musulmanes consentantes, en tant que communauté, la reconnaissance d’un mariage polygame, puisque le mariage monogame hétérosexuel est encore une norme restrictive pour eux ? Ce n’est pas à dire que le mariage homosexuel serait l’équivalent de la polygamie, mais simplement de dire que la revendication homosexuelle n’est pas plus légitime qu’une autre, et que la République n’a pas à contenter les uns ou les autres mais à maintenir un ordre sociétal.
Mme Handman nous apprend au cours de son interview que l’homosexualité ne saurait être une pratique « contre-nature » pour la raison suivante : « dans les sociétés non-monothéistes, on est beaucoup plus ouvert à cette possibilité de bisexualité. L’homosexualité n’était pas considérée comme une infamie chez les Grecs et les Romains dans l’Antiquité. » Poncif médiocre quoique répandu qui prend sa source dans l’idée que la paideia (παιδεία) grecque était une forme institutionnalisée et éducative de l’homosexualité entre deux hommes. C’est une grossière caricature car cette pratique concernait exclusivement un homme mûr (éraste) et un adolescent (éromène), et non pas deux hommes dont la relation érotique était regardée avec mépris. Paideia signifie « éducation d’enfant », apprentissage qui recouvrait aussi bien la musique que la grammaire. Cette pratique était en outre très codifiée socialement, et a peu à voir avec ce qu’on l’on considère aujourd’hui comme « l’homosexualité » : toute déviance était sévèrement condamnée. Il suffit de lire Platon qui, dans le Phèdre, vide cette institution des relations homosexuelles et demande que seule la séduction permette d’établir un lien entre l’éducation et la sexualité qui se trouve alors complètement dissociée de toute relation physique. Dans le discours central du dialogue, où la séduction joue un rôle essentiel pour permettre la remontée vers l’intelligible, le bon erastes qui doit mener sur cette voie son eromenos se trouve opposé au mauvais erastes qui s’abandonne au plaisir sexuel provoqué par l’orgasme évoqué en terme très crus :
« Aussi n’est-ce point avec vénération qu’il porte son regard vers cette direction ; au contraire, s’abandonnant au plaisir, il se met en devoir, à la façon d’une bête à quatre patte, de saillir, d’éjaculer, et, se laissant aller à la démesure, il ne craint ni ne rougit de poursuivre un plaisir contre nature (para phusin). »
On ne pourra pas accuser Platon d’être un affreux « monothéiste » homophobe, puisqu’ayant vécu à une époque où, selon Mme Handman, « l’homosexualité n’étais pas considérée comme une infamie ». L’argumentaire est donc biaisé : le relativisme historique ne prouve rien. Il ne suffit pas de dire que, l’homosexualité étant considéré comme normale dans l’Antiquité (ce qui est faux), il n’est pas raisonnable d’interdire le mariage homosexuel aujourd’hui. Dans ce cas, poussons le raisonnement jusqu’au bout et autorisons la polygamie puisque Socrate la pratiquait, ou même la pédophilie puisque dans le cas des Grecs, la paideia mettait nécessairement en relation un homme mûr et jeune éphèbe. Quant au « mariage homosexuel », il ne fut jamais autorisé dans aucune civilisation, et encore moins chez les Grecs pour qui le mariage était le prédicat de l’oikos, le foyer, élément constitutif du corps civique.
Et puisque la référence historique est de mise, il serait intéressant de préciser que l’homosexualité était encore classifiée dans le domaine des « perversions » par l’Organisation Mondiale de la Santé en 1990, en accord avec la pensée freudienne qui la considère comme un déséquilibre psychologique dû un échec dans le processus structurant de l’individu. Or il est évident que le lien entre psychologie et christianisme est ténue sinon inexistant ; il faut donc conclure que le christianisme n’a rien à voir avec l’homophobie, et qu’on ne peut prétendre invoquer l’histoire pour défendre la position homosexuelle… Qu’il s’agisse du mariage ou de l’homosexualité, on ne peut trouver une société historique qui ait produit un discours différent à son endroit. Certes, il a toujours existé des homosexuels dans les sociétés traditionnelles, mais l’équilibre sociale d’une société exigeait alors que ceux-ci vivent dans le mystère et la décence. C’est pourquoi, Mme Handman manque de nuance en ne distinguant pas le domaine légal du domaine social qui, chez les Grecs notamment, permettait de séparer la pratique homosexuelle réelle des institutions civiques, ces dernières ne devant faire cas que du Bien commun.
[1] Consultable en intégralité ici : http://www.20minutes.fr/article/1022326/idee-faut-lsquolsquoetre-vrai-mec-nourrit-homophobie
[2] On commence à comprendre que les médias « publics » ne sont pas franchement bienveillants à l’égard des catholiques et leurs convictions, entre les séries aussi stupides que mensongères sur France Télévision et autres traques médiatiques à l’encontre des propos épiscopaux.
[3] Quant à cette inflation lexicale des termes « bisexualité »et « homosexualité », on devrait peut-être rappeler que le mot même de « sexe » provient du verbe latin secernere, qui signifie « séparer », "différencier".
[4] « En effet, l’union de l’homme et de la femme permet l’enfantement, et il y a dans cet acte quelque chose de divin. Et voilà bien en quoi, chez l’être vivant mortel réside l’immortalité : dans la grossesse et dans la procréation. » Banquet 206c
[5] « La décomposition de l’humanité en individus proprement dits ne constitue qu’une analyse anarchique, autant irrationnelle qu’immorale, qui tend à dissoudre l’existence sociale au lieu de l’expliquer, puisqu’elle ne devient applicable que quand l’association cesse. Elle est aussi vicieuse en sociologie que le serait, en biologie, la décomposition chimique de l’individu lui-même en molécules irréductibles, dont la séparation n’a jamais lieu pendant la vie. A la vérité, quand l’état social se trouve profondément altéré, la dissolution pénètre jusqu’à la constitution domestique, comme on ne le voit que trop aujourd’hui. Mais, quoique ce soit là le plus grave de tous les symptômes anarchiques, on peut alors remarquer, d’une part, la disposition universelle à maintenir autant que possible les anciens liens domestiques, et, d’autre part, la tendance spontanée à former de nouvelles familles, plus homogènes et plus stables. Ces cas maladifs confirment donc eux-mêmes l’axiome élémentaire de la sociologie statique : la société humaine se compose de familles et non d’individus. » Auguste Comte, Système de politique positive, II, 180-1. Ce philosophe considérait le christianisme comme une religion d’arriérés appartenant au premier âge de l’humanité : « l’âge théologique ».
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