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Le Saint-Père nous demande d’accueillir les étrangers

À l’occasion du jubilé de la Miséricorde, au cours de la prière de l’angélus du 6 septembre, le Saint-Père a appelé « chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d’Europe » à accueillir une famille de réfugiés.

Conscients de la force de la parole pontificale, certains journalistes s’en emparent déjà, les uns pour l’instrumentaliser, les autres pour s’en indigner, mais aucun pour la recevoir telle qu’elle a été prononcée.

Pourtant, c’est aux catholiques que cette exhortation apostolique, glissée entre deux ave, s’adresse. Ce n’est pas un discours à l’adresse du Tiers-Monde, rappelant que l’accueil peut être réservé à ceux pour qui sécurité ou ressources vitales se dérobent [1], et que le premier droit est encore de ne pas immigrer ; ce n’est pas non plus un discours doctrinal et social, où il serait pertinent de souligner qu’il « appartient aux pouvoirs publics, qui ont la charge du bien commun, de déterminer la proportion de réfugiés ou d’immigrés que leurs pays peut accueillir, compte tenu de ses possibilités d’emploi et de ses perspectives de développement » [2] ; et c’est encore moins un discours politique comme celui de Lampedusa, où notre Souverain Pontife avait fustigé à plusieurs reprises « la mondialisation de l’indifférence » (c’est-à-dire la cause même de l’accroissement des flux migratoires).

C’est un appel à la miséricorde, tenu dans la capitale religieuse de cette Europe qui voit débarquer chez elle des centaines de milliers de réfugiés. Car, à temps et à contre-temps, il faut nous faire rappeler que l’accueil de l’étranger est une prescription évangélique. Qui ne le peut pas est encore trop humain, et qui ne le veut pas n’est déjà plus chrétien.

Addendum du 13 septembre 2015 : Dans un entretien avec Laurent Delahousse sur France 2, Christine Lagarde, présidente du FMI, affirme que le pape l’a exhortée à créer les conditions permettant à chacun de vivre où il est. Selon notre état, simple chrétien ou responsable politique, notre devoir n’est pas le même : suivre l’évangile ou assurer le bien commun. Mais que ce soit sur la place Saint-Pierre pendant l’angélus ou dans un salon feutré pendant une réunion du FMI, le pape a rappelé chacun à son devoir : l’un ne pouvant aller sans l’autre.

Ce n’est pas faute d’avoir dénoncé les causes mêmes de cet exode massif. Mais si nous ne pouvons ni arrêter les guerres ni rebâtir les frontières aujourd’hui, du moins accepterons nous joyeusement les conséquences des péchés de ceux qui nous dirigent. Cela fait deux mille ans que nous gardons le monde, nous pourrons bien veiller quelques mois de plus. Puisse cette pénitence propitiatoire être le salut de nos responsables, le foyer des réfugiés, et l’indulgence de l’Europe. Qui sait, peut-être serons visités des anges ? [3]

Au demeurant, l’indulgence de l’Europe n’est pas au prix de la subsistance de celle-ci. Devons-nous déshabiller Pierre pour habiller Mouloud ? Le plus le petit des nôtres n’est pas plus grand que le plus petit des leurs. Pouvons-nous leur donner ce que nous sommes, en sus de ce que nous avons ? Penser les rendre Français par un coup de tampon est une illusion, et pire, une duperie. La distribution d’allocations n’est qu’une lésinerie complice, et la braderie de notre nationalité, une trahison mensongère. Si l’administration se contentait de soutenir les paroisses et de distribuer des visas (quand bien même ils seraient longs, voire héréditaires), combien de nos problèmes seraient résolus ? Alors, quand un évêque, serait-ce celui de Rome, nous demande d’accueillir les étrangers, il ne nous engage pas à livrer papiers et « allocs » à la chaîne, mais à offrir droits et toits à notre prochain. Et aucun de nos textes les plus sacrés reprochent aux Égyptiens [4] de n’avoir pas donné de prestations sociales ou la nationalité égyptienne au Fils de Dieu Lui-même [5].

Le discours pontifical, pour être sémiotiquement semblable à celui de nos hommes politiques, n’en demeure pas moins sémantiquement différent, aussi différent que l’étranger qui est sur le pas de votre porte l’est de celui qui n’y est pas, aussi différent que l’ouverture d’une porte l’est de la destruction d’un mur. Ce n’est tout de même pas sa faute si les mots de Notre Seigneur ont été pillés par ceux qui nous gouvernent. Les « gestes concrets » que réclame le Saint-Père s’adressent à l’étranger qui est déjà en face de nous, en détresse, au prochain dans lequel le Christ se cache [6]. Cette présence hic et nunc n’est pas le prolongement de leur « charité » rhétorique et distante, mais son exact contraire. Ils détruisent les murs de nos frontières pour les étrangers qui sont encore là-bas, nous proposons les murs de nos paroisses à ceux qui sont déjà ici.

Il ne faut donc pas comprendre : « ouvrez grand vos frontières tant que vous en avez ; accueillez les réfugiés, migrants économiques, et terroristes islamistes comme ils se présentent ; laisser l’Europe se transformer et s’adapter ; brûlez Le camp des Saints et vos drapeaux marqués d’un Cœur Sacré ». Où le pape a-t-il prononcé ces mots ? « L’étranger » biblique n’est ni un clandestin, ni un migrant ; vous ne le trouverez pas dans les catégories inventées par les journalistes ni même aux frontières si mal gardées de nos États : il est l’homme qui vient toquer à la porte de votre église car il cherche un logement pour sa famille, des cours de français pour son adaptation, ou de l’aide pour ses formalités administratives.

Nous pouvons actuellement souhaiter que la politique migratoire des États soit plus dure pour ce qu’elle a de doux, en distribuant des visas plutôt que des papiers, en recevant avec discernement, en étant ferme aux frontières ; et plus douce pour ce qu’elle a de dur, en traitant avec dignité ceux qui ont fui la mort. Toutefois, quelles que soient les décisions de nos responsables, les paroisses rempliront l’office qui leur a été confié tant qu’elles auront des paroissiens qui s’y dévoueront. [7] Le monde peut bien tourner, une paroisse est une source vive : de l’impureté de celui qui y boit jusqu’à la prévarication de celui qui y sert, rien ne saura jamais la tarir.

Vous pouvez prolonger cette réflexion en lisant cet article proposant la création d’un statut de pérégrin : DE LA CRÉATION D’UN STATUT DE PÉRÉGRIN

Vous pouvez aussi lire d’autres avis en parcourant notre controverse sur l’immigration : VERS UNE DOCTRINE SUR L’IMMIGRATION


[2Commission pontificale Justice et Paix, dans l’Église face au racisme, le 3 novembre 1988

[3HÉBREUX I, 13

[4Envers lesquels l’Exode n’est pourtant pas tendre.

[5La sainte Famille émigra en Égypte pour fuir la persécution d’Hérode avant de revenir en Galilée.

[6MATTHIEU XXV, 34-40

[7Les paroisses ont toujours besoin de bénévoles pour trouver des logements, assurer des cours, tenir un vestiaire, garantir une écoute : proposez-vous.

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