L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Quelques uns des 250 gardés à vue de la nuit des Invalides témoignent.
Témoignage de Carol Ardent :
Toutes mises à tabac cessantes, un voyou sans brassard me fit comprendre d’une violente clef de bras - il n’utilisa pas sa matraque sur un homme qui eût pu être un journaliste - que les photographes n’étaient pas bienvenus en ces lieux de répression. Le rapport de force étant inégal, je le pressais donc de m’indiquer la sortie : avec toutes les manières qui distinguent ces aigrefins assermentés, il m’indiqua la rue de l’Université (côté occidental).
Une fois sur place, des CRS renvoyèrent la balle à d’autres CRS, lesquels ne semblaient pas plus savoir que nous où se trouvait la sortie. Enfin, un truand plus gradé nous rassura : ils allaient nous faire sortir, mais nous devions nous mettre en ordre près d’un mur. Les 150 manifestants les plus gentils - c’est-à-dire ceux-là qui cherchaient à quitter une manifestation sans avoir même entendu une quelconque sommation, mais parce que les flics en civil s’acharnaient violemment sur eux - se retrouvaient donc parqués, persuadés que la crapule-en-uniforme leur disait vrai.
Cela ne l’était pas. Nous fûmes tous embarqués dans des camions. Nous assistâmes même à une scène surréaliste : un policier protesta contre les conditions inhumaines de notre embarquement et refusa d’y ajouter d’autres manifestants. Le commandant de police le menaça alors violemment de poursuites, en lui demandant son matricule. Il échappa aux coups en le lui donnant.
Rue de l’Evangile, au commissariat du XVIIIe, j’appris que nous étions d’ores et déjà considérés comme des nervis. Nous prîmes de nombreuses photographies pour rassurer nos mamans respectives sur nos fréquentations toute catholiques [2].
Vers 2h du matin, nous comprîmes que c’était la garde à vue qui nous attendait alors que nous espérions un simple contrôle d’identité, étant donné les capacités du commissariat du XVIIIe, déjà éprouvées par ceux qu’il est convenu d’appeler les « 67 ».
N’était l’acharnement éhonté du préfet de police de Manuel Valls, nous n’aurions jamais dû connaître la prison à nouveau.
Vers 5h du matin, je suis enfin fouillé. Centime après centime, les deux policiers relevèrent scrupuleusement tous mes effets personnels, du « collier fantastique en perles marrons » - le second policier, stupéfait par l’inculture religieuse de son coreligionnaire lui fit remarquer vertement qu’il s’agissait d’un chapelet - jusqu’au patch de nicotine caché dans ma chaussette gauche en prévision des longues heures qui m’attendaient. Je dus m’en séparer. Les yeux brûlants, je leur demandai l’autorisation d’enlever mes lentilles. Ils y accédèrent, mais ne m’autorisèrent pas à conserver le boitier, me condamnant à l’aveuglement pendant 18h.
Je tentais, tant bien que mal, de dormir quelques heures sur un bloc de béton. C’était peine perdue.
Vers 9h, des policiers me menottèrent pour m’acheminer vers un autre poste de police parisien. Il fallut qu’ils m’enfermassent avec des jeunes issus des minorités visibles - un noir, un arabe et un géorgien - plutôt qu’avec mon compagnon d’infortune, Matthieu, transféré en même temps que moi. La cellule était étroite ; mes voisins, peu accommodants : je me retrouvais donc assis contre un mur de béton pour le reste de ma garde à vue, entouré d’individus manifestement dangereux et que je distinguais à peine à cause de ma myopie, et à devoir supporter les menaces tribales de mort à la kalachnikov sur les policiers, la langue géorgienne agrémentée de quelques « fils de pute » bien français, les ricanements sordides, et le déchaînement de violence qui s’exerçait heureusement sur la porte plutôt que sur moi. Autant vous le dire, j’étais ravi de fréquenter la « richesse » de la France dans des conditions si propices à la rencontre et au partage autour de valeurs communes.
Après avoir fait quelques pompes, notre ami noir devint plus apprivoisable, et nous échangeâmes quelques mots bien surfaits sur les mauvaises conditions de détention dans ce beau pays de France. Le supporteur maghrébin du PSG s’insurgea même contre les violences policières en manifestation. Il alla jusqu’à me remercier : selon ses dires, les officiers de polices judiciaire l’aurait fait déferrer pour coups et blessures contre un vigile, s’ils n’avaient pas été débordés par les innocents des Invalides. Même l’ivrogne géorgien me fit part de toute son estime en utilisant des us certainement traditionnels de son pays [3] : il me tendit mon plat chaud avec déférence, en y mettant une part de lui-même : ses doigts imprégnés de toutes les substances qui peuvent sortir d’un homme, pures comme au premier jour, exemptes de tout savon ou autres inventions de l’homme occidental moderniste.
A 15h, on daigna me transférer à l’Hôtel-Dieu afin que je puisse visiter le médecin commis d’office. Les gaudrioles policières, aussi fines que je suis socialiste, me firent l’effet d’un grand rafraîchissement intellectuel, après les galimatias incompréhensibles et gris des mes cothurnes.
Ce n’est qu’à 17h, 18h après mon interpellation, que je rencontrai enfin mon avocat - qu’il soit ici remercié une fois de plus. A 17h30, nous étions fin prêts à déjouer les pièges de l’officier de police judiciaire qui cherchait à m’amadouer par d’amicales calembredaines. Embêté par mon premier rappel à la loi, je risquais fort la convocation au tribunal, mais l’officier attendait les ordres du commissariat de la rue de l’Évangile.
Si mon avocat n’avait pas rappelé en colère ce dernier, à 21h, ils ne m’auraient probablement pas sorti de ma cellule, où je chantais, désormais seul - autrement, je ne m’y serai pas risqué - l’hymne des lansquenets en boucle. L’agent de police policière était si peu habitué à rappeler à la loi des manifestants qu’il ne trouva pas les articles du code pénal motivant ma garde à vue. Ils durent se mettre à trois, reprendre leur ancien logiciel, avant de trouver au bout de trois quarts d’heure un motif qui les satisfaisait.
À 22h30, fourbu mais content, j’étais libre. Un comité d’accueil réuni par le R&N accompagna mon retour à la liberté !
N.B. : Je botte ainsi en touche les administrateurs de Nouvel Arbitre et de la Table Ronde, en portant à 10 les points GàV du R&N au « championnat inter-gazettes des violences policières arbitraires »™. Je suis désormais le journaliste le plus « connu » des services de police de France.
Témoignage de Ségolène Coudrais, 20 ans, 52 kilos qu’elle utilisera lorsqu’elle portera plainte :
J’étais en première ligne et à un moment donné j’ai souri en les voyant qui s’excitaient tous seuls. Un d’eux, en me voyant, m’a attrapée par la capuche en me projetant la tête contre le sol tout en me criant : « ça te fait rire, ça te fait rire ?! » puis j’ai senti ma tête vibrer. Il m’avait donné un gros coup de genou en plein crâne. J’ai entendu tout le monde qui se mettait à crier, et un gendarme a attrapé le flic en civil en nous disant qu’il serait fiché. Ensuite, alors qu’un drapeau français était par terre, un des nôtres s’est levé pour le ramasser quand on lui a ordonné de se remettre à sa place. Comme tout le monde hurlait à la vue de ce drapeau que nous n’avions même pas le droit de ramasser et qui était foulé aux pieds d’un CRS (ou gendarme, je ne sais plus), un gendarme a fini par le récupérer et nous le rendre.
Les CRS nous ont ensuite emmené gentiment mais arbitrairement jusqu’au panier à salade où nous avons été conduit au commissariat du 18e. L’ambiance était détendue, les CRS riaient avec nous, nous donnaient des conseils pour la prochaine fois que ça nous arriverait ou pour les gazages…
Quand il y a eu mon procès-verbal, j’ai demandé un médecin pour le coup que j’avais reçu, sachant que j’ai eu un traumatisme crânien il y a un an et demi et que j’avais mal à la tête. Je n’ai rien signé parce-que l’on ne me l’a pas demandé et j’ai vu le lendemain sur le procès-verbal qu’il était inscrit « refus de signer ».
Entre 6 et 8heures du matin, j’ai été appelée pour la fouille où on m’a tout retiré puis j’ai été mise dans une cellule avec quelques autres filles de la Manif où nous avons passé la nuit, toujours dans le même commissariat.
Le lendemain, lundi 27, vers 11h, après une deuxième fouille, nous avons été menottées puis dispersées dans d’autres commissariats. Les CRS dans la voiture qui nous emmenait, riaient de nous voir traitées comme des délinquantes alors que nous n’avions rien fait. Ils trouvaient absolument ridicule le motif de notre interpellation. J’ai donc été emmenée au commissariat de Boulogne-Billancourt, seule manifestante. Ma cellule était dans l’entrée et les portes étaient vitrées, aussi je voyais et j’entendais tout ce qui se passait notamment les réflexions au sujet de la manifestation et de nous, casseurs et extrémistes.
L’officier de Police Judiciaire a reçu ma déposition entre midi et deux. La femme m’a demandé de raconter ce qui s’était passé, me soutirant des informations, en affirmant que c’était obligatoire. Comme si savoir le montant de mon loyer (que je n’ai pas voulu lui donner, lui disant que je ne le connaissais pas. Elle m’a alors dis de façon dédaigneuse que je devais être bien riche pour ne pas le savoir.), la profession de mes parents ou le nom de jeune fille de ma mère étaient obligatoires pour rédiger une déposition. Par ses remarques désobligeantes et son comportement accusateur me traitant comme la dernière des pestiférées, cette dernière a abusé de son pouvoir dans le seul but de me faire avouer des choses que je n’avais pas commises afin de m’accuser.
Lorsque j’étais dans ma cellule, je dormais à demi quand j’ai entendu un homme, j’ai cru reconnaitre un officier, qui pestait en disant que je n’aurai pas d’avocat puisque je ne l’avais pas demandé la veille, lors du procès-verbal. Or, je savais qu’un procès-verbal pouvait être modifié, et qu’il n’avait pas le droit de me refuser un avocat. Lors de ma déposition, j’en ai donc demandé un qu’ils ont appelé. Néanmoins, ils m’ont affirmé qu’il ne servirait à rien, et qu’il ne venait que pour vérifier que j’aille bien et que j’avais été bien nourri. Un avocat ne ferait que trainer ma sortie de garde à vue. Je les ai cru et ne l’ai pas fait venir.
Je souhaitais toujours voir un médecin car je n’en avais pas vu entre temps. Dans l’après-midi, un homme est venu me chercher, m’a donné des dolipranes et paraissait plus ou moins au courant de ce qui s’était passé au sujet de mon crâne. J’ai cru comprendre à la fin qu’il était médecin mais il ne s’est pas inquiété de mon cas, et n’a rempli aucun certificat prouvant que je l’avais vu.
J’ai ensuite été fichée, et le policier qui s’occupait de moi me disait bien qu’il trouvait ces comportements envers nous scandaleux, alors que le Gouvernement n’avait rien fait pour le PSG. Cependant il n’osait pas trop parler quand son supérieur était là.
Dans l’ensemble, les hommes étaient plus ou moins conciliants envers moi, même s’ils suivaient la procédure au doigt et à l’œil, allant jusqu’à me menotter sur le banc dans l’entrée, au cas où je m’enfuirai. En revanche les femmes l’étaient moins et se permettaient des réflexions désobligeantes comme celle qu’une policière m’a faite lorsqu’elle a su que j’avais été emmenée suite à la manifestation : « J’espère que vous allez rester le plus longtemps possible alors ! ». Une seule avait l’air gentille et a ri en me voyant, en demandant si c’était bien « ça le casseur » parce-que je n’en avais pas franchement l’air.
Après avoir attendu toute l’après-midi que le Procureur donne une réponse sur ma sentence, j’ai été relâchée à 19h, avec un Rappel à la Loi, et après une garde à vue de 19h et 45minutes.
Ségolène Coudrais, 20 ans, 52 kilos.
Témoignage de la factieuse blonde agressant violemment les CRS dans la vidéo ci-dessous :
Témoignage de Breizhette, photographe du R&N :
C’est à ce moment là que les choses commencent à devenir intrigantes. Alors qu’Ardent et moi-même nous apprêtions à partir, nous sommes bloqués par des CRS nous affirmant que la sortie était rue de l’Université. Et c’est en nous retournant que nous les voyons vu. Un groupe d’une vingtaine de flics en civils, matraqués, armés de bombes a gaz lacrymogènes, scandant des « on rentre dans le tas ». Ils sont bientôt rejoints par un deuxième groupe, puis un troisième. Lorsque le quatrième arrive, l’assaut est lancé. Les échauffourées débutent. Un jeune homme se fait matraquer et plaquer par terre par 5 policiers, devant nous. La raison : avoir répondu à un flic en civil qu’ils ne faisaient pas leur travail. Nous nous dirigeons vers la fameuse rue de l’Université, mais sommes bloqués par des CRS qui nous interdisent formellement de quitter les lieux. Nous nous retrouvons en 2 minutes poussés par des policiers en civils vociférant des « ta gueule, ferme ta gueule », « dégage », « mets toi la j’te dit et bouge plus ». Résultat nous sommes tous coincés sur un mètre de trottoir, avec devant nous les molosses de l’Intérieur et aux cotés les CRS. C’est à cet instant que je le vois : il a entre 15 et 16 ans, l’air hagard et surtout une trainée de sang depuis le haut du front jusqu’au menton. Je lui demande si je peux prendre sa photo, il me dit oui. Puis nous sommes séparés.
Réunis sous l’oeil alerte des CRS surveillant de dangereux criminels ennemis de la République, les interpellations commencent. Nous ignorons s’il s’agit de contrôle d’identité ou de GAV. Les paniers arrivent et nous y sommes conduits au compte-goutte. Séparées des garçons pour les fouilles, je me retrouve en face d’une flic en civil aimable comme une porte de prison qui vérifie si je ne transporte pas un pistolet ou une kalachnikov dans mon sac (parce que évidement comme tous ceux qui ont été arrêtés j’ai une tête de terroriste).
Le panier à salade est d’humeur joyeuse, les chants traditionnels fusent en polyphonie alors que les autocollants de la manif du 26 mai redécorent peu à peu notre véhicule. Arrivés rue de l’Evangile, nous sommes parqués comme des bêtes dans un enclos sous l’étroite surveillance de nos geôliers. Commence alors une longue attente, nous ne savons pas encore qu’il ne s’agit pas d’un simple contrôle d’identité. Je rentre vers 2h30 du matin dans l’établissement, et les procédures de GAV débutent.
L’ancien CRS qui m’interroge me déconseille de prendre médecin et avocat. Je suis conduite dans un couloir d’un mètre de large où certains de mes compagnons d’infortune attendent déjà depuis plus de deux heures. Nous sommes entassés la, sans eau ni nourriture, assis par terre dans la poussière du commissariat. Certains s’en vont par groupe au fur et à mesure : ils seront envoyés vers d’autres commissariats dans tout Paris, faute de place. Lorsque je suis enfin appelée, il est 5h30 du matin, le jour se lève. Je suis conduite au commissariat du 6e. Dans la voiture, les policiers m’avouent leur honte face ce qu’ils sont obligés de faire, et critiquent ouvertement Valls et le gouvernement Hollande. Et lorsque je leur demande pourquoi certains jeunes ont des menottes, ils m’expliquent que c’est leurs collègues qui profitent de la situation pour faire du zèle.
Lorsque nous arrivons, je suis rejointe par deux autres jeunes filles. Nous attendons 45 minutes dans l’entrée d’un commissariat sale et miteux, puis sommes fouillées. Par chance, j’avais réussi à camoufler la carte mémoire de mon appareil dans ma chaussette. Privées de nos effets personnels, nous sommes toutes les 3 conduites dans une petite cellule immonde, renfermant probablement toutes les maladies de la terre, avec une couchette sale et des toilettes à la turque aux conditions sanitaires plus que douteuses. Les heures passent. X et Y, mes camarades de cellule, partent tour à tour en audience. Nous recevons un « petit déjeuner » royal composé de 2 biscuits secs et d’une pauvre barquette de jus d’orange. Lorsque je pars pour mon audition, je tombe sur un Officier de Police Judiciaire suffisante et dédaigneuse : me toisant, elle m’explique la situation et me dit que si je le souhaite je peux prendre un avocat, mais me le déconseille fortement. Je lui dit que oui, mais elle essaye à nouveau de m’en dissuader, m’affirmant que les commis d’office prendraient un temps fou à se déplacer. Je lui donne alors le numéro d’un avocat, elle le note mais rechigne. Puis l’enfermement recommence, dans le froid, sans eau, pendant des heures. Lorsque je suis rappelée à 12h30, l’OPJ m’annonce que je ne sortirais probablement pas avant la fin de ma GAV, soit 23h, puisque j’ai demandé un avocat. Mes camarades, en revanche, sortiront très bientôt, et c’est tant pis pour moi. Finalement mon avocat arrive et ensemble nous parlons longtemps de la procédure. Il me confirme que les OPJ tentent de nous convaincre de ne pas prendre d’avocat ou de médecin. Bilan : nous sortons tous à 15h30, avec un rappel à la loi.
Notez bien ceci : les CRS, gendarmes, policiers ou OPJ ne sont pas vos amis. Ils essayerons de vous plomber, tant psychologiquement que physiquement. Lors de l’audition d’Y, 19 ans, les 5 OPJ présents se sont acharnés sur elle, la critiquant, accusant ses convictions, l’injuriant limite. Ils tenteront de vous dissuader de prendre un avocat : faites-le. Ils s’évertueront à vous blâmer et à vous rendre coupable pour des actes que finalement vous n’avez pas commis.
Dans le contexte actuel, nous ne pouvons plus nous défendre seuls, nous avons besoin d’avocats, de juristes encore intègres pouvant se battre pour notre cause, mais surtout pour nous-mêmes.
[1] Nous en vîmes plusieurs se faire tabasser par des flics en civil, et non des manifestants comme ils le prétendraient plus tard.
[3] Que les rédacteurs d’origine géorgienne de notre gazette, Samengrelo et Ascalon, ne s’offensent pas de ces généralités rhétoriques : j’ai sacrifié honteusement l’amitié à l’humour pour un instant.
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