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La cause est entendue : assise sur des siècles d’exploitation inique du peuple, de lutte pour conserver le pouvoir, d’oppression de la différence sociale et culturelle, la monarchie anglaise est évidemment, en plus de tout cela, un microcosme qui respire le racisme. D’obscurs cousins éloignés de la reine, recuits dans leur haine de tout ce qui n’est pas la vieille Europe (certains de ses proches ne s’étaient-ils pas distingués comme des soutiens d’Hitler voilà près d’un siècle ?), ont à plusieurs reprises attaqué la duchesse de Sussex dans les couloirs de Buckingham pendant sa grossesse, au sujet de la couleur de peau de l’enfant à naître. Ainsi a-t-il été dit devant sainte Oprah, matriarche bienveillante du monde des confessions télégéniques ; ainsi enseignera-t-on ce moment marquant de notre sombre époque à nos enfants pour les générations à venir.
C’est de fait le message que la culture post-moderne américaine entend faire passer alors que le torchon brûle entre le Sussex et Westminster : dans la longue et linéaire lutte contre le progrès, la monarchie anglaise, ancien tyran colonial, n’a pu être tolérée comme vitrine privée de tout pouvoir que parce que des paysans arriérés y étaient sentimentalement attachés au fin fond du Yorkshire. Il n’est plus que de révéler toujours plus les turpitudes morales de cette institution d’un autre temps pour finir de détacher d’elle ses soutiens indécrottables, et l’avènement de la démocratie transparente sera complet. Avec à sa tête, n’en doutons pas, Oprah Winfrey. Les chiffres de l’opinion britannique [1] sur ce conflit royal le démontrent : si l’immense majorité de la population semble peu sensible aux lamentations fort bien rémunérées du duc et de la duchesse, et que le soutien à la Reine jouit d’une majorité relative, la jeunesse suit la tendance inverse, et prend d’une courte tête parti pour leurs altesses californiennes. Le Labour, qui n’a plus rien d’un parti ouvrier, et est désormais le camp des classes urbains post-modernes, fait de même. Le monde nouveau se débarrasse peu à peu de son arriération inégalitaire. Peu importe que le patrimoine de la reine ne soit qu’une fraction de celui d’Oprah Winfrey, sans parler de celui des géants d’internet avec qui le petit-fils prodigue et sa femme ont signé de juteux contrats d’édition.
Mais de racisme, puisque c’est de cela qu’il est question cette fois-ci, disons un mot. Dans son style habituel, c’est-à-dire compatissant et mielleux, Oprah Winfrey n’a pas une seule seconde remis en question l’affirmation de Meghan Markle, même lorsque son benêt de mari a atténué la charge en évoquant non plus « des » mais « une » remarque sur la teinte de son fils. Est-on sommé de croire que, si ces mots ont bien été prononcés, ils n’ont pu être motivés que par du racisme ? Ne peut-il pas y avoir là que de l’intérêt pour le résultat d’une union encore inédite au sein de l’entourage de la reine ? Les éléments à chargé de « la famille royale » sont bien minces dans cette affaire, et même Harry, qui semble moins déterminé que son épouse à mener la charge contre tout ce qu’il a quitté, se dépêche de préciser que la remarque cent-fois coupable ne vient pas de la reine ni du prince Philippe.
Et de fait, comment peut-on croire sérieusement au récit qui est fait de l’hostilité générale de la famille royale d’Angleterre à Meghan Markle ? C’est oublier un peu vite que, bien au contraire, la cérémonie du mariage célébrée en 2018 fut à peu près l’inverse d’un écrasement de l’étrangère métisse sous le poids des traditions d’une famille fermée à toute altérité. Le prédicateur était un Afro-Américain venu de Chicago qui cita Martin Luther King ; le violoncelliste qui accompagna la cérémonie était un jeune métisse britannique (repéré dans un télé-crochet, pour ne rien enlever au kitsch médiatique qui entoure la personnalité de la duchesse de Sussex) ; un gospel fut chanté par un chœur intégralement composé de noirs. Quant aux invités, ils étaient nombreux à venir du monde militant que la jeune mariée fréquentait depuis longtemps. Voilà pour la « suprématie blanche » qui règne à Buckingham. Prétendra-t-on un instant que la suite n’a été qu’une « vengeance » d’une vieille reine raciste ? Si elle est capable d’infliger l’échec et mat d’il y a un an aux rebelles, n’était-elle pas capable de régler les détails de la cérémonie à son propre goût, si l’identité noire lui déplaisait tant ?
Il y a quelque chose de grotesque dans les égosillements du camp de la « justice sociale » à ce sujet. Il y a trois ans, toute la planète militante s’extasiait bruyamment de ce que le mariage était le symbole de l’entrée de la diversité multiculturelle dans la famille royale, un des derniers coups portés au fond de tradition qui restait encore dans la vieille Europe. Aujourd’hui, au gré de l’évolution de l’actualité, on crie à l’ostracisme, aux mauvais traitements infligés à sa petite personne. Meghan Markle est-elle une battante victorieuse, qui porte la bonne parole antiraciste jusque dans les terres les plus reculées du vieux monde, ou une faible femme pleine de « pensées suicidaires » que les vampires de Buckingham ont tôt fait de vider de ses forces ? Il faudrait savoir. Comme souvent, le camp de la Justice Sociale ne sait pas. Il déverse sur vos écrans le récit qui convient dans le feu de l’action pour galvaniser les troupes et charger de crimes toujours nouveaux ce qui reste encore debout de tradition.
Illustration ©CBS
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