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La Pologne : crise latente ou amorce d’un renouveau démographique ? 2e partie

II Démographie morose et avenir incertain (1990 à nos jours)

A partir de la seconde moitié des années 1980, la croissance démographique polonaise de la Pologne diminue fortement, jusqu’à devenir quasiment nulle en 1996-1997, date à laquelle la Pologne atteint son apogée démographique de 38,5 millions d’habitants. En une dizaine d’années, la Pologne n’a augmenté sa population que de 2%, soit 0,2% par an. À partir de la fin des années 1990, la Pologne entre en déprise démographique, baisse de sa population qui se fait de manière lente et irrégulière jusqu’à aujourd’hui.

A. Une chute de la natalité plus tardive

Il convient cependant de cerner d’emblée ce qui fait l’originalité de la Pologne en matière démographique, par rapport à la grande majorité des situations démographiques d’Europe centrale et orientale : d’une part un décalage de la disparition du solde naturel positif, qui n’intervient que dans la seconde moitié des années 1990, alors que la majorité des pays de l’ancien bloc soviétique perdent leur excédent naturel dans une période comprise entre 1985 et 1992, ce qui montre la primauté du facteur politique qu’a été la disparition de l’URSS et la désintégration du bloc communiste. D’autre part, contrairement aux autres pays, la disparition du solde naturel positif n’entraîne pas une solde naturel négatif structurel important, mais plutôt une légère tendance à la baisse de la population polonaise. Ainsi, depuis 1996-1997, soit depuis vingt ans, la Pologne n’a perdu officiellement qu’environ 500 000 habitants, soit à peine plus de 1% de sa population, cette dernière s’établissant aujourd’hui, selon les décomptes officiels, à 38 millions.

Les courbes ci-dessus montrent bien la chute de la natalité depuis 1986, chute continue jusqu’en 2002-2003, conduisant à une situation de stagnation démographique ponctuée de légers soldes naturels positifs (2007-2011) ou de légers soldes naturels négatifs (2002-2005 et 2011-2016). La légère amélioration constatée de part et d’autre des années 2010 (et donc au plus fort de la crise économique, même si la Pologne a été bien moins frappée que le reste de l’Europe) montre bien encore une fois que le lien entre démographie et fluctuations économiques n’a rien d’évident, sauf crise spectaculaire. Elle s’explique par la réplique démographique du petit baby-boom du début des années 1980 avec l’arrivée de ces classes d’âge à l’âge de nuptialité. On s’intéressera dans la sous-partie suivante aux causes, très nombreuses, de la morosité démographique polonaise, qui sont en partie spécifiques à la Pologne et en partie communes aux autres pays de la zone, voire à l’Europe toute entière.

B. Une pluralité de causes

Le lent déclin démographique polonais peut s’expliquer par une série de chocs, politiques, socio-culturels et économiques, voire culturels, qui ébranlent la société polonaise depuis la fin des années 1980, chocs dont les effets tiennent plus du nombre que de l’intensité, la transition polonaise du capitalisme au communisme n’ayant pas été la plus rude des pays de l’ancien bloc soviétique.
La cause première de la plongée de la natalité observée depuis la fin des années 1980 est donc classique. Avec les premières réformes de Gorbatchev, les pourparlers interminables entre l’opposition démocratique et le régime en Pologne, la société polonaise entre dans un âge d’incertitudes. Le caractère rétif de la grande majorité des Polonais face au régime socialiste n’a pas empêché la majorité d’entre eux à s’habituer en un certain sens à la vie encadrée et sans imprévu (normalement) dans un régime communiste. Avec la Transition, à la fois politique et économique, de la Pologne du communisme au capitalisme dès 1989, la société polonaise subit une transition en douceur d’un point de vue politique (ce qui a permis à de nombreux criminels communistes de ne pas être jugés jusqu’à aujourd’hui), mais un véritable traumatisme d’un point de vue socio-économique. En 1990 est mise en place une « thérapie de choc », le Plan Balcerowicz, d’inspiration néolibérale, dont le but est de faire passer le plus rapidement possible la Pologne d’une économie planifiée à une économie capitaliste très libérale. En l’espace de quelques mois, des pans entiers du secteur étatique sont liquidés, notamment les exploitations agricoles d’État (les sovkhozes polonais), tandis que nombre de grands combinats industriels sont vendus sur le marché, à des prix défiants toute concurrence, souvent à des entreprises étrangères dont le premier souci est de se débarrasser de la main-d’œuvre inutile pour rentabiliser au maximum l’investissement. Cela provoque une explosion du chômage, qui n’est en fait en partie que la mise à jour du chômage caché de l’économie communiste polonaise. Le taux de chômage grimpe rapidement à près de 20%, et il devient structurel, se maintenant à ce taux jusqu’au début des années 2000. Si le plan a eu sur le long terme des effets positifs sur l’économie polonaise, expliquant une partie de son dynamisme actuel, les résultats ont été assez largement négatifs pour la société polonaise, provoquant l’appauvrissement de pans entiers de la population, laissés pour compte de la croissance polonaise et fournissant une partie de l’électorat actuel du PIS. En outre, un tel chômage n’a pu qu’avoir des répercussions négatives sur la vitalité démographique nationale.
La deuxième cause, inhérente à ces transformations socio-économiques, est le bouleversement politique de la Pologne, et surtout les implications psychologiques de ces mutations. L’entrée dans la démocratie libérale, et notamment dans une phase particulièrement instable comme l’a été la vie politique polonaise entre 1989 et 1997, n’a pu que rejaillir sur le comportement démographique des Polonais. Entre 1989, date du début des réformes politiques, et 1997, le vote de la Constitution définitive de la IIIe République polonaise, les Polonais ont connu pas moins de cinq vagues d’élections générales, et pas moins de sept gouvernements. Cette instabilité politique, relative mais nouvelle dans un pays finalement peu habitué, par son histoire, au jeu démocratique, ainsi que l’absence de lisibilité sur l’avenir politique du pays, ont eu très certainement un impact tout aussi négatif sur la fécondité polonaise.
Cette instabilité politique s’accompagne d’une absence de politiques d’accompagnement pour faciliter la vie des familles. Il est saisissant de voir que la politique familiale, à une exception près (de taille), est la grande absente des politiques menées à partir des années 1990. Il en a été ainsi tout d’abord parce que la situation démographique n’a pas été perçue comme préoccupante pendant longtemps, et qu’elle n’était pas sur la liste des priorités, l’ampleur de la démocratisation accaparant l’essentiel des forces des gouvernements successifs. Surtout, il y a eu un manque de volonté politique, notamment avec le retour au pouvoir des post-communistes à partir de 1993. Le parti social-démocrate, bâti sur les ruines du parti communiste polonais, opère un virage socio-économique à 180 degrés et adopte une doxa assez libérale, même pour la droite, se désintéressant entièrement de la politique familiale (mis à part quelques mesurettes ponctuelles). Il gouverne jusqu’en 2005. De 2007 à 2015, la Plate-forme civique, parti libéral au pouvoir poursuit dans cette lignée, de sorte que l’absence de volonté politique d’aider les familles polonaises (absence totale d’allocations familiales) explique également la mauvaise santé de la démographie polonaise, presque totalement absente des politiques gouvernementales de 1990 à 2015.
Un événement important aurait pu jouer en faveur de la bonne santé de la démographie polonaise. Après des débats tumultueux, l’usage de l’avortement est restreint par la loi du 7 janvier 1993, limitant la tolérance de cet acte à trois cas : danger de vie pour la mère, viol, pathologies graves de l’embryon. Depuis cette date, le nombre d’avortements officiels en Pologne est très restreint, de quelques centaines à 2-3000 par an, ce qui est peu mais non négligeable. Néanmoins, cette loi n’a eu aucun effet bénéfique sur la démographie polonaise, d’une part à cause de l’ampleur des phénomènes précédemment évoqués, d’autre part parce qu’elle est constamment contournée. On estime ainsi à 50-100 000 le nombre d’avortements clandestins pratiqués chaque année en Pologne. Le cas polonais est ici très intéressant, et on peut en retirer de nombreuses leçons au cas où, fait malheureusement improbable dans l’immédiat, on en viendrait à abolir la Loi Veil en France. En effet, la question de l’abolition totale de l’avortement n’est pas qu’une question juridique : elle suppose la mise en place d’une politique plus large et bien plus ambitieuse. Interdire l’avortement ou tout du moins le restreindre dans des cas très spécifiques est nécessaire mais pas suffisant : il est encore nécessaire de s’assurer que la loi va être bien respectée. Ce qui n’est d’évidence pas le cas en Pologne. Avec la mise en place de la démocratie libérale, le recul du contrôle de l’État sur le citoyen, les avortements clandestins se sont multipliés, phénomène que l’on peut plus facilement combattre dans un État autoritaire. En outre, avec l’ouverture des frontières, l’intégration européenne croissante, le « tourisme médical » se développe de plus en plus Pologne, notamment après 2007 et l’entrée dans l’espace Schengen. Pour les Polonaises les plus fortunées, ou celles habitant les régions frontalières, et qui ne trouveraient pas de possibilité d’avorter en Pologne, rien de plus facile que de prendre le train ou l’avion pour se rendre dans les pays frontaliers où l’avortement est partout légal. Le cas polonais montre ainsi que ce n’est pas l’interdiction de l’avortement qui est difficile, c’est le fait de faire respecter l’interdiction. Cela suppose d’avoir d’une part un plus grand contrôle étatique de la population, et un plus grand contrôle de ses frontières, ce qui d’évidence ne peut être fait, ni dans le cadre d’une démocratie libérale dont l’idéologie de culture de mort au mieux fermerait les yeux sur l’avortement clandestin, au pire voudrait remettre en cause la loi de 1993, ni dans le cadre d’une Union européenne dont le fondement est entre autres la libre circulation des personnes.
Cette question de l’absence d’impact positif de l’interdiction de l’avortement sur la démographie met en avant une autre cause de la démographie en berne de la Pologne : celui des progrès, même dans ce bastion du catholicisme, de la culture de mort, avec les progrès des modes de vie occidentaux et la relative, mais réelle, sécularisation de la société polonaise depuis la chute du communisme dans ce pays. L’alliance tacite passée entre le peuple polonais et l’Église catholique, cette dernière étant à la fois porte-parole des revendications du peuple face au pouvoir et médiatrice dans les conflits entre le peuple et le pouvoir au temps du communisme, prend fin à la chute du régime. Ou plutôt, si elle ne prend pas fin, du moins est-elle questionnée, remise en question, réinterprétée. Les débats sur la loi de l’avortement en 1993 révèlent au grand jour la fracture entre une partie des pratiquants catholiques polonais, plus largement une partie plus progressiste de la société polonaise, et la partie plus traditionnelle. Le fait est que, dans un monde qui change, sans adversaire clairement établi comme au temps du communisme, l’Église polonaise a eu peine à trouver sa place, de sorte que sa prééminence morale a été partiellement remise en question. C’est toujours une Église massive, mais en près de trente ans de régime démocratique, la pratique religieuse est passée de plus de 60% de la population dans les années 1980, apogée de la pratique religieuse en Pologne depuis la guerre, à environ 40%. Le constat est sans appel : près d’un tiers de pratiquants polonais ont quitté l’Église, par mort naturelle ou par désaffection. Si le catéchisme est encore bien enseigné en Pologne, et la foi propre de quelques scories modernistes, le discours de l’Église, notamment sur le rapport à la vie et à la procréation, est moins écouté que par le passé. Les modes de vie se sont ici quelque peu occidentalisés, notamment auprès des plus jeunes qui n’ont pas connu l’époque du communisme, avec une véritable fracture générationnelle pour les jeunes nés après le milieu des années 1990. Les changements politiques, économiques et sociaux finissent par déteindre sur le culturel, et les nouvelles générations sont plus réceptives aux sirènes de l’Occident, étant plus libérales, individualistes et matérialistes que leurs aînées. De fait, la culture de mort s’immisce lentement, tel un venin, d’autant que contrairement à l’époque communiste, la contraception a été introduite massivement, ce qui ne relève pas le taux de natalité. En définitive, on peut parler d’une sécularisation partielle des modes de vie, notamment chez les jeunes générations, même si chez certains on observe des « retours » à la foi (retours relatifs car malgré tout, au moins culturellement, les jeunes polonais demeurent de fait très attachés à la religion catholique), sécularisation limitée mais réelle qui n’aide pas au relèvement démographique.
Enfin, dernière cause et non des moindres, la Pologne subit une saignée démographique du point de vue de son solde migratoire. Le nombre de 38 millions d’habitants en Pologne doit en fait être pris avec prudence. Il s’agirait plutôt de 38 millions de citoyens ayant encore une attache avec la Pologne, et pas de résidents, car dans les faits ces derniers sont moins nombreux et seraient environ 36,5 millions. En effet, depuis les années 2000, les courants migratoires en direction de l’extérieur, notamment de l’Union européenne, se sont notablement intensifiés. L’entrée de la Pologne dans l’UE en 2004, puis dans l’espace Schengen en 2007, a fortement dynamisé cette émigration, difficile à quantifier car il est souvent peu aisé de distinguer les migrations temporaires des définitives. Ce que l’on peut affirmer avec certitude c’est que de manière constante, depuis le milieu des années 2000, de un à deux millions de Polonais sont constamment hors de Pologne, en quête de travail ou même de petits boulots dans les pays de l’Ouest, notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne, mais aussi les Pays-Bas et même la Norvège. Cette émigration est fortement pénalisante pour la démographie polonaise, du fait que ce sont avant tout des personnes jeunes qui émigrent. Un certain nombre d’entre elles ne partent que quelques mois, le temps de se faire un petit pactole à réinvestir une fois rentrées chez elles. Toutefois un nombre non négligeable s’installe pour de bon dans ces pays étrangers, a fortiori si elles y font souche, qu’elles se marient avec un autochtone, un Polonais rencontré sur place, ou qu’elles fassent venir leur conjoint de Pologne. Cette émigration, s’il est difficile de dire qu’elle a été provoquée par les gouvernements de l’époque, n’a en tous cas pas été découragée : elle offrait la possibilité aux autorités polonaises de résoudre la question du chômage à moindre frais, sans s’attaquer au fond du problème du marché de l’emploi. De fait, après 2004, le chômage passe de 20% à moins de 15% en Pologne. Toutes ces raisons expliquent donc l’affaiblissement de la démographie polonaise. En vérité, il est plutôt remarquable qu’avec le cumul de tous ces facteurs, la Pologne ne se retrouve pas dans une situation similaire à celle des autres pays de la zone. On peut expliquer cette situation relativement meilleure par une empreinte catholique plus forte sur la société, un potentiel économique globalement plus fort pour être suffisamment attractif afin d’éviter que la saignée migratoire ne soit trop grande, comme cela peut s’observer dans certains voisins de la Pologne. Malgré tout, les scénarii démographiques semblent n’augurer rien de bon pour la Pologne, cette dernière étant classée parmi les pays dont la population d’ici à un demi-siècle va être fortement réduite. Reste à savoir si la tendance négative est irréversible, ou si elle n’a pas déjà commencé à changer.

C. Un retournement de conjoncture en vue ?

Face aux prévisions démographiques catastrophistes, les choses seraient-elles en train de changer ? La donne semble être en effet différente depuis l’arrivée au pouvoir des nationaux-catholiques du PIS en deux temps en 2015, d’abord par l’élection du nouveau président Andrzej Duda, puis par la victoire sans appel du PIS aux élections législatives à l’automne de la même année. Premier parti de l’histoire politique du pays à obtenir à lui tout seul la majorité absolue des sièges à la Diète, il a les mains libres pour réaliser son ambitieux programme de transformation de la Pologne. Contrairement à leurs prédécesseurs libéraux, les conservateurs du PIS, au catholicisme bien plus traditionnel, ont engagé tout de suite une refonte de la politique familiale, voulant agir sur la dimension économique du problème démographique. Le 11 février 2016, soit à peine trois mois après son arrivée au pouvoir, ce qui montre son intérêt pour la question, le PIS a fait passer une loi instaurant, enfin, des allocations familiales. Chaque famille reçoit depuis lors 500 [1] zlotys par mois par enfant, à partir du deuxième enfant, voire dès le premier si la famille touche moins que le salaire minimal (2100 [2] zlotys brut au 1er janvier 2018), et ce jusqu’à ce qu’il ait 18 ans. Les effets sur la démographie polonaise ne se sont pas fait attendre, avec une remontée dès 2016, timide mais nette, du nombre de naissances. Après un minimum quasi historique de 370 000 naissances en 2015 (presque aussi peu que durant les premières années du siècle), la natalité a remonté pour deux années consécutives. En 2016, 382 000 enfants sont nés, et tout porte à croire que pendant 2017, on compte plus de 400 000 nouveaux Polonais. La question est de savoir si cette tendance va se poursuivre dans les années qui suivent, et si oui quelle sera l’intensité de ce mini baby-boom qui se dessine. Tout porte à croire que la hausse de la natalité devra être importante, pour faire face au papy-boom. En effet, la Pologne se rapproche de plus en plus d’une vague de mortalité avec l’arrivée des générations du baby-boom à l’âge du décès. L’espérance de vie polonaise étant de 78 ans, environ 74 ans pour les hommes, la surmortalité des classes d’âge du baby-boom (1945-1956) va s’accroître nettement dans les années à venir, et on peut se demander si la politique familiale du PIS suffira à élever la natalité suffisamment pour compenser l’augmentation à venir du taux de mortalité.
On peut signaler également un autre élément dans la politique familiale du PIS et son œuvre de redressement démographique national. Il ne s’agit pas simplement d’agir sur les conditions économiques pour mettre les familles dans le meilleur contexte pour avoir plus d’enfants. Le but que semble poursuivre le PIS, en tant que parti véritablement catholique, est d’agir à la source, pour essayer de repousser la culture de mort qui s’immisce en Pologne. Cela passe par la promotion d’un modèle familial traditionnel, et la lutte contre tout ce qui pourrait entraver la fécondité. Ainsi, depuis son accession au pouvoir, la question de l’avortement cristallise de nouveau les attentions. Des projets de loi ont été présentés pour restreindre, d’une façon ou d’une autre, l’accès à l’avortement, projets qui ont eu leurs contre-offensives libertaires de libéralisation totale de l’avortement. Le 6 octobre 2016, la Diète a rejeté de peu un projet de loi citoyen interdisant totalement l’avortement en Pologne, et prévoyant des peines pour les médecins pratiquant cet acte et les femmes y recourant. Il est intéressant de voir que ce projet, qui n’émanait pas du gouvernement, mais de la frange la plus traditionnelle de la population polonaise, ne se contentait pas de pénaliser l’avortement : il donnait également les moyens juridiques au gouvernement de lutter, au moins en partie, contre l’avortement clandestin. Vu le contexte politique européen, cette loi n’aurait sans doute pas résolu ce problème en entier, les femmes ayant toujours pu partir à l’étranger pour avorter ; d’autre part, il était fortement clivant, et a révélé encore plus les fractures au sein de la société polonaise, divisée en trois camps aux proportions à peu près égales : des Polonais traditionnels qui veulent durcir les conditions d’accès voire interdire totalement l’avortement, des Polonais conservateurs modérés qui sont pour le maintien du statu quo issu du compromis de 1993, des Polonais progressistes qui veulent aller dans le sens d’une libéralisation partielle ou totale de l’avortement. Le PIS a compris que pour l’instant, il n’avait pas une base sociale suffisamment forte pour porter ce projet, et pour des raisons avant tout électoralistes, a rejeté le projet (enfin sa frange la moins conservatrice, pour dire vrai). Le camp libertaire a pour sa part, depuis ce projet rejeté, présenté deux projets de loi pour libéraliser totalement l’avortement jusqu’à la 12e semaine de grossesse. Le combat pour la vie fait donc rage en ce moment. Le premier de ces projets infanticides a été rejeté, le second est en cours d’examen, mais il n’y a pas de raison pour qu’il ne subisse le même sort. De son côté, certains députés du PIS et des populistes ont saisi le Tribunal constitutionnel, plus haute autorité juridique du pays, pour qu’il déclare inconstitutionnelle une partie de la loi de 1993, notamment l’autorisation d’avorter en cas de pathologie grave de l’embryon. Les résultats de ces démarches seront connus dans les semaines à venir. Il convient de souligner que si la lutte contre l’avortement clandestin est la condition sine qua non du relèvement effectif et durable de la démographie polonaise, la sauvegarde de la nation polonaise ne peut passer que par une régénération profonde de la société polonaise, et notamment de ses plus jeunes générations. Ces dernières, trop souvent victimes des sirènes du mode de vie occidental, s’enferment peu un peu dans un individualisme confortable où ce qui prime n’est plus la joie de fonder une famille et de transmettre la vie, mais la satisfaction égoïste de la réalisation d’un plan de carrière, donnant libre cours à l’ambition. Même en Pologne, pays encore profondément chrétien, le libéralisme a fait des dégâts dans les consciences, et il convient maintenant de consacrer toutes les forces spirituelles et intellectuelles pour faire en sorte que le catholicisme soit plus qu’un simple vernis culturel, mais que de nouveau, il saisisse les âmes et les cœurs. Il est donc bien difficile, à l’heure actuelle, après seulement deux ans du gouvernement du PIS, de pouvoir dire quel sera l’avenir démographique de la Pologne. Si les prévisions officielles n’augurent rien de bon et un scénario semblable à celui des autres pays d’Europe centrale, la nouvelle donne politique depuis 2015 a au moins retardé sa réalisation, et pourrait bien l’empêcher, si le gouvernement polonais ne se contente pas d’une simple toilette cosmétique mais entreprend un véritable retour aux sources vives de la Tradition et du national-catholicisme polonais.

Bilan : que nous apprend le cas polonais en matière de démographie ?

On peut terminer cet article en retenant quelques facteurs fondamentaux influant sur la santé démographique d’un pays. Premièrement, la condition nécessaire pour avoir une bonne santé démographique est la stabilité politique. Ce n’est pas tant les formes institutionnelles du régime (démocratie, dictature, totalitarisme…) qui conditionnent l’augmentation de la population, mais les capacités de tel ou tel régime à créer une situation stable, favorable à la croissance démographique (il est cependant vrai que l’autoritarisme semble plus en mesure de créer ces conditions que la démocratie libérale contemporaine). Deuxièmement, la garantie de la bonne tenue démographique d’un pays est une bonne santé morale et de bonnes fondations spirituelles. En ce sens, la société doit être imprégnée d’une culture de vie dont le catholicisme est le plus parfait achèvement, pour contrer les attaques de la culture de mort. En cas d’affaiblissement ou d’absence de cette culture de vie, les apparences peuvent être sauvées en vivant d’expédients financiers, comme un certain nombre de pays occidentaux avec leurs politiques familiales généreuses (encore faut-il s’assurer que cet aiguillon fonctionne sur les nationaux de ces pays, ce qui semble loin d’être le cas !). Une politique familiale, aussi bien préparée soit-elle, sera cependant toujours sujette aux fluctuations du contexte socio-économique et politique. Un État préoccupé du bien commun fera en sorte, non pas de susciter le désir de transmettre la vie, mais de rendre ce désir naturel, en choisissant une politique éducative adaptée, qui fera de l’arrivée d’un enfant non pas un risque ou un malheur, à l’instar de la politique actuelle du planning familial, mais une bénédiction et une grâce.

Stanislas Le Romain

[1Environ 120 euros.

[2Environ 500 euros.

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