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Le mérite est, en dépit du bon sens, la chose du monde la moins bien partagée. Ce n’est qu’à grand frais qu’un maître échappe à l’infâme rançon que commande la notoriété publique. Appâtée par le gain, une grande part de ces acrobates mondains, de ces hauts dignitaires du Barnum des sachants se défroque précipitamment, sans gêne et pour trois sous, à la barbe de ceux qui leur confectionnent amoureusement des idoles dans le bois mort de leurs intelligences cocues. Combien enfouissent leurs cerveaux contaminés dans la vase macabre des compromis mercantiles, laissant là le fervent élève qu’ils pulvérisent dans leurs propres impostures après les avoir empoisonné de leurs fielleux volumes ?
Il arrive cependant que le tourment du disciple déçu s’essouffle à l’écoute providentielle des tranquilles intransigeances caractéristiques des partisans de la vérité. L’auteur d’ Une Histoire de l’Europe se trouve être de cette caste d’esprits aussi rares que valeureux.
À travers sa récente publication, Michel Fauquier semble poursuivre deux ambitions. Il s’est attaché à réaliser un matériau qui rende intelligible la source historique profonde du présent européen, qu’il résume en trois noms : « Athènes, Rome et Jérusalem » [1]. Mais alors, Une Histoire de l’Europe n’eut été qu’une réédition sans intérêt du puissant travail pédagogique effectué lors de la rédaction des deux tomes d’Aux Sources de l’Europe [2] , destinés aux étudiants auxquels il enseigne l’histoire de la civilisation dans plusieurs établissements universitaires.
Ce qui fait la valeur de ce compendium est le fait qu’il s’adresse à ceux qui ne sont pas instruits des arcanes estudiantines ou de celles qui régissent la science historique, impératif qui commande à cet ouvrage-là d’être autre chose qu’un manuel. Pour autant, son rôle n’est pas de faire du travail de Michel Fauquier un aperçu dont on s’acquitte à bon compte, et l’intégrité qui caractérise ce dernier n’eût pu s’accommoder d’autre chose que de souder la clarté de son enseignement avec une exigence intellectuelle en tout point honorable.
Les choix structurels de cet ouvrage ont la rudesse des bons principes. Michel Fauquier s’emploie à l’élaboration d’un récit historique cohérent, à rebours d’une docte litanie de dates et de patronymes parqués entre quelques chapitres aussi inconstants que maladroits, « l’historien n’étant pas qu’un collectionneur de faits, mais quelqu’un qui cherche à en saisir l’essence » [3]. Pour mener à bien cette tentative de discerner « l’essence » du fait historique, il impose à son analyse une charpente articulée autour d’une cheville, le « noeud ». Il est communément admis que l’Histoire se divise en plusieurs cantons périodiques, soigneusement et si confortablement délimités que son examen ressemble à l’exploration pénible d’un assortiment hétéroclite de mondes qui n’ont rien en commun. Au sein d’Une Histoire de l’Europe, dont la thématique s’étend de l’Antiquité à l’époque contemporaine, ces remparts académiques apparaissent mais se trouvent être sans cesse remués.
Loin d’être une frontière indépassable, le noeud désigne l’instance où deux époques se soudent afin d’accoucher naturellement l’une de l’autre. Au nombre de onze, ils ponctuent le récit de notre civilisation en rendant intelligibles les angles de sa carcasse ; rien à voir, donc, avec les palissades de fables empilées dans le but malhonnête que personne ne puisse apercevoir ce qui se trame de l’autre côté, obligeant chacun à se suffire de l’immuable et canonique ravin qui sépare le Moyen-Âge et la Renaissance, appellations que Michel Fauquier accepte d’ailleurs sans leur pardonner leurs fardeaux de poncifs modernes dégoulinants.
Partant de ces sages précautions, il se mesure à 2500 ans d’histoire en à peine plus de sept cents pages. La tentation logique de celui qui aurait à rédiger un travail de ce genre et à le vulgariser serait de tomber dans l’abstraction, dans les grandes phrases et l’à-peu-près. Mais la trempe de l’homme s’accommoderait très mal d’une telle escroquerie. Lorsqu’un livre destiné aux « curieux » et à ceux qui souhaitent obtenir une « bonne culture générale » fait passer les manuels de science historique destinés à la préparation de concours prestigieux pour des exemplaires de journaux gratuits, c’en devient tragique. Michel Fauquier se refuse visiblement au principe voulant que les français soient des veaux, jacobinerie sophistique commode qui permettrait pourtant de leur vendre du foin pour de l’or et de se dépêtrer respectablement de ce maquignonnage. Il exige de son lecteur et ne lui épargne pas la vérité, ce qui est peu ou prou le contraire du vendable : la littérature qui n’a de cesse d’inquiéter.
Le second excès qu’aurait entraînée toute négligence dans le traitement d’un si vaste objet est le mensonge, consécutif des abstractions incantatoires qui semblent être les canons stylistiques de la production historique qui trône sur les étalages putréfiés des librairies fréquentables. Mais l’une des nombreuses choses qu’enseignent les travaux de Michel Fauquier est la haine du mensonge.
Son attitude scientifique relève d’une fidélité profonde à la seule recherche de la vérité, et ce quoi qu’il en coûte, que l’on démasque un pape salopard ou un roi barbe-bleu. La seule chose qui ait valeur de loi dans cette Histoire de l’Europe est l’exigence de la vérité nue, fétide souvent, grande parfois, surprenante toujours. Que les idoles tombent ! Si elles exigent un mensonge pour vivre à crédit, c’est qu’elles n’en valent pas la peine, puisqu’elles tomberont de toute façon. Il n’y a qu’à l’ombre de la crasse réalité humaine que scintille vraiment la lumière d’une civilisation.
C’est grâce à cette implacable et radicale obédience que Michel Fauquier a accompli les objectifs donnés à cet ouvrage. Il y rend un constat précis et abordable de ce qui a fait l’Europe dans l’Histoire, en respectant son lecteur par l’exigence qu’il lui accorde et le souci qu’il lui cause.
Il ne me reste alors qu’à rendre compte de son parti-pris sur l’humanité, dont je souhaite souligner la sagesse et le bien fondé. Son intransigeante espérance, qui n’a de grandeur que parce qu’elle est malgré tout, devait l’amener à conclure ce livre comme il l’a rédigé, avec la tranquillité d’un soldat blessé au coucher du soleil.
Après plusieurs centaines de pages ponctuées, certes, d’épisodes édifiants, d’héroïsmes altiers et d’autant de personnages exceptionnels qui font la fierté de tout français qui n’a pas oublié son premier amour, mais également rythmée par le fracas des sabres et le tonnerre des bombes, par le murmure des hordes de gens fuyant des villes où dorment leurs frères sacrifiés, et par le spectacle atroce d’un étourdissant archipel de fosses communes creusées par un mal carnassier qui n’est jamais repu de son festin ; après tous ces disparus, ces traîtres, ces régicides, ces tyrans et ces usurpateurs qui encombrent un monde auquel ils rappelleront à jamais l’opprobre qu’il porte ; après tout cela, celui qui écrit Une Histoire de l’Europe refuse d’abandonner :
« Nulle famine, nulle guerre, ou nulle peste n’a jamais eu raison de l’humanité, l’histoire des hommes prouvant qu’il y a d’autres voies que celles de la destruction et du malheur. » [4]
La richesse des enseignements de Michel Fauquier s’étend bien au-delà des données et des raisonnements qu’il porte à la connaissance de son lecteur. Sa pédagogie est douce, mais elle se meut sur le fil du couperet : elle rend adulte. Sans même s’annoncer comme le bûcher des icônes, cet ouvrage détruit la fresque puérile et incertaine qui fait l’imaginaire historique du temps, assumant ainsi le rôle de celui qui révèle à l’enfant que le vieux bonhomme en velours rouge n’a jamais existé.
Il serait néanmoins criminel de laisser ce pauvre mioche à ses malheurs, et de vendre le rejetons aux mains ulcérées qui nourrissent le parti du désespoir. Bourreau d’une hébétude bercée par le mensonge de l’école républicaine, ce livre mène à la guérison calme des intellects blessés : il enseigne que même sans le vieillard et ses célestes cavalcades, on leur offre un présent digne d’être apprécié, aussi simplement que Maupassant fit dire à Rosalie : « La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon, ni si mauvais qu’on croit ». Loin des pamphlets mémoriaux déçus, loin des querelles historiographiques, loin même de toute colère contre les salisseurs de tout ce qui se fit un jour de bien, de beau et de vrai dans cette Europe revêche, ce qu’offre modestement Michel Fauquier n’est ni plus ni moins qu’une civilisation.
[1] Michel Fauquier, Une histoire de l’Europe : aux sources de notre monde, Éditions du Rocher, 2018, p. 23.
[2] Aux Sources de l’Europe : Les premiers temps, Tempora, 2008., et Aux Sources de l’Europe : Les temps modernes, Artège, 2010.
[3] Op cit., p. 12.
[4] Op cit., p. 713.
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