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Prière musulmane, prière catholique : mise en perspective

C’est dans une dynamique résolument prophétique que le bienheureux Jean-Paul II initia, le 27 octobre 1986 à Assise, une réunion de prière rassemblant les responsables des plus grandes religions, sagesses et traditions mondiales, aux fins d’une rencontre fraternelle et respectueuse, réunis ensemble pour prier – chacun selon sa religion propre – pour appeler la paix sur le monde.

Cette démarche connut bien des critiques, certains parlaient même de syncrétisme, de scandale idolâtrique, voire d’apostasie. Pourtant, ce qu’il est convenu d’appeler « l’esprit d’Assise » faisait son chemin dans la chrétienté, ouvrant de nouvelles perspectives au dialogue interreligieux, telles que le Concile Vatican II les appelait de ses vœux. La mondialisation, les grands mouvements d’émigration, le brassage actuel des cultures mettent au défi le chrétien d’aimer son prochain, y compris dans sa différence religieuse. Et qui veut aimer doit d’abord apprendre à connaître.

Comme toute démarche prophétique, les rencontres d’Assise n’étaient pas sans risque : risque de confusion, de mélange des genres, d’œcuménisme interreligieux sur la base réductrice du plus petit dénominateur commun, etc.

Le plus grand risque étant celui que dénonce aujourd’hui Benoît XVI quand il parle d’un monde post-moderne marqué par le « relativisme religieux ». Si le Concile Vatican II évoque les « semences du Verbe » [1] présentes dans les autres religions, ça n’est pas pour autant qu’elles se valent toutes, et que chacun peut se fabriquer son « propre menu à la carte » dans le vaste marché des religions.

Aussi, le Pape actuel a-t-il voulu poser un acte significatif qui, sans contredire les initiatives de son prédécesseur, en définit d’une manière plus explicite les enjeux, les fondements et les limites. L’ensemble des participants - plus de 300 - ont partagé, au Couvent de la Portioncule en octobre 2011, un repas sobre et frugal, adapté aux critères alimentaires de chacun. Ensuite, chacun s’est retiré dans une pièce qui lui a été attribuée, jusqu’à 15 h 30, pour une prière ou une réflexion personnelle, selon son identité propre, en faveur de la paix. Il n’y a donc pas eu de prière commune, publique ou privée. Ainsi était pris en compte le soupçon de syncrétisme, porté sur ces rencontres par leurs opposants depuis leurs origines. Benoît XVI y a veillé personnellement. De la sorte, une double signification était proposée.

Benoît XVI veut rappeler l’admiration de l’Eglise « pour ce qui est vrai dans les autres religions et qui les prépare au Salut ... » [2]. Il veut dans le même temps réaffirmer qu’on ne peut sans se trahir et sans trahir sa foi, donner à voir que la prière des autres religions serait équivalente à la prière chrétienne, « du moment qu’on serait sincères ».

Le Décret sur l’activité missionnaire de l’Église (Ad gentes) relève que des éléments « de vérité et de grâce se trouvent, chez les nations, comme par une secrète présence de Dieu » [3]. Il invite les chrétiens à découvrir ces fameuses « semences du Verbe » qui se trouve cachées dans les traditions religieuses des peuples.

La prière est-elle un devoir ?

Qui dit religion (du latin religare, relier) dit relation. La religion est avant tout une relation de l’homme avec son Créateur. C’est le cœur de cette relation même qu’on peut appeler prière. Mais qui est le premier à l’initiative de cette relation ? Dans le judéo-christianisme, c’est indubitablement Dieu Lui-même. Dieu qui cherche Adam dans le jardin de la Genèse, Dieu qui se révèle à Abraham à Mambré, puis à Moïse au Buisson ardent. C’est Jésus qui dit sa soif à la Samaritaine… Il est le premier à nous chercher. La soif de Jésus manifeste la demande des profondeurs de Dieu qui nous cherche - « Dieu a soif que nous ayons soif de Lui » [4].

On ne peut pas dire que la prière chrétienne n’est pas un devoir, c’est certes un devoir d’amour, oui, mais c’est d’abord une réponse à un appel. Un appel entendu dans ces profondeurs de l’être, qu’en langage biblique on appelle « cœur ». On pourrait dire que si l’homme est en quête de Dieu, c’est parce que Dieu est en quête de l’homme et que cela est gravé au plus profond de l’esprit humain. Au mot « devoir », nous préfèrerons celui de « nécessité absolue ». La prière est le lieu premier de la rencontre, de la relation à Dieu. Qui perd, oublie la prière, perd et oublie cette relation. Sa foi devient religion formaliste.

Dans l’islam, prier est un devoir. C’est même le devoir le plus important. Il s’agit du deuxième pilier de l’Islam qui est d’effectuer la prière obligatoire, consciencieusement et parfaitement. Prier pour le musulman lui sert à déclarer chaque jour : « être esclaves de notre Sauveur, nous sollicitons Son secours et Sa guidée, nous Lui renouvelons notre déclaration d’obéissance » [5]. La Salât (la prière), pour le musulman permet de se rapprocher de Dieu et du Paradis. Uqbah ibn Amir (l’un des disciples du Prophète) aurait entendu le Prophète dire : « Votre Seigneur est enchanté par un berger qui, du sommet d’une montagne escarpée, donne l’appel à la prière et prie. Alors Allah dit : Regardez Mon serviteur, il appelle à la prière et accomplit ses prières. Il est dans Ma crainte. J’ai pardonné Mon serviteur [ses péchés] et Je l’ai admis dans le Paradis. » [6]

Mahomed, le messager d’Allah, dit dans le Coran, « l’Islam consiste en ce que tu dois : témoigner qu’il n’est pas d’autre divinité qu’Allah et que Mouhammed est son envoyé, accomplir la prière rituelle… » [7]. Durant toute sa vie, Mouhammed a fortement répété l’importance de la Salât. Il a notamment précisé le comportement consciencieux que doit avoir le musulman face à la prière. Avant de mourir, le prophète a exhorté les musulmans de son temps à pérenniser, comme la prunelle de leurs yeux, la prière, « Fais que j’accomplisse la prière et qu’une partie de mes descendants l’accomplissent également ! Seigneur, agrée mon invocation » [8]. La prière doit, au demeurant, être faite de façon directe et sans intermédiaire entre le musulman et Dieu. Qui plus est, la prière doit être faite avec le plus de sincérité et de dévotion possible. Le jour du jugement dernier, Dieu, qui écrit tout, jugera l’observance de la prière et la dévotion de chaque musulman pour son Dieu « Allah sait ce que vous faites » [9]. Comme le dit bien le Miséricordieux Allah, « Réussiront[à aller au Paradis]vraiment ceux qui sont des croyants, humbles dans leur Salât » [10].

En cela, la prière du chrétien et du musulman ont une exigence commune : pour être agréée de Dieu, elle doit être sincère et humble, pleine de dévotion. En un mot, elle doit venir du cœur.

Qui peut prétendre à la prière ?

Dans le judaïsme, la Présence se cachait dans le « Saint des Saints », au cœur du Temple. Seul le Grand Prêtre y avait accès, une fois par an, à Kippour, pour le pardon des péchés, après de multiples purifications. Saint-Matthieu [11] nous rapporte qu’à l’heure de la mort de Jésus, le rideau du Temple (qui séparait le Saint des Saints du Sanctuaire) se déchira, de haut en bas. Cela signifie que dans le Christ, plus rien ne peut nous séparer de l’Amour de Dieu. Tous ont accès au cœur de Dieu. Tous, mais de manière privilégiée les petits, les humbles, ceux dont le cœur est brisé, humilié. Il n’y a plus besoin de rituel de purification car ce qui compte, c’est le désir sincère du cœur. Bien sûr, le chrétien en état de péché mortel (péché qui provoque la rupture avec Dieu) devra se confesser dans une repentance sincère pour pouvoir communier, mais rien ne lui interdit de prier avant même de s’être confessé… Cela lui est même recommandé !

Les pécheurs plus que les autres sont invités à prier, car Jésus n’est pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs.

Enfin, il n’y a pas d’âge pour prier, encore moins de conditions sociales. Jésus dit des petits enfants que leurs anges contemplent la face de Dieu dans le Ciel. Que pour entrer dans le Royaume, il faut redevenir comme eux.

Dans l’Islam, le musulman homme ou femme doit faire la prière dès la puberté. Qu’ils soient pauvres ou riches, tous les musulmans doivent respecter le devoir de prière. Si une personne est handicapée et ne peut pas réaliser la gestuelle requise, il est autorisé à prier avec certains signes et gestes particuliers. Si l’enfant est initié, il peut la faire. D’ailleurs sur cette question de l’âge requis de l’enfant pour honorer Dieu, la tradition coranique est plus claire : selon le prophète, l’enfant a l’obligation de faire la prière à partir de 7 ans. Et le musulman n’a pas le droit de manquer la prière. Même dans certaines situations (guerre, maladie grave, fin de vie etc.), il est contraint de la faire. Le musulman qui ne fait pas cet acte d’adoration par la prière, est considéré comme un mécréant et peut être sévèrement puni par ses frères de l’Islam : « S’ils se repentent, accomplissent la salât et acquittent la zakat, ils deviendront vos frères en religion. » [12]

Pour que la règle soit valide, il faut que plusieurs conditions soient réunies. Bien entendu, il faut avant tout que l’homme qui prie soit musulman. Il faut que celui-ci ressente au plus profond de lui la crainte pour son Dieu. Il doit respecter avec minutie les horaires des cinq prières. De plus, il faut que le musulman, en priant, oriente son corps vers la Qibla (la Mecque). Si l’on est une femme, il faut cacher toutes les zones du corps pour ne pas laisser voir de peau. Enfin, pour prier, donc pour s’adresser à Dieu, il faut être pur. Il existe deux niveaux d’impureté qui rendent invalide la prière. Le premier niveau (matière fécale, urine, sommeil profond etc.) nécessite la al-woudou’ (la petite ablution) : se laver trois fois les mains, la bouche, le nez, le visage, la tête, les avant-bras et les pieds-chevilles. Le deuxième niveau d’impureté (rapport sexuel, fin des règles, accouchement, etc.) nécessite la al-ghoust (la grande ablution) : pour ne pas rentrer dans les nombreux détails, il s’agit d’un prolongement de la petite ablution, avec cette fois, un lavage par trois fois de toutes les parties du corps.

La finalité de la prière

On pourrait dire que toute l’économie du salut tient dans cette formule de Saint Irénée : « Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne Dieu ». Le dessein de Dieu n’est pas de faire de nous des esclaves, mais des fils. Pour cela, il a envoyé Son Fils unique prendre notre condition humaine, semblable à nous en tout, excepté le péché. Ce Fils s’est fait juger et est mort sur la Croix afin que nous soyions justifiés. Il est ressuscité afin que nous ayons la Vie éternelle. Ainsi, nous sommes héritiers et fils par adoption en Jésus, le Fils par nature.

Toute la prière chrétienne se situe dans cette dynamique, qu’elle soit liturgique ou personnelle, elle a pour but et pour effet de former en nous l’esprit filial, à mesure que cette relation à Dieu s’approfondit et s’affermit. La volonté propre de notre « vieil homme », bien souvent opposée de celle de Dieu, cède progressivement la place à l’homme nouveau dans une union de notre volonté à celle de Dieu, union qui constitue la phase ultime de notre vie de prière et de conversion. Ce cheminement se fera au rythme de chacun, à travers consolations et désolations (cf. Saint Ignace de Loyola), ou encore de purifications des sens, voire de l’esprit, (Ecole du Carmel) [13] qui laissent l’âme paisiblement abandonnée à l’Amour de Dieu. Il faut beaucoup insister sur le fait que ce cheminement est le fruit de la Grâce moyennant la coopération de l’homme, et non pas le résultat d’efforts personnels.

Ainsi la prière, guidée par le Saint-Esprit, a-t-elle pour but de former en nous le Christ, le Fils du Père. Elle nous introduit dans l’intimité de Dieu, dans l’amitié avec Lui. Elle permet et favorise une sainte familiarité avec le Seigneur. Elle a aussi comme conséquence de nous faire trouver la vraie Paix, de nous fortifier dans le combat spirituel, de nous faire haïr le péché, de nous aider à pardonner à nos ennemis. En cela, elle constitue un puissant levier pour l’exercice des vertus morales. Mais son but premier est le déploiement en nous des vertus théologales - Foi, Espérance et Charité.

Concernant la prière musulmane, celle-ci a vocation à communiquer avec le Dieu Tout-Puissant. C’est un moyen de converser avec lui. La prière est d’autant plus importante qu’elle éloigne le musulman du péché, elle agit comme un bouclier sur lequel viennent se rompre les mauvaises tentations : « la prière préserve de la turpitude et du blâmable » [14]. Le cycle des cinq prières quotidiennes est à respecter car la résultante de l’observance des prières, est cette communion perpétuelle avec Dieu : durant chaque journée, on ressent la présence divine. Cette présence et cette conscience de liens avec Allah permettent au musulman de ne pas se tromper de voie : « guide nous vers le droit chemin » [15] et de choisir ce qui est bon au regard de l’Islam : « l’âme devient fière et n’éprouve devant le mal que répulsion et dégoût » [16] .

La prière du musulman est aussi le moyen de se purifier, de se débarrasser de ses impuretés, de demander pardon pour les péchés commis. C’est la voie du repentir et l’accès pour bénéficier de la miséricorde de Dieu : « la prière efface les mauvaises actions » [17]. Elle est une voie pour la vie éternelle : « Allah a rendu obligatoire sur les esclaves cinq prières quotidiennes. Celui qui les accomplit parfaitement, Allah lui a promis de le faire entrer au Paradis. Et celui qui ne les accomplit pas parfaitement, celui-là, Allah ne lui a pas promis de le faire entrer directement au Paradis. S’il veut, il le châtie et s’il veut, il le fait entrer au Paradis » [18]. Il y a donc une obligation morale à prier car la prière détermine le musulman pour le Paradis. A défaut, pour l’incertitude de la vie éternelle en Paradis…

Pour vivre sa réalité humaine, son humanité, l’homme doit sans cesse renouveler sa condition face au créateur, c’est-à-dire réaffirmer sa soumission au Tout-Puissant (c’est d’ailleurs l’étymologie du terme « Islam » qui signifie littéralement « soumission »). Le musulman doit donc être humble face à Dieu, il doit savoir et reconnaître la supériorité d’Allah. Par ailleurs, et c’est à la condition du respect de la prière, qu’Allah, qui sait tout et voit tout, fait descendre son amour sur le croyant. Ce dernier, en priant, a manifesté lui-même son amour pour son Créateur : « les croyants sont les plus ardents dans l’amour d’Allah » [19]. C’est dans l’amour manifesté par Allah à ceux qui prient, que le musulman puisera sa force et bénéficiera des « bienfaits d’Allah [que] vous ne saurez dénombrer » [20].

Les normes de la prière : entre liberté et contrainte

Jésus enseignait à ses disciples qu’il fallait prier en tout temps et ne jamais se lasser. Par ailleurs, à la Samaritaine, lui parlant du Temple et du Mont Garizim, Jésus répond qu’il n’y a pas de lieu, mais des adorateurs « en esprit et en vérité ». En cela, une grande liberté est laissée aux chrétiens quant au lieu, à la forme et à la fréquence de la prière. Il convient toutefois d’opérer une distinction entre prière liturgique et prière personnelle.

La liturgie, dont le sommet est constitué par l’Eucharistie, est la prière du Peuple de Dieu en tant que Corps du Christ. La messe constitue l’actualisation de la mort et de la Résurrection de Jésus, toute autre prière liturgique découle d’elle et lui est reliée. En outre, la liturgie anticipe le Royaume, elle en signifie le « déjà-là » et elle est comme la projection sur la terre et dans le temps de la liturgie céleste et éternelle. Dans la liturgie, c’est le Christ « total » qui prie à travers nous. Le chrétien alors, ne fait finalement que rentrer dans la prière du Christ, dans son adoration, sa louange, son intercession, son sacrifice… La liturgie est donc l’offrande au Père de la prière du Christ.

En ce sens, elle obéit à des normes assez strictes, bien que souples. Ce n’est pas l’homme qui invente le langage du divin, c’est Dieu qui le lui inspire. Cycles liturgiques, régularité (prière des Heures pour les religieux et les clercs), lieux de culte, symboles, positions du corps vont être proposés aux fidèles par l’Eglise, qui les reçoit elle-même de son Seigneur. A cette condition seulement, on pourra parler de prière inspirée et reçue, et non fabriquée.

Différente est la prière personnelle, qui n’obéit à aucune norme ni méthode. « La méthode de la prière est qu’il n’y a point de méthode » nous confiait Sainte Jeanne de Chantal. Jésus nous invite à rentrer à l’intérieur de nous-mêmes, dans notre chambre intime, et là, d’accueillir la présence du Père. Sainte Thérèse d’Avila parlera de « commerce intime avec Dieu » [21], le saint curé d’Ars d’un échange de regards ("Il m’avise et je l’avise"), la petite Thérèse d’un « élan du cœur ». Le corps lui-même peut prier à l’unisson de l’âme, selon l’inspiration du moment : mains levées ou croisées, debout, prosterné, à genoux, assis, l’essentiel étant l’unité du cœur et du corps. Une grande liberté est requise, pourvu qu’elle traduise le désir profond de l’âme.

La prière musulmane quant à elle, est organisée. Elle compte cinq prières obligatoires par jour. Ces cinq prières doivent être respectées et faites à la bonne heure. Il est autorisé de la retarder pour un bon motif, mais en aucun cas le musulman n’a le droit de les faire avant l’heure. Le cycle des cinq prières débute à la mi-journée (Al-dhouhr), puis il y a la prière de l’après-midi (al-‘asr), ensuite il y a la prière du coucher du soleil (Al-maghrib), puis la prière de la nuit (Al-^icha’) et enfin, la prière de l’aube (Al-fajr). Les repères chronologiques du musulman se font donc par la prière. Ces cinq prières quotidiennes se caractérisent en ce qu’elles suivent le mouvement du soleil et en ce que les temps morts entre chaque prière s’accélèrent dans la journée. Plus l’on avance dans cette journée, plus les intervalles où l’on ne prie pas rapetissent. Ainsi, le plus long temps de non-prière est le matin entre Al-dhouhr et Al-‘asr et le plus court temps de non-prière est entre Al-^icha’ et Al-fajr. Les prières suivent ainsi l’ordre naturel terrestre, la Terre étant la création du Tout-Puissant. Par ailleurs, le cycle de prière suit également l’ordonnancement des Sourates dans le Coran : le livre sacré égraine d’abord de longues Sourates, puis, au fur et à mesure du livre, les Sourates s’écourtent.

Pendant la prière, le musulman ne fait pas tout ce qu’il veut. La prière est normée par des règles gestuelles et orales. L’on observe par exemple quatre postures principales pour la gestuelle : debout, incliné, prosterné, à-genoux. Ces postures sont porteuses de sens. Encore une fois elles symbolisent la création d’Allah : « les arbres et les montagnes se tiennent debout, les astres se lèvent et se couchent, les animaux sont inclinés et tout ce qui vit sur Terre tire sa nourriture de la Terre » [22].

Enfin, la prière musulmane a vocation à prier uniquement Allah. Les prophètes et autres grandes figures se trouvant dans le Coran comme Abraham, Moïse, Marie, Jésus, Mahomet etc. ne font pas l’objet de prière. D’ailleurs, celle-ci s’effectue uniquement par le truchement de la langue arabe afin d’éviter que le Message ne soit altéré, édulcoré ou pis, dénaturé. De sus, étant donné qu’Allah ne s’est pas incarné, les divers mouvements musulmans refusent les représentations de Dieu. A l’image du Judaïsme, l’Islam est lui aussi iconoclaste. A contrario, Le catholicisme, depuis les luttes en faveur de l’iconodulie, menées notamment par Jean Damascène au VIIIe siècle et qui trouvèrent raison lors du second concile de Nicée en 787, autorisèrent les représentations de Dieu. Puisque le Christ s’est incarné, l’Eglise reconnaît la possibilité de représenter le visage humain de Jésus et de ceux qui ont connu l’intimité avec Dieu, les icônes manifestent ainsi «  la nuée de témoins » [23]. En outre, l’image et la parole de l’Ecriture Sainte sont complémentaires, elles s’éclairent mutuellement. Jean Damascène nous disait que « la beauté et la couleur des images stimulaient sa prière. Que c’était une fête pour ses yeux, autant que le spectacle de la campagne stimule le cœur pour rendre gloire à Dieu » [24]. Une icône de la Vierge Marie a dès lors, un pouvoir d’intercession incontestable. Cela parce que l’image de Marie – ainsi que des Saints - témoignent du Christ qui est glorifié en eux.

Prière chrétienne, prière musulmane : l’Islam a-t-il réintroduit la juste distance entre Dieu et l’homme ?

Le chrétien peut se retrouver dans certains aspects de la prière musulmane : relation au Créateur, adoration de sa Sainteté, conversation intime avec Lui, fidélité, force dans les tentations, sincérité et dévotion. Les semences du Verbe présentes dans la prière musulmane tiennent au grand respect dû à Dieu, à Sa Sainteté, à cette exigence de prier avec le cœur, dans l’humilité et la dévotion, dans une fidélité renouvelée. C’est d’ailleurs cette fidélité des musulmans pratiquants qui force le respect des chrétiens à leur égard.

Pour autant, les différences tiennent essentiellement à la nature du Dieu que l’on prie et à l’identité du priant face à son Dieu. Le Dieu de Jésus-Christ est un Père Miséricordieux, tendre, et le chrétien est enfant bien-aimé de ce Père. Son Salut a déjà été gagné par le Christ, le Salut est alors plus à accueillir, y compris dans l’ascèse, qu’à conquérir à la force des poignets. Son offrande à Dieu, c’est le Christ Lui-même, et cette offrande est parfaite. Toute sa prière se situe à l’intérieur de la prière de Jésus au Père. Il doit y avoir dans la prière chrétienne une absence de peur, de scrupule, une liberté et une dilatation du cœur, ce qui n’empêche nullement l’effort de fidélité et le combat spirituel, la révérence et le respect dus au Dieu trois fois Saint.

Comme le mot Islam l’indique, le musulman est davantage dans une posture de soumission. La certitude du salut ne lui est pas acquise, d’autant plus que « Dieu écrit tout ». La notion de Miséricorde est certes présente, mais de moindre manière, elle est laissée au bon vouloir d’Allah, et surtout il n’y a pas de rédempteur, ni d’avocat - le Saint Esprit. Le musulman est seul face à Dieu, et Dieu voit tout. Le fidèle doit donc gagner son salut, donner des preuves, conquérir le Royaume d’Allah à force d’obéissance aux préceptes. Le rite a ainsi une place prépondérante. Peut-être trop d’ailleurs, puisqu’il entraîne à bien des égards l’annihilation de la liberté intérieure. Comme l’affirme Fethi Benslama [25], « l’Islam rétablit l’antique éloignement entre le Créateur et sa créature » [26]. Mais ne peut-on parler de régression, puisque précisément le Christ a aboli cette distance et nous révèle un Dieu tout proche : « Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi » [27] ?

Le choix de l’Islam

Il convient, non dans une perspective apologétique, mais dans une volonté de vérité, d’élargir ce regard porté sur la prière dans l’Islam. Car l’Islam n’est plus une réalité lointaine, elle est dorénavant ancrée dans notre société européenne, et singulièrement française. En tant que Chrétiens, il ne nous est plus permis de courber l’échine, de tomber dans la dérive de la peur, et encore moins de fermer les yeux ou en se disant aveuglement que tout ira mieux demain. Je vous invite alors, vous, lecteur, à faire un effort de connaissance sur l’Islam.

Le succès de la propagation de l’Islam est double à mon sens. En premier lieu, dans les pays musulmans, l’enfant naissant naît musulman. C’est-à-dire qu’il n’a pas le choix, il est musulman par naissance et restera musulman. Il est rare de voir un musulman sortir de sa religion parce que d’une part, il s’est structuré avec depuis son enfance, et d’autre part, parce que l’apostasie est punie de mort. En second lieu, un grand nombre d’individus est en proie aux angoisses de la finitude, de la mort et aux questionnements sur la vie après la mort. Et comme Le Judaïsme et le Christianisme, « le Coran est un cheminement du verbe au bord de l’abîme humain, sur lequel il jette des voiles et des passerelles ». [28]. Qui plus est, la langue arabe du Coran a quelque chose d’hypnotique. Sa psalmodie permet au priant de sortir de sa condition présente, pour se hisser dans un état d’être, qui parfois, touche le sublime.

A la suite des évènements du 11 septembre, les ventes du Coran se sont envolées. Mais l’achat du Livre n’était pas mû par une quelconque envie de s’initier à la guerre sainte. Les divers acquéreurs poursuivaient un objectif autre, celui de comprendre. Car en effet, comment une religion arborant les qualificatifs « d’amour » et de « miséricorde » pouvait-elle conduire à de telles dérives ?

Il faut savoir que le Coran égraine de nombreux thèmes antonymes : la paix et la guerre ; le pardon et la vengeance ; l’amitié et l’inimité, etc. Affirmer donc, que l’Islam est une religion d’amour est réducteur et idéaliste (ou il faudrait alors définir une acception différente). A l’opposé, arguer que l’Islam n’est qu’une religion belliqueuse relèverait de l’ignorance. La réalité est que tout trouve son contraire dans le Coran. On peut trouver dans une sourate une obligation à suivre, et dans une autre, l’inverse. Il est ainsi très difficile de comprendre le Coran, parce chaque affirmation, ou presque, trouve son infirmation au fil des pages.

Pour autant, parce que le caractère de l’Islam dépasse le seul domaine religieux (le social, le politique, le droit et d’autres sphères en font partie intégrante), il est loisible d’observer que la loi islamique, est comprise dans un tout, qui originellement, ne peut être fracturé. Autrement dit, il est difficile pour le musulman, de prendre le bon et de rejeter l’ivraie à sa guise. D’autant plus que le musulman se reconnaît dans l’Oumma – la communauté des musulmans, alors que cette même communauté n’est pas guidée par une voix, mais par différents chefs religieux, tous ne proposant pas les mêmes sentiers vers le Salut. D’aucuns peuvent alors suivre la violence mahométane comme expression de leur religion, et d’autres, prendre une voie plus pacifique, comme la concentration sur l’aspect spirituel de l’Islam par exemple (cf. le Soufisme).

Il est très convenu médiatiquement, de dire que la branche radicale de l’Islam n’est qu’une infime partie de cette même religion. Qu’elle est, par conséquent, moins puissante que le reste des croyants musulmans. Mais si l’on reprend l’idée de Freud qui consiste à dire que la force de la religion est cette conjugaison de la raison et de l’émotion, le rapport de force n’est plus mesuré quantitativement. Car en effet, nos démocraties post-modernes réduisent à néant l’émotion pour y substituer la raison. « Résultat : les démocrates de l’Occident et du monde musulman, qui prônent une éthique de la responsabilité rationnelle, se retrouvent en état de faiblesse, face à des gens qui sont faibles, mais dont la force réside dans l’usage de l’émotion pour convaincre » [29]. D’ailleurs, n’oublions pas que le salafisme ne s’est pas constitué ex nihilo. Il prend racine dans l’observance unique du Coran et de la Sunna. Et comme le rappelle Stéphane Lacroix, « Le salafisme, c’est le dogme dans toute sa pureté ». [30]

François-Joseph Maillard


[1Ad gentes, § 11 et 15

[2Conférence d’Arnaud Dumouch, modérateur du site www.dialogueislam-chrétien.com, citant Optatiam totus, § 16

[3Ad gentes, § 9

[4Saint-Augustin, quaest. 64,4

[6Ibid

[7Mouhammed, le Coran in www.sajidine.com

[8Le Coran, sourate 14, verset 40

[9Le Coran, sourate 29, verset 45

[10Le Coran, Sourate 23, versets 1 et 2

[11Mt. 27, 51

[12Le Coran, sourate 9, verset 11

[13Sainte-Thérèse d’Avilla, Le château intérieur, ou encore Saint-Jean de la Croix, La nuit obscure

[14Le Coran, sourate 29, verset 45

[15Le Coran, sourate 1, verset 5-6

[17Le Coran, sourate 11, verset 114

[18Propos rapportés par Ahmad in www.muslim.xooit.com

[19Le Coran, sourate 2, verset 165

[20Le Coran, sourate 16, verset 18

[21Sainte-Thérèse d’Avilla, Autobiographie

[23He 12, 1

[24Jean Damascène, imag.1, 27

[25Directeurd’Etudes psychanalytiques à l’université Paris-Diderot et auteur du livre La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam

[26F. Benslama in Le Figaro Magazine, 17 août 2012

[27Apocalypse 3:20

[28Fethi Benslama in le Figaro Magazine, 17 août 2012

[29Ibid

[30Le Monde. 27.09.2012. Stéphane Lacroix est enseignant à Sciences Po Paris. Après une thèse consacrée au salafisme en Arabie saoudite, il travaille actuellement sur les mouvements se réclamant de ce courant de l’islam en Egypte

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