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Celui individualiste, où il est question des droits de l’Homme (2/3),
PARADOXES FONDATEURS ET CONTINUATEURS
« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. » [1]
« Assujettir à des formes légales le droit de résistance à l’oppression est le dernier raffinement de la tyrannie. » [2]
Donner des formes légales et positives à des droits par essence extra légaux et naturels consiste déjà à les entamer. C’est le paradoxe affiché avec indifférence dès 1789 par les révolutionnaires dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, (…) ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme. » [3] À moins que ‘les auspices de l’Être suprême’ ne soient à l’origine de cette conciliation formidable, la Déclaration emporterait-elle donc ici dès sa première phrase la source de ses maux ?
Le deuxième paradoxe quant au contenu de ces droits réside dans la dichotomie entre complémentarité et contradiction : l’absence de certains droits en prive d’autres de leur efficacité (aujourd’hui, les rédacteurs de presse comptent peut-être autant d’ignorants que leur lectorat, mais que serait la liberté de la presse sans le droit à l’instruction ?) ; tandis que certains droits sont en perpétuelle conciliation ou en éternelle contradiction (libertés de manifestation et de circulation ; voir sur ce sujet, l’œuvre critique de Michel Villey). Les droits de l’Homme forment donc une systématique fragile, dont l’efficacité repose pour beaucoup sur d’autres institutions libérales, comme l’État de droit.
Or, au sein de cet État, la traduction juridique des droits de l’homme est d’autant plus minée qu’elle est déclinée dans tout un éventail de droits : à leurs contradictions éventuelles s’ajoutent leurs superpositions. Il existe aujourd’hui ce que l’on pourrait appeler un « fondamentalisme » juridique, consistant à la fois dans un positivisme exacerbé et dans la volonté de hiérarchiser les droits baptisés de « fondamentaux ». Cette onction républicaine s’avère d’autant plus problématique qu’elle rentre en concurrence avec d’autres, régionales voire internationales. Si la consécration des droits de l’Homme représentait un défi en 1789, c’est aujourd’hui leur limitation qui semble inespérée.
Doit-on voir dans ces droits de l’Homme une constitution juridique ? Soit un dispositif destiné à être directement invocable par l’individu et sanctionné par le juge. L’État de droit français n’a su intégrer ces droits qu’au travers de leur reproduction dans une norme plus ou moins élevée, législative ou constitutionnelle. [5] La question de leur contenu positif demeure néanmoins un mystère propre à chaque époque, et l’on peut affirmer sans trop s’avancer qu’il existe finalement autant de droits que de normes : dans le temps comme dans l’espace, ces droits sont juridiquement protéiformes. Ne sachant admettre ‘de droit acquis à une jurisprudence immuable’, je juge ne saurait de même reconnaître aux droits de l’Homme quelque immuabilité. Par conséquent, nous nous en remettons à la piètre opinion qu’un juriste, positiviste, possède de lui même s’il se prétend droit-de-l’hommiste. Celui naturaliste sera concerné par les développements supra.
Cette inscription positive à travers des catégories ne cherchant pas à rendre compte de leur nature hypothétique, mais bien plutôt de leur portée effective, se manifeste : dans la jurisprudence du Conseil d’État, à travers les Principes Généraux du Droit (PGD) ; dans celle du Conseil Constitutionnel, à travers les Principes à Valeur Constitutionnelle (PVC) ; de manière transversale, à travers les Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République (PFRLR). Comment a-t-on qualifié cette action quasi normative du juge dans notre France légicentriste et positiviste ? En « érection d’un Gardien des libertés », annoncée dès la décision liberté d’association (71-44DC), consistant à appliquer libéralement (dans au moins deux sens du terme) des droits de l’Homme n’ayant pas de valeur juridique propre.
Ce sont ces PGD, PVC et PFRLR qui constituent en pratique les « droits des Français », pour reprendre nos développements antérieurs sur Edmund Burke [7] Ces droits sont positifs, concrets, et se rapportent à notre construction nationale. A défaut de droits de l’Homme absolus juridiquement contraignant, nous possédons notre propre ensemble de droits des Français, juridiquement effectifs. [8]
Doit-on y voir une constitution politique ? Soit, alors, un programme où est catalogué l’ensemble des promesses libérales, dont la réalisation constitue le but des gouvernements successifs. Là encore, les droits de l’Homme se font comme ils se défont. Aujourd’hui, le politique mâche les droits jusqu’à en avoir extrait toute saveur électorale et opinioniste. Or, la promesse politique n’a de sanction que celle des urnes ou de l’insurrection. La situation atteint là encore son paradoxe : Qu’est ce qu’une urne lorsque les droits de l’Homme sont vidés de leur substance ? Un exercice de style pour régime autoritaire, qu’il se loge dans une région guinéenne ou sibérienne par exemple. De même, qu’est ce qu’une insurrection pour un tel régime ? Un décrassage de printemps, à moins que ce ne soit un sujet d’humour caucasien.
Dès lors que faut-il faire pour voir cette promesse politique se réaliser ? Pour un électeur, la moindre des politesses est de placer ses espoirs dans la vertu du prochain Pouvoir jusqu’à la désillusion. Pour un insurgé, la moindre des choses sera de réussir son insurrection et de la rebaptiser "Révolution". On distinguera néanmoins révolution et Révolution, cette dernière annihilant société et institutions, tandis que cette première les place dans leur aboutissement historique. L’étymologie de la révolution puise dans l’astronomie l’idée de cycle, d’aboutissement enfin ; si la révolution d’un astre consume la fin d’une rotation autour d’un point et annonce la suivante, elle ne saurait remettre en question le centre de sa rotation et ses repères. En d’autres termes, si un régime politique fait l’objet d’une révolution, ce sont ses institutions qui s’en trouvent bouleversées, mais non la société elle-même. En distinguant ainsi révolutions sociale et politique, nous entendons mettre en parallèle ces deux plans, dissociables et réformables séparément ; agir conjointement sur ces deux plans livre une nation à la nudité la plus totale, lui arrache son tissu social en même temps que son cadre institutionnel. Néanmoins, 1789 fut bien une Révolution, allant jusqu’à se définir un centre et un sens de rotation nouveaux - soient une constitution sociale :
Ou bien doit-on la considérer comme une constitution civile ? Soit, enfin, un corpus de principes réunis en ‘catéchisme’ de société, laquelle est sensée permettre son exercice. La qualification d’une telle entreprise nous échappe et la contribution du lecteur sera la bienvenue : Lorsque l’État envahit l’esprit des individus pour régir leur comportement, comment donc… Un régime autoritaire ? Nous parlons de la Révolution française, cela ne se peut. Non, il s’agit plutôt d’agir sur les principes, sur une certaine éthique sociale, une morale en somme. Si la Révolution n’avait eu sa propre religion, celle de l’Être suprême, nous aurions pu lui reconnaître celle des droits de l’Homme, mais tel n’est bien sûr pas le cas.
Un catéchisme ayant une vocation universelle et son objet étant ici social, qu’en est-il au sein de l’humanité ? La conquête de libertés individuelles, toutes positives, supposait la jouissance d’une liberté-indépendance, toute négative : en d’autres termes, ce qui conditionne tout d’abord la liberté dans le corps social n’est autre que la liberté du corps social. Le droit des peuples à disposer d’eux même, primordial, a donc tout d’abord incarné la devise du personnalisme « la liberté avant tout » (selon E. Mounier). L’appropriation des droits s’est faite collectivement et la collectivité est supposée libre avant ses membres. [10]
Qu’en est-il au sein de cette collectivité ? Le marxisme a montré que cette idéal de liberté indépendance n’est cependant pas de ce monde : à l’intérieur de ces peuples, les individus sont contenus dans des catégories, identifiées chez Marx aux classes sociales. Nous aurions douté de la véracité de cette assertion si toute déclaration des droits ne s’y astreignait elle même : si le genre humain figure dans tout préambule, elle côtoie des majorités, des minorités et les droits des générations ultérieures ne concernent que les travailleurs, la femme, l’enfant, le chômeur, le réfugié, le consommateur etc. C’est là sans doute l’aboutissement du collectivisme : l’intégration des droits en micro collectivités, par de petits comités, au sein d’une même macro collectivité.
Qu’en est-il au sein de ces collectivités ? L’altération des droits est réalisée par l’appropriation de ces droits par une micro collectivité : ce petit public devient sociologiquement un « public réflexif », mettant tout en œuvre pour opacifier cette réflexivité. Soient une allocation parcimonieuse des libertés aux autres collectivités et une inertie institutionnelle face à la réforme. Si la liberté comme outil de domination est donc toute théorisée, sa pratique semblera totalement saugrenue et fantaisiste au lecteur, ce pourquoi nous la frapperons de censure, de peur de perdre les plus aventureux d’entre eux jusqu’ici parvenus.
Une simple question conclura ces développements : Si le problème s’est déplacé au sein de ces catégories, pourquoi ne pas les supprimer ? Cela s’appelle une révolution, qui pour être efficace touche moins à la société qu’aux mœurs. Est-ce seulement possible ? Nous en abandonnons la réponse à l’Histoire et, enfin, à Montesquieu :
« Il y a cette différence entre les lois et les mœurs, que les lois règlent plus les actions du Citoyen, et que les mœurs règlent plus les actions de l’Homme. (…) Ce qu’il y a de singulier, c’est que les Chinois dont la vie est entièrement dirigée par les rites, sont néanmoins le peuple le plus fourbe de la terre. » [11]
Don Quichotte
[1] Robespierre, Lettre à la Convention Nationale du 21 IX 1792
[2] Robespierre, Projet de déclaration du 21 IV 1793
[4] Jacques-Marie Rouzet dans Le Moniteur Tome XXV p.150
[5] Sur la question de la valeur positive de la DDHC, voir la disputatio entre E. Boutmy et G. Jellinek ainsi que les développements juridiques de Carré de Marlberg notamment.
[6] Jean Rivero Les libertés publiques Puf 1974
[7] http://www.lerougeetlenoir.org/les-contemplatives/edmund-burke-tribulations-intellectuelles-du-plus-grand-philosophe-pratique-de-son-epoquePour la continuation de cette critique, nous renvoyons aux œuvres ou à nos articles à venir sur de Maistre, de Bonald, Ballanche.
[8] NB Encore une fois, nul besoin a priori d’en passer par une révolution pour en arriver là.
[9] Propos de François Guizot tenus le 29 XII 1830 à la Chambre des députés, lors d’un discours magistral auquel nous ne pouvons que renvoyer dans son entier http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/Guizot1830.asp
[10] Renvoyons sur ce point à notre précédent article http://www.lerougeetlenoir.org/les-contemplatives/le-liberalisme-i-ii-celui-individualiste-ou-il-est-question-des-droits-de-l-homme-1-3
[11] Montesquieu, L’esprit des Lois Livre XIX Chapitres XVI et XX.
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