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Les spectres de Waterloo

Julien Sorel, anti-héros d’un autre Rouge & le Noir, ne cachait guère l’admiration qu’il portait à celui qui fut artilleur jacobin, général en Italie, fossoyeur du Directoire, Premier consul, Empereur, enfin !
L’Empereur. N’étaient notre catholicisme viscéral et nos penchants légitimistes, peut-être l’admirerions-nous ?

L’Empereur : combien de puissants ressorts d’imagination, derrière ce mot vieux comme le monde, vieux comme la gloire d’Auguste. Uniformes chatoyants, brandebourgs, toques de fourrures, bannières tricolores à franges d’or surmontées de stoïques aigles impériales : la Grande Armée peuple notre mémoire. Du Pont d’Arcole au soleil d’Austerlitz, le rugissement des canons et le cliquetis des baïonnettes émeut le Français. Il vibre, rêve, et combat en esprit.
Ferraillant contre tous, écrasée par les forces coalisées, la France de Bonaparte, à bien des égards, semble poursuivre sa vocation de nation à cotte de mailles. Bonaparte guerroie en Italie, coiffant le heaume de Louis XII et François Ier. Lançant ses grognards contre le S. Empire et les Habsbourg, n’a-t-il pas l’allure d’un nouveau Roi-Soleil ? Lorsqu’il lutte à mort contre Wellington, on croit voir, sous le bicorne du Corse, le halo de gloire des générations de Français combattant l’Anglais honni. De Philippe Auguste à Bonaparte, cette lutte est une constante. On se prend à rêver : Ney ne serait-il pas un nouveau du Guesclin ?
Tous ces sentiments se mêlent, confus, à l’admiration de l’œuvre. L’âme française admire les bâtisseurs : comment, dès lors, demeurer indifférent aux « masses de granite » façonnées par l’esprit de ce militaire, en si peu de temps ? Vue du lointain, l’épopée napoléonienne semble donc poursuivre la vocation de la France « mère des arts, des armes et des lois ». C’est ainsi que nous pleurons à Waterloo. Et peut-être avons-nous tort.

Ce soir, un cortège de fantômes se réunit à Waterloo. Au sommet de la colline, dominant la plaine, un Lion : celui de Wellington. Le formidable félin de bronze entend-il les plaintes des spectres ? Ce ne sont pas les fantômes des grognards ni des hussards de la Grande Armée. Non, ceux-là ont trouvé refuge aux Invalides.
Cette nuit, à Waterloo, se pressent les victimes du vieux monde. Ils sont les sacrifiés de Bonaparte. Une foule d’anonymes. Le Duc d’Enghien, est là, sa capeline porte les stigmates de son exécution, dans les fossés de Vincennes. Georges Cadoudal l’accompagne et, n’était l’aspect spectral du défunt chouan, on verrait encore luire sa crinière de feu. Derrière le « roi du Morbihan », les derniers Chouans, les plus acharnés. Ceux de la rue Saint-Nicaise. Les muscadins cloués par la mitraille devant Saint-Roch. Se tient également le fantôme de Louis de la Rochejaquelein, frère de M ‘sieur Henri. A la tête de 1300 gars du Bocage, il a rejoint son frère dans l’autre vie : c’était à la bataille des Mauthes, en Vendée, treize jours avant Waterloo. Il y a aussi les étrangers. Nous sera-t-il permis d’évoquer Andreas Hofer, le chouan du Tyrol ? Cet aubergiste autrichien, fidèle à Dieu et à l’Empereur, récolta lui aussi sa moisson de balles. Fusillé en 1810, son nom servit d’étendard à la révolte d’un pays refusant les Lumières, le Code Napoléon et le glaive de la Grande Armée. De tous les spectres réunis, Pie VII, le prisonnier de Fontainebleau, est le plus serein. Dès la chute de l’Empereur, il prêchait le pardon.
Mais pardonneront-elles à l’Empereur, ces générations fauchées comme le blé, par celui qui déclarait : « Je n’ai qu’une passion, qu’une maîtresse, c’est la France : je couche avec elle. Elle ne m’a jamais manqué, elle me prodigue son sang et ses trésors. Si j’ai besoin de cinq cent mille hommes, elle me les donne…  » [1] ?
Autour du Lion de Waterloo, les spectres ne pleurent pas. Ils allument une bougie. Sa petite flamme n’a pas la puissance du feu d’artillerie, mais s’élève vers le soleil que l’on voit déjà poindre à l’aube. Les grognards vénéraient le soleil d’Austerliz, les spectres adorent Celui qui ne périt point et qui donne la vie éternelle. Ils recherchent la vraie gloire, celle qui ne passe pas.


[1Bonaparte me disait. Conversations notées par Roederer, Le Roman de l’Histoire, Horizons de France, Paris, 1942, p. 128.

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