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Comme cela était prévisible, la Chambre des Lords britannique a ouvert hier la porte au projet de loi du mariage homosexuel, en rejetant un amendement visant à le repousser par 390 voix contre 148. A l’instar de ce qui s’est déroulé à la Chambre des Communes, la moitié des parlementaires conservateurs se sont opposés au mariage gay, pourtant imposé par leur parti.
Quelques incertitudes planaient cependant sur l’issue du scrutin. Le Lord indépendant Geoffrey Dear, ancien officier de police, et le Lord conservateur Norman Tebbit, se faisaient fort de convaincre leurs collègues de rejeter le texte. Mais c’est surtout autour des évêques anglicans que s’est joué en coulisses une bataille d’influence : l’Eglise d’Angleterre étant une Eglise d’Etat, soumise au pouvoir politique, et « faisant partie des meubles », comme l’a résumé un prêtre, vingt-six de ses évêques siègent à la Chambre des Lords en tant que parlementaires, sous le nom de « Lords spirituels ».
Officiellement, l’Eglise d’Angleterre est contre le mariage homosexuel, malgré le militantisme agressif de plusieurs membres du clergé, tel l’évêque de Salisbury Nicholas Holtam, en sa faveur. Surfant sur cette division interne, et profitant de l’absence de l’archevêque de York, John Sentamu, opposant au mariage gay et actuellement hospitalisé, le gouvernement a fait pression sur les évêques pour qu’ils s’abstiennent. David Cameron craignait notamment que l’archevêque de Canterbury Justin Welby, choisi par ses services pour sa ligne consensuelle, ne prenne la tête de la contestation, et ne fasse voter les évêques en bloc.
Finalement, les évêques furent libre de voter « selon leur conscience », ce qui est caractéristique de l’anglicanisme aujourd’hui : faute d’une source d’autorité (la figure de l’archevêque de Canterbury a été progressivement remplacée par des synodes décentralisés et « démocratiques », et par le Parlement) un anglican peut choisir ce qu’il veut en matière spirituelle, être un ultralibéral, un évangélique, un anglo-catholique, assister à des messes presque tridentines ou à des réunions de prière informelles, croire qu’il y a deux ou sept sacrements, nier ou craindre l’Enfer etc.
L’archevêque Justin Welby, pressé d’entrer en résistance par les responsables des Eglises évangéliques, qui cultivent une relation à la fois proche et distante avec leur grande sœur anglicane, délivra un discours, mesuré pour un Français, mais virulent pour un Britannique, contre le projet de loi [1]. Le mariage homosexuel, dit-il, « confond le mariage et les noces (weddings). (...) Il suppose que le désir légitime d’égalité - que je soutiens - doit signifier uniformité, à défaut de comprendre que deux choses peuvent être égales mais différentes. (...) Le concept du mariage comme un lieu normatif pour la procréation est perdu. (...) La famille dans son sens normal, antérieure à l’Etat et communauté de base de la société - comme nous l’avons déjà entendu - est affaiblie. (...) Ce n’est pas une question de foi, même si nous sommes reconnaissants de l’attention que le gouvernement porte pour les questions de liberté religieuse. Ce n’est pas, au fond, une question de foi, c’est au sujet du bien social général. »
L’archevêque ne pouvait pas être entendu, compte tenu du niveau élevé de relativisme de ses interlocuteurs. Un relativisme qui a largement contaminé le christianisme britannique, dans ses expressions anglicane, presbytérienne, mais hélas aussi catholique : plusieurs parlementaires catholiques ont voté pour le mariage gay - même si l’Eglise, par sa parole unique et ses évêques unis, a mieux résisté que la communauté anglicane. Pour preuve, la déclaration du Lord travailliste Chris Smith, ouvertement gay : « Je suis aussi un chrétien, et je crois en un Dieu aimant, tolérant et généreux qui veut accueillir les gens et non les rejeter. » [2]
Bref, le combat était perdu d’avance (d’autant qu’adoption, PMA et mères porteuses avaient déjà été acquises), sur fond d’une large indifférence de l’opinion publique, qui tranche avec la passion qui a animé la France pendant plusieurs mois. Flegmatiques, étrangers à la culture des manifestations, confiants dans leur Parlement, les opposants britanniques paient le prix d’une certaine résignation. David Cameron a imposé le mariage gay, unique horizon contemporain du progressisme et de la modernité, et peut passer à autre chose, malgré les ressentiments de sa base électorale âgée et traditionaliste, qui pourrait ne pas lui pardonner son passage en force, en votant pour le parti UKIP aux prochaines élection de 2015.
Pour la forme, saluons tout de même l’intervention de Lord Richard Dannatt, ancien chef d’état-major de l’armée britannique de 2006 à 2009, qui dénonça dans la dénaturation du mariage par le Parlement un déni de démocratie : « Nous nous sommes battus pour l’urne (the ballot box : le règlement du conflit par les élections, Ndt) pendant 38 ans en Irlande du Nord. Nous avons soutenu la démocratie contre le communisme pendant 44 ans en Europe. Nous avons soutenu le droit démocratique à l’auto-détermination des Malouines en 1982, et nous le faisons encore. A présent, en tant que parlementaire, je suis sommé d’accepter un abus du processus démocratique, et je ne le ferai pas. »
Il y a quelques années, le général Dannatt avait déploré dans une interview au Daily Mail « la société post-chrétienne » et le « vide spirituel », qui faisait le lit de l’islamisme en Grande-Bretagne. Il faudra bien que ces sentinelles soient un jour écoutées.
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