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Le symbole dans le christianisme

21 février 2014 André Samengrelo

L’une des grandes composantes du drame qui se joue aujourd’hui dans l’usage qui est fait de la liturgie romaine tient certainement aux volontés des uns et des autres d’ajouter du « symbole » dans les célébrations qui animent les églises en Occident. Nous nous contenterons de mentionner cette pratique entretenue dans le diocèse de Starsbourg, l’un des plus grands naufrages de notre époque, qui consiste, à la fin de la messe de la Pentecôte, à « briser une cruche » pour en partager les morceaux parmi les divers notables de la paroisse, occupés au catéchisme, à « l’animation liturgique », au fleurissement, etc. La chose est censée symboliser la diffusion de l’Esprit Saint parmi les hommes. Passons sur le fait que, si le Paraclet se répand effectivement parmi les hommes, ce n’est certainement pas en se fragmentant sous des coups de maillet. Cet évènement répond au doux nom de « signe symbolique », et au-delà de la tautologie fort médiocre de la formule, il importe de se demander comment on a pu en arriver, de nos jours, à considérer que casser une cruche soit un geste qui dise quelque chose du Roi Céleste et Consolateur qui emplit tout ? On terminera en disant qu’il y a bien, dans la bible, un épisode où une cruche est brisée (Jr 19, 1) : elle est donnée par l’Éternel à Son prophète Jérémie comme symbole de la dispersion des impies. Où l’on voit qu’à l’inventivité symbolique s’ajoute souvent une ignorance qui finit en ridicule.
Il faut en effet rappeler que le symbole est absolument capital dans le christianisme, il est au fondement même de tout culte rendu au Seigneur. Dès lors, s’agirait-il de considérer que le bouillonnement actuel dans la génération de « symboles » est un mouvement mal compris par les représentants du traditionalisme liturgique, et auquel il faudrait concéder le droit de se réapproprier cet impératif chrétien ? Certainement non, et, nous le verrons, la conception actuelle du symbole n’a que peu à voir avec celle que les Pères avaient.

Il est opportun de rappeler l’étymologie du mot pour en bien saisir le sens premier. En grec, συμβαλλειν est composé du préfixe συμ-, qui signifie « avec » et du radical verbal βαλλειν, qui signifie « jeter ». Le σύμβολον est au départ un objet brisé en deux qui, rejointoyé par deux personnes, leur permet de s’identifier comme membres d’une même famille, d’un même clan, d’un même parti. L’objet propre du symbole est donc de permettre à deux personnes de rentrer en contact par-dessus l’abîme d’inconnu qui peut les séparer. Dans la théologie chrétienne, cette séparation que crée l’inconnu ne pourra que venir recouvrir celle qui sépare l’homme fini et déchu du Dieu Infini et Incorruptible. Le symbole chrétien sera donc ce qui permet à l’homme de s’ordonner à la réunion avec son Créateur, et il est d’autant plus nécessaire que les Pères, eux, avaient conscience de l’infinie médiocrité de la nature humaine, et de son éloignement de Dieu. Mais les aspirations très modestes qu’a alors la raison humaine face au mystère divin, qui contrastent fortement avec les ambitions théosophiques qui se feront jour en Occident plusieurs siècles plus tard, impliquent que la puissance du symbole a une nature radicalement différente de la connaissance de Dieu : ce n’est pas l’homme qui, par son intelligence, lit dans le geste ou l’objet un peu du savoir qu’il convient de posséder sur Dieu, ce qui se rapprocherait dangereusement du gnosticisme. Cela est d’autant plus vrai que le symbole est aussi, étymologiquement, l’inverse exact du Diable, qui « jette entre » et divise : par son action maligne, le démon nous sépare de Dieu. Cette antonymie permet sans doute de faire comprendre que le symbole procède surtout de la volonté de Dieu de nous permettre de nous joindre à Lui. C’est donc l’Église qui utilise avec humilité les moyens qu’elle a reçus de Lui à ce dessein. Il faut donc admettre premièrement la radicale indisponibilité du fonctionnement du symbole à l’homme : celui-ci vient de Dieu, et procède sur un mode étranger à la finitude humaine.

Il en va ainsi de l’icône, à laquelle on accole souvent une grande incompréhension du sens du symbole. L’icône ne « symbolise » pas le saint qu’elle peint : elle le représente dans des règles picturales détachées des impératifs de réalisme (anatomie, perspective…) qui sont la marque de l’art séculier, précisément pour le sortir de la matérialité nécessaire à la vie humaine. De même, la ressemblance avec le saint lui-même est toujours atténuée par l’absence de réalisme anatomique. Enfin, pour éviter tout particularisme, la tradition n’était pas, initialement, de représenter les instruments du martyre ou des objets reliés à la vie du saint sur l’icône : les martyrs sont représentés avec la croix, car c’est la ressemblance avec le Seigneur, dans l’abandon de la vie terrestre, qui les a rendus saints. La représentation de sainte Catherine avec une roue ou de sainte Lucie avec ses yeux dans une écuelle est relativement tardive dans l’histoire de l’iconographie, et n’est pas perçue, dans les écoles traditionnelles, comme nécessaire [1]. L’icône montre la personne déifiée, ayant fait sa chair, sa personnalité, qui font sa mortalité et son particularisme, parfaitement transparents à l’amour divin unique qui réside en chaque homme. C’est pour cela que l’icône ne procède pas de l’idolâtrie, car embrasser une icône revient, en demandant au saint son intercession, à adorer la cause de la sainteté qui est directement visible à travers ce qui est montré du saint. L’icône est donc symbole car elle crée une fenêtre sur l’amour divin.

Saint Herman d’Alaska

Affirmons donc dès à présent une caractéristique essentielle du symbole chrétien : dans ce sens, le symbole n’est jamais symbole « de quelque chose », il ne symbolise pas quelque chose, contrairement à ce que peut par exemple laisser penser l’expression « Symbole de la foi », l’autre nom du Credo. Le symbole de Nicée-Constantinople n’est pas symbole de la foi au sens où il symboliserait la foi : il ne la symbolise pas, il EST la foi. Il est appelé symbole car, à travers son évocation de la Trinité Consubstantielle et Indivisible, l’homme qui le confesse rend le culte et l’adoration que le Christ définit pour résoudre le conflit entre Juifs et Samaritains, et, par-là, s’unit à son Seigneur. L’action qu’accomplit le symbole n’est pas de représenter, contrairement à ce que la quasi-synonymie actuelle laisse croire, elle est de rapprocher l’homme de Dieu selon les termes de l’Alliance nouvelle qui a été établie. Ce rapport se fait par la représentation d’une humanité transfigurée dans l’icône, et par l’énonciation du contenu de la Révélation qui est Salut de l’homme dans le Credo, mais, dans les deux cas, repose sur la mise en contact de l’homme avec son Créateur.

C’est là que réside la différence incompressible avec la compréhension contemporaine du mot « symbole ». Dans un sens tout autre, le symbole est un objet ou un geste qui renvoie vers une réalité supérieure : c’est l’usage qui est fait par les pythagoriciens de ce terme, et le « symbolum » romain aura aussi, entre autres, ce sens-là. Le symbole, par la suite, rentre dans le vocabulaire artistique pour être toute chose qui représente une valeur, un sentiment, etc. : la rose est le « symbole » de l’amour, les nuages gris « symbolisent » les états d’âme du locuteur – il y a mille exemples de déclinaisons de ce qu’est le symbole dans cette compréhension-là, ce n’est pas notre objet de les détailler à l’infini. Il faut simplement insister sur la radicale inconciliabilité des deux acceptions du mot symbole que nous avons évoquées : si leur principe commun est de mettre en rapport, d’unir deux éléments, le symbole chrétien rapproche l’homme de Dieu, le symbole ésotérique, poétique, rapproche un signifiant d’un signifié.

En bannissant le second de la célébration chrétienne qui se fonde sur l’usage du premier, l’on gagnera en clarté : on verra peut-être que si l’on peut dire que le pain et le vin sont des « symboles » du Très Saint Corps et du Très Précieux Sang de notre Seigneur, c’est précisément parce que le symbole n’est pas qu’une image abstraite, mais bien, dans une perspective chrétienne, une réalité vivante qui nous lie à Dieu [2]. Alors, on saura aussi que la liturgie toute entière participe à cette union à Dieu, et non pas seulement la consécration et la communion. Alors aussi, on cessera de rajouter à la liturgie des gestes, des décors qui ne seraient pas exclusivement tournés vers la manifestation de cette venue de Dieu dans le monde, dans la chair et en Esprit.


[1Une version antérieure de cet article affirmait à l’inverse que la représentation des instruments du martyre faisait partie de la tradition de l’icône.

[2Le p. Alexandre Schmemann insiste beaucoup sur ce point dans L’eucharistie : sacrement du royaume.

21 février 2014 André Samengrelo

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