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La pratique de l’histoire est une passion française. Mais finalement, personne ne sait plus à quelles fins utiles si ce n’est, au mieux, témoigner d’un folklore et entretenir une mémoire qu’on a déracinée pour rassurer, ou au pire, mettre en lumière ce que les hommes peuvent avoir commis de répréhensible.
En république, chercher, démêler, comprendre, est une activité pratiquée sans relâche depuis le XIXe siècle. Sous la monarchie française, et depuis la république romaine, on ajoute à ce triptyque des notions oubliées : tirer exemples, transmettre, hériter.
Philippe Auguste et sa cour itinérante transportaient, au milieu de l’or et des diplômes, les archives de son règne destinées à l’édification de ses successeurs. Il confirme le postulat suivant : l’histoire est ce que l’homme français peut compter de plus grand trésor. Hommes et femmes de ce temps, s’interroger sur l’enseignement de l’Histoire et plus spécifiquement sur la manière dont elle est enseignée depuis le XIXe siècle, relève d’une impérieuse question de civilisation. C’est ce que nos enfants apprennent des ancêtres qui irriguera leur manière de vivre.
Si je vous disais que l’histoire est mieux enseignée en 1880 qu’en 2015, vous me diriez : évidemment, on n’avait pas ôté Clovis des programmes scolaires. Bien au-delà de cette — juste — considération, il est à noter que l’historicisme français naît avec un homme particulier. Michelet, l’historien aimé et détesté tant en son temps qu’à nos jours. Aimé pour ses pages excellentes sur le Moyen Âge dont Jacques Bainville dira qu’elles « sont dignes d’être lues et donnent une impression juste » [1], détesté pour son manque de rigueur sur les sujets qui agitèrent les débuts de la république et le quasi-journalisme de ses cours « philosophiques » destinés à fonder l’idée combien célèbre d’histoire officielle.
À la mort de Jules Michelet, le protestant Charles Seignobos a vingt ans. Tout empreint de l’historiographie de son siècle dont il s’éloigne et des idées positivistes comtiennes, il appréhende la pratique de l’histoire autour d’une idée finalement peu extraordinaire et très antique : « L’histoire enseigne le procédé le plus efficace, qui est de s’entendre avec d’autres hommes animés des mêmes intentions pour travailler de concert à transformer l’opinion » [2].
Selon Seignobos, l’histoire n’a de valeur que si l’on s’en sert, et l’historien doit rendre compte des faits exacts sans les interpréter. Exemple : Jeanne d’Arc est une femme affranchie du pouvoir royal et rôtie par le clergé. Véridique en droit positif, mais l’essence n’y a pas sa place. La IIIe République, fragile et instable, doit puiser dans l’histoire un renfort. La recherche de la vérité étant ainsi subordonnée à l’utilité des hommes, on retrouve ce positivisme comtien que l’on appelle l’école méthodique. Cette école, comme tous les positivismes, est conduite par une théorie parfaite dont on dévie nécessairement parce que le seul véritable positivisme immuable, objectif et éternel : c’est Dieu. Elle conduit à l’histoire comme instrument d’une caste pour asseoir un pouvoir souvent illégitime.
L’histoire échappe au zoroastrisme suivant : il existe une bonne manière de faire, et une mauvaise manière de faire. L’histoire est, en principe, un byzantinisme extraordinaire, ordonnée par une casuistique sans fin qui, contrairement au domaine religieux, n’éloigne pas à force de paroles mais rapproche de cette vérité chère.
Intéressons-nous à l’historiographie moderne : celle qui fait force de loi dans nos écoles depuis soixante ans est intéressante de subversion. Lucien Febvre est un historien né un peu plus de vingt ans après Seignobos. Il fonde avec Marc Bloch, un autre historien renommé de son temps, l’école des Annales en 1929 dont l’approche est fondamentalement anti-positiviste et puise paradoxalement dans ce que l’on appelle la philosophie durkheimienne : l’histoire doit être mise en relation avec la sociologie — Lucien Febvre y embrasse davantage que l’histoire, — la psychologie, l’économie, et toutes les autres sciences sociales en dépassant et renouvelant sans cesse les méthodes et les idées fixes ; mais elle doit aussi s’intéresser aux comportements individuels, refuser la monstration des héros, des rois, des guerriers, des prêcheurs de foules, finalement les événements qui, selon eux recontextualisés, n’ont pas vocation éternelle à guider ceux qui lisent l’histoire à une autre époque. Clovis, Jeanne d’Arc, Bayard et tous les nôtres, ne servent plus à rien. Une méthodologie, rien de plus, que l’histoire mêlée à des sciences sociales informelles doit servir. Est-ce seulement cela, raconter sa terre ?
Au XXIe siècle, la méthodologie en tant que pilier des sciences sociales — l’histoire en étant devenue une — doit se borner à la raison. La science dit comment, jamais pourquoi. C’est la naissance du modernisme historique auquel s’ajoute de fait le corollaire rationaliste d’une histoire vide de tout sens bien peu muée — pas du tout — par un commandement supérieur.
Pour exemple, dans son livre Les rois thaumaturges, le cofondateur de l’école des Annales Marc Bloch conclut à une erreur collective lorsque les foules croient que le roi guérit les écrouelles. Comme susmentionné, les héros qui jalonnent notre histoire ne sont plus investis d’une mission divine, et sont presque des escrocs que les historiens doivent démasquer. Les grands événements de l’histoire de France comme la bataille de Bouvines dont nous fêtions les 800 ans l’an dernier, n’ont plus vocation à guider mais s’inscrivent dans un déroulé sans que l’homme ne puisse s’en inspirer dans la construction du présent et de l’avenir.
Philippe Auguste, dont les archives furent perdues dans la bataille de Fréteval, n’a pas à se lamenter : elles eurent été étudiées aujourd’hui sans convier à la transmission d’un héritage, comme l’était son souhait. Contrairement aux laborantins de l’histoire moderne, à nous de nous éduquer à la connaissance de nos prédécesseurs, à en tirer enseignement, à nous abreuver vraiment de l’eau tirée du puits sans nous suffire à la contempler de loin.
[1] Jacques Bainville, Histoire de France.
[2] Charles Seignobos, L’enseignement de l’histoire comme instrument d’éducation politique.
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