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S’il est un mot dont l’étoile ne cesse de briller, c’est bien la mémoire. Elle est sur toutes les lèvres. Devoir de mémoire, lois mémorielles, commémorations en pagaille : la mémoire se conjugue au gré des facéties des communicants et de l’habileté des politiques. On croit connaître ce mot, car on l’invoque sans modération.
Pourtant, la longue mémoire, celle des racines, est désertée. Au mieux ignorée des discours officiels et des pédagogies, au pire brocardée et combattue par les partisans du déracinement et du nomadisme mental, la mémoire est un enjeu vital.
La mémoire est affaire de collectivité. Elle est ce lien intrinsèque entre une personne et l’histoire de son milieu, de son environnement. La mémoire est nécessairement liée aux racines. La philosophe Simone Weil qualifie l’enracinement de « besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir. Participation naturelle, c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie » [1].
Entendons-nous bien, la mémoire dont nous parlons n’est pas la synthèse des souvenirs à l’échelle d’une vie humaine ; elle puise son eau vive plus profondément, par-delà les générations, dont elle exprime le lien invisible. La mémoire participe de cette nécessaire expression, rendant palpables les legs du passé aux yeux des générations présentes et à venir. Cette expression est polymorphe : nous retrouvons le fil d’Ariane de notre mémoire aussi bien en parcourant une vieille bibliothèque de classiques qu’en tombant nez à nez avec un monument aux morts. Ces images peuvent sembler figées ; en dépit des apparences, elles ne le sont guère. Les pages des livres anciens méritent d’être caressées et lues à nouveau, puis transmises à leur tour ; les cénotaphes des héros militaires sont véritablement vivants, si nous laissons nos cœurs vibrer à l’évocation des hommes tombés au champ d’honneur. Car derrière les mots, derrière les lettres d’encre couchées sur papier ou gravées sur un sombre grès, se cachent des vies ; achevées, certes, mais ô combien éclairantes ! Les morts ne sont rien d’autre que les éclaireurs de notre temps ; la mémoire n’est que la transmission d’un flambeau.
Ce qu’éclaire la mémoire, c’est la communauté naturelle à laquelle nous appartenons tous, à des degrés divers : la famille, la commune, le corps de métier, la province et la nation qui, sous l’ancien droit, était appréhendée comme la famille des familles. Enfin, la civilisation recouvre la réalité d’une communion culturelle entre nations plus ou moins parentes.
Ainsi, la mémoire concilie la verticalité et l’horizontalité. Verticalité du lien transcendant les génération passées, présentes et à venir ; horizontalité des rapports entre personnes conscientes de leur appartenance naturelle à une communauté, et récusant ainsi la sécheresse spirituelle et mentale d’une société atomisée d’individus déracinés.
Le retour à la mémoire collective est nécessaire ; le mode opératoire n’est pas des plus complexes, mais il est exigeant : il implique de redonner vie aux solidarités naturelles entre personnes humaines à chaque échelon social. Or, ces structures – de la famille à la nation - ont toutes subi de récurrents assauts. Elles doivent être restaurées, en se gardant bien de tomber dans l’écueil d’une recréation pseudo-archéologique d’objets figés dans le passé. « La tradition n’est pas le passé, écrivait Venner, mais ce ce qui ne passe pas ».
Faisons donc vivre les structures organiques essentielles qui, hier comme aujourd’hui, font de l’être humain un animal politique. Au sein de la communauté, la mémoire est l’artère invisible et mentale insufflant aux branchages et aux feuilles la sève des « racines profondes » – lesquelles, selon l’admirable expression de Tolkien, « ne gèlent jamais ».
[1] Simone Weil, L’enracinement, p. 61
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