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L’université, une invention chrétienne

De la même façon qu’on a disqualifié l’art médiéval en le qualifiant de « gothique », on persiste encore, sous l’influence de la pensée humaniste de la Renaissance et des Lumières, à considérer que la vie intellectuelle et culturelle de l’époque médiévale fut particulièrement rustre - surtout en Occident, pour l’opposer aux mondes byzantin et musulman. Pourtant, il existe une institution dont le monde moderne est particulièrement fier et qui est une invention purement médiévale : l’université. Mieux encore : cette institution de savoir et de culture, qui incarne beaucoup de ce que notre époque tient pour indépassable - l’ouverture, l’innovation, le progressisme, la diversité, la laïcité -, fut avant tout une invention chrétienne. Puisque cette idée doit sembler étrange à plus d’un, et que la France compte aujourd’hui près de trois millions d’étudiants inscrits à l’université, il nous a semblé intéressant de revenir sur ses origines historiques et de montrer que, dans sa naissance même comme dans son développement, rien n’y a été dissociable du christianisme.

La naissance de l’université en Europe : un affranchissement de la tutelle épiscopale

Au début du mouvement de fondation des universités, se trouvent certaines écoles, notamment des écoles cathédrales ou épiscopales. L’école épiscopale est, au XIe siècle, l’institution scolaire urbaine par excellence. Sous l’autorité de l’évêque et de son chancelier, autour de la cathédrale et de son cloître, elle dispense un enseignement varié et religieux. La situation scolaire dans les grandes villes d’Europe, comme Paris, est conforme aux obligations définies dans le 18e canon du IIIe concile du Latran, réuni en 1179 : chaque cathédrale doit entretenir un maître, ou écolâtre, et c’est l’évêque et son chancelier qui contrôlent et délivrent la licentia ubique docendi, l’« autorisation d’enseigner partout », c’est-à-dire dans l’ensemble de la Chrétienté. Ce canon marque la compétence de l’Église, et plus précisément de l’évêque, en matière d’enseignement.
Ce monopole épiscopal allait être brisé dès le début du XIIe siècle. La première université, celle qu’on appelle pour cette raison la « mère nourricière des études » (Alma Mater studiorum), naît à Bologne à la fin du XIe siècle. Des juristes viennent de redécouvrir le droit romain dit justinien, une importante compilation juridique commandée par l’empereur Justinien, au début du VIe siècle, et décident de s’associer pour le commenter, en dehors de la tutelle de l’évêque, qui détient normalement le monopole scolaire. La date de 1088 est traditionnellement retenue pour marquer cette première rupture avec l’école cathédrale. Conscients de faire partie d’un même groupe social et d’avoir en commun des intérêts distincts de ceux de la population des villes où ils étaient installées, maîtres et étudiants se regroupèrent au sein d’institutions autonomes de type corporatif, qui ont pris le nom d’universités [1].
À ses origines, le terme latin universitas désigne simplement une « association » : celle des « maîtres du savoir » entre eux, sur le modèle d’autres structures collectives médiévales comme les corporations de métier, les guildes ou les confréries [2]. Toutefois, universitas fut rapidement associé au sens que l’on donne au mot aujourd’hui : une structure ouverte et « universelle », rassemblant les clercs de toute la Chrétienté, de l’Angleterre à l’Italie, de l’Espagne à la Germanie, puis s’étendant jusqu’aux confins du monde slave. L’université de Paris a ainsi rapidement divisé ses étudiants entre quatre « nations », selon leur origine, réparties entre la France (à laquelle on associe les Méridionaux), la Normandie, la Picardie (et les Flamands) et l’Angleterre (à laquelle on associe les Allemands). Les nations deviennent véritablement le groupement où s’exprime le mieux l’aspect proprement communautaire de la vie universitaire.
Cette association vise à organiser le métier d’enseignant, sur le modèle des autres professions : les statuts de l’université fixent les exigences de formation, le mode de rémunération, les contenus enseignés et la défense des privilèges des maîtres et des étudiants. Certains aspects de son organisation ont perduré jusqu’à aujourd’hui, comme le système de collation des grades universitaires (Baccalauréat, Licence, Maîtrise ou Doctorat), qui ponctuait des études longues, entre six à quinze ans, et qui n’est pas sans rappeler notre actuel système « LMD [3] ». Mais l’on oublie souvent de dire que ces maîtres et étudiants étaient tous, exclusivement, des clercs et, à ce titre, leur principal privilège était celui du for ecclésiastique, c’est-à-dire qu’ils prétendaient ne dépendre que des justices d’Église et ses tribunaux.

Le cardinal Robert de Courçon et la création de l’université de Paris

Succédant à Bologne, l’université de Paris fut la seconde université de l’histoire : sa naissance fut tumultueuse, ponctuée de conflits entre les étudiants, les bourgeois, le prévôt royal et le chancelier de l’évêque. Mais la papauté ne cessa de lui apporter son soutien car elle souhaitait en faire la « mère de la théologie » pour toute la Chrétienté. Le conflit portait principalement sur l’attribution de la licentia docendi, privilège de l’évêque disputé par les maîtres. Dès 1211, un conflit sur un serment de fidélité dû par les maîtres à l’évêque et sur la licentia docendi que le chancelier veut attribuer à sa guise, est porté devant Innocent III. Pour appuyer leurs revendications, les maîtres ès arts, suivis de leurs élèves, quittent l’île de la Cité pour la colline Sainte-Geneviève. Décision historique s’il en fut : c’est de cette date que ce Quartier se mit à parler latin.
C’est dans ce contexte que l’université de Paris reçut ses premiers statuts en 1215 du légat d’Innocent III, le cardinal Robert de Courçon. Ces statuts sont les plus anciens documents existant pour l’université de Paris et sanctionnent la création d’une universitas, c’est-à-dire d’une collectivité qui a le droit d’agir en justice, qui est reconnue par l’Église et l’État royal, peut élire des chefs et créer ou modifier ses statuts [4]. Ainsi, le chancelier doit accorder la licence aux candidats présentés par l’université, sans exiger d’eux ni argent, ni serment individuel et de fidélité. La papauté comme la royauté y trouvaient son compte : la centralisation de leur pouvoir créait un besoin nouveau d’avoir un personnel efficace et cultivé, maîtrisant le droit civil ou canon. De leur côté, les maîtres prenaient peu à peu conscience de la nécessité de s’organiser en une corporation, dans un but double. D’abord imposer des programmes et un cursus communs aux écoles qui s’étaient multipliées à Paris, ainsi que des règles contre la concurrence. Ensuite, se dégager d’une double tutelle : celle du prévôt du roi d’abord, qui était souvent défavorable aux écoliers dans leurs différends avec les bourgeois de Paris, mais également celle de l’évêque de Paris qui faisait payer et contrôlait l’obtention de la licentia docendi.
Ces statuts sont loin de l’idée qu’on se fait actuellement d’une université et tous ces préjugés qui veulent faire de l’université quelque chose qu’elle n’était pas à son origine. Dans l’université actuelle, l’autonomie des étudiants prime, laissés à eux-mêmes face à une administration impersonnelle et des professeurs lointains et souvent inaccessibles. À l’inverse, les statuts de 1215 reconduisent la réalité de l’enseignement telle que se pratiquait au Moyen Âge et stipulent ainsi que chaque maître en arts libéraux a juridiction (le for) sur son écolier : il dispose d’un pouvoir disciplinaire qui lui permet de le surveiller, contraindre et corriger. Bien souvent, les parents placent eux-mêmes leur fils entre les mains du maître, et le maître dispose ainsi d’un fragment de l’autorité paternelle. Pareillement, la vie étudiante n’est pas libre : dans la lignée des statuts de corporation, les statuts de Robert de Courçon accordent une grande part à l’organisation de la vie quotidienne des écoliers et des maîtres. Certaines dispositions touchent même à la réglementation des pratiques vestimentaires et obligent le port d’une cape noire, rappelant leur statut de clerc [5]. Les cours sont également réglementés : l’enseignement se fonde et se déroule selon la lectio, c’est-à-dire le commentaire méticuleux d’un texte d’autorité choisi par les maîtres des écoles. L’explication des textes canoniques obéissait à des règles strictes et par ce fait même à contribué à la formation d’un comportement intellectuel que l’on désigna sous le terme de scolastique [6]. Les statuts de Robert de Courçon, s’ils mentionnent les textes obligatoires pour les arts, interdisent également d’enseigner certaines œuvres, dans le cadre des cours, notamment la « Métaphysique et les livres de philosophie naturelle d’Aristote ». Cette prescription est curieuse car elle ne touche que l’enseignement des Arts, et non celui de la théologie [7]. En outre les statuts interdisent l’étude dans les écoles des textes de deux maîtres parisiens, condamnés en 1210 au concile de Sens : « maître David de Dinant et Amauri » de Bène, très inspirés d’Aristote et qui avaient nié l’idée de Création du monde par Dieu mais aussi celle de la Résurrection des corps.

Le rôle de la papauté dans le développement de l’université

Le règlement du différend entre les maîtres de l’université et l’évêque de Paris, en 1212-1213, fut donc permis par l’intervention pontificale qui prit l’affaire en main à travers son légat Robert de Courçon, qui agissait sur mandat spécial du pape. C’est donc grâce à l’appui de la papauté et de la royauté que purent être définis ces premiers statuts de l’université de Paris. La politique scolaire de la papauté, et en particulier d’Innocent III, fut le meilleur allié des maîtres parisiens et était indispensable à la création de l’université de Paris. Cette politique n’était cependant pas désintéressée puisque les universités permettaient de doter la chrétienté de grands centres d’études et d’enseignement théologique pour lutter contre la recrudescence des hérésies. La spécialisation de Paris comme centre universitaire majeur pour l’étude des arts libéraux et surtout de la théologie fut renforcée en 1215 par la bulle d’Honorius III, Super speculam, qui y interdisait l’étude du droit romain (qui devint dès lors la spécialité d’Orléans) et y limitait l’enseignement de la médecine. Aider à la création de l’université de Paris permettait en outre au pape de lutter contre les forces locales, laïques comme ecclésiastiques, et de renforcer la centralisation de l’Église.
Ces premiers statuts ne mirent cependant pas fin aux résistances de l’évêque de Paris et de ses auxiliaires. En 1219 et 1220, ce dernier interdit les associations jurées de maîtres et d’étudiants, c’est-à-dire ce qui constituait le lien constitutif de l’université. Une nouvelle crise intervint encore dans les années 1229-1230, à la suite du meurtre de quelques étudiants, pris dans une bagarre avec les sergents royaux, que ni le roi, ni la justice épiscopale ne voulurent régler. Devant ce refus, les maîtres et étudiants firent une grève des cours et quittèrent la ville pour d’autres centres d’études. Ils se dispersèrent dans les villes du Nord, en Angleterre, à Toulouse. Comme l’université est encore une pure communauté, sans lieux fixes ou « bâtiments officiels » abritant ses membres, la dispersion est rendue possible. Cette stratégie fut efficace : Paris perdait ainsi un groupe social important à son prestige, à son économie et à sa vie intellectuelle.
Afin de régler ces nouveaux conflits, qui entravaient le développement de l’université, le pape Grégoire IX (1227-1249) se saisit de la situation et fulmina la bulle Parens scientiarum en 1231, qui rappelait les dispositions arrêtées en 1215, garantissant l’autonomie de l’université. Cette bulle arriva opportunément : face à l’hostilité des pouvoirs en place, les étudiants et les maîtres de l’université de Paris ont recherché la protection du pape. L’université obtient le droit de se donner des statuts qui réglementent son fonctionnement interne comme l’organisation de l’enseignement et l’entraide ; elle a le droit d’exiger de ses membres un serment d’obéissance à ces statuts, ainsi que d’exclure les récalcitrants. Grégoire XI légitime ainsi les statuts de l’Université et, surtout, la place sous la protection directe de la papauté, face aux empiètements du pouvoir royal et épiscopal, ce dernier restant jaloux d’avoir perdu son monopole sur l’enseignement. L’autonomie de l’université est donc relative : si les maîtres et les étudiants se sont successivement affranchis de la tutelle du pouvoir civil, puis de celle de l’autorité religieuse locale, c’était pour trouver un protecteur plus éloigné mais aussi plus puissant, le pape.

La diffusion et le succès du modèle universitaire

Les années 1230-1280 marquent l’apogée de l’université de Paris, qui devait compter entre cinq et dix mille étudiants. Les statuts de Robert de Courçon puis de Grégoire IX, avec les différents privilèges accordés à l’ensemble des maîtres, servirent de modèle à de nombreuses fondations d’universités ultérieurement. En effet, inspirées par ce premier exemple, les communautés étudiantes de toute la Chrétienté se formèrent ainsi en universités tout au long du « beau XIIIe siècle » et, toujours, sous la protection de Rome [8] : en Angleterre, à Oxford, entre 1225 et 1230 ; à Montpellier, en 1221, où s’enseignèrent surtout la médecine et le droit ; à Toulouse, en 1229, à la suite du traité de Paris, de manière à implanter en pays cathare un centre de défense de la doctrine orthodoxe. L’essor est général et l’Europe se couvre d’universités : Lisbonne (1288), Rome (1303), Pérouse (1308), Pise (1339), Prague (1347), Pavie (1361), Cracovie (1364), Vienne (1365), etc. À Orléans, antérieure, de loin, à sa reconnaissance officielle en 1306, l’université se spécialisa dans le droit romain, interdit à Paris : c’est de cette université que vinrent plusieurs des « légistes », fervents défenseurs du pouvoir royal capétienne, en particulier sous Philippe le Bel. Le mouvement universitaire s’étendit à la Péninsule ibérique et, pas avant le XIVe siècle, à l’Europe centrale, à l’initiative des princes.

Les universités forment désormais un corps privilégié - for ecclésiastique, monopole de la collation des grades, exemptions fiscales…- et une corporation autonome, une universitas, libre de décerner à leurs étudiants une licentia ubique docendi. Les pouvoirs civils et épiscopaux ne peuvent plus s’ingérer dans leurs affaires et seuls les légats pontificaux peuvent octroyer des statuts et privilèges, casser des décisions ou arbitrer des conflits. De fait, les universités ne sont pas « indépendantes », ni émancipées de la tutelle diocésaine. La vie universitaire reste profondément religieuse. Leurs statuts obligent les membres de l’université à se retrouver le dimanche dans l’église des dominicains, et les fêtes de semaine chez les franciscains, pour assister aux sermons universitaires. La prédication devant les membres de l’université est une charge qui fait partie de la profession universitaire, même si le maître n’est ni prêtre ni diacre. En tant que communautés, à l’instar des autres corporations ou des confréries, les universitaires ont un calendrier religieux propre, avec ses fêtes, ses saints patrons, ses cérémonies [9].

Jusqu’au XIXe siècle, les universités restèrent ainsi des institutions pétries par le christianisme et rythmées par les fêtes religieuses. Aujourd’hui, cela ne se remarque plus, surtout en France, où les universités ont fait tabula rasa de cet héritage. Mais, ailleurs, on peut observer, en ethnologue des temps anciens, certains reliquats de cette glorieuse période. Dans les universités anglo-saxonnes, notamment, l’usage de la gown (cape noire qui était celle des clercs) est parfois toujours obligatoire, et on a conservé certains rituels anciens, comme les prières et grâces récitées au moment des repas d’un collège ou les Christmas carols de fin d’année [10]. Dans les collèges universitaires les plus anciens, dont les noms sont toujours éloquents, la chapelle jouxte toujours la bibliothèque et les symboles chrétiens abondent partout [11]. Ces vestiges médiévaux n’ont bien sûr plus de signification pour les étudiants : ils passent à travers comme au milieu de traces laissées par un temps révolu. Ces traces sont comme les devises latines qu’on peut lire partout sur les enseignes et armoiries des universités du monde entier : de belles paroles, qu’on ne comprend plus. Dei sub numine viget... Fiat lux (Gn 1, 3)... Via, Veritas, Vita (Jn 14, 6)... Dominus illumatio mea, et salus mea (Ps. 26, 1).


[1Les étudiants sont censés pourvoir à leurs besoins, sauf s’ils ont la chance d’être admis dans un collège où ils reçoivent gîte et couvert, grâce aux bons offices du fondateur. Les collèges étaient ainsi des fondations créées pour accueillir des étudiants pauvres pour un certain temps et leur fournir un cadre de vie. Les collèges de d’Harcourt (1280), de Navarre à Paris, ceux de Merton (1263), Balliol (1262), University College (1280) à Oxford et de Peterhouse (1284) à Cambridge comptent parmi mes exemples les plus célèbres de cette constitution caractéristique de la vie universitaire au Moyen Age. Leurs réunions firent l’université. Le plus célèbre des collèges parisiens est celui qu’institua le maître séculier, proche de Saint Louis, Robert de Sorbon, en 1257, dans le but de former les futurs prêtres des paroisses du diocèse de Paris. Robert de Sorbon légua à son collège sa propre bibliothèque qui constitue le noyau originel de la bibliothèque de la Sorbonne.

[2Dans un livre qui a fait date, Les Intellectuels au Moyen Âge, publié en 1957, Jacques Le Goff a montré ce que l’organisation des maîtres du savoir avait en commun avec celle des maîtres des autres métiers. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le nom resté attaché à la structure professionnelle des maîtres du savoir : l’université.

[3Au début des années 2000, la réforme « LMD » (Licence-Master-Doctorat, qui sanctionnent respectivement un niveau bac +3, +5 et +8) a clarifié la hiérarchie des diplômes universitaires français et les a harmonisés avec les standards internationaux.

[4Une ordonnance royale de 1200, émise par Philippe Auguste, accordait déjà le privilège de for ecclésiastique aux maîtres et étudiants de Paris et les plaçait sous sauvegarde royale. Ce texte autorisait en outre les maîtres à former une corporation, mais il ne fait pas une référence à une universitas déjà constituée et ne lui concède pas de statuts.

[5Les maîtres sont, par exemple, tenus de porter une « robe [capa], ronde, noire et descendant jusqu’aux talons, du moins quand elle est neuve. On peut aussi utiliser un grand manteau [pallium]. Qu’on n’ait pas de chausses [sotulares] lacées [laqueatos] sous sa chape ronde, ni nouées de rubans [liripipiatos] » (3e paragraphe). Tout signe d’élégance est proscrit.

[6Ces textes de référence sont : pour la théologie, la Bible, les Pères de l’Église et les Sentences de Pierre Lombard ; pour le droit canon, le Décret de Gratien ; pour le droit civil, les collections du droit romain comme le Code justinien ; pour les arts i. e. la philosophie, principalement Aristote.

[7On peut comprendre cette clause si l’on insiste sur le fait que ces deux ouvrages, bien que très imparfaitement connus à l’époque, sont inspirés de réflexions métaphysiques antiques, pouvant remettre complètement en cause les données de la Révélation chrétienne (éternité du monde, unité de l’intellect agent, déterminisme astral…).

[8Une exception existe cependant : en effet, au XIIIe siècle, Frédéric II, dont on connaît les rapports conflictuels avec la papauté, fut le seul à disputer à l’Église la charge de fonder une université, à Naples, en 1224, pour former ses officiers.

[9Les statuts de Robert de Courçon de 1215 prévoient ainsi des dispositions funéraires, rappelant les statuts de certaines corporations ou confréries, dans lesquels elles tenaient une part importante. Cette disposition montre la cohérence et la conscience qu’a d’elle-même l’université de Paris : en effet, la mort d’un étudiant mobilise « la moitié des maîtres pour ses funérailles… (et qu’on ne se retire pas tant que l’enterrement n’est pas fini) », et, pour la mort d’un maître, tous ses collègues (« Si un maître des arts ou de théologie meurt, que tous les maîtres participent aux vigiles ; que l’un d’eux lise ou fasse lire le psautier, qu’un autre demeure dans l’église où sont célébrées les vigiles jusqu’au milieu de la nuit, à moins qu’un motif recevable ne l’en empêche »), nécessitant d’interrompre toutes les activités d’enseignement (« Que nul ne dispute ni ne lise le jour de l’enterrement d’un maître »).

[10Le Lincoln College de l’université d’Oxford, par exemple, est assez représentatif en la matière : fondée en 1427 par l’évêque de Lincoln, Richard Fleming, afin de lutter contre l’hérésie lollarde et la doctrine de Wyclif, elle possède sa propre église, jouxtant la library, impose le port de la gown en son sein et fait réciter les grâces en latin à chacun des repas pris dans le réfectoire (Formal Hall). Les voici : Benignissime Pater, qui providentia tua regis, liberalitate pascis et benedictione conservas omnia quae creaveris, benedicas nobis, te quaesumus, et hisce creaturis in usum nostrum, ut illae sanctificatae sint et nobis salutares, et nos, inde corroborati, magis apti reddamur ad omnia opera bona ; in laudem tui nominis aeterni, per Iesum Christum Dominum nostrum, Amen.

[11On aurait presque tendance à l’oublier : le site historique de la Sorbonne accueille en son centre une grande et élégante chapelle dont l’édifice actuel remonte au cardinal Richelieu. Elle constituait la chapelle privée du collège de Sorbonne puis des facultés universitaires de Paris jusqu’au XIXe siècle où son affectation au culte fut maintes fois disputée. Réduite à une simple messe anniversaire, cette utilisation cultuelle fut finalement arrêtée dans les années 1950-1960. On passe devant ce bâtiment surmonté d’une croix sans se souvenir que l’université de la Sorbonne ne proposa pas toujours un Master « Études de genre » mais accueillait l’enseignement de Thomas d’Aquin, Bonaventure, Albert le Grand, Jean Gerson, Nicolas Oresme, Érasme, et tant d’autres…

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