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L’esprit de Corps [2/3] : Le Corps mystique

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Cette réflexion sur l’esprit de Corps a donné lieu à trois parties :
1°) le Corps du Christ ;
2°) le corps mystique ;
3°) la discipline de l’un.

II. Le Corps mystique

La pensée catholique a très vite pris conscience qu’il existait une unité du mystère qui englobait sous le même nom de « Corps du Christ » le corps personnel du Fils incarné, le sacrement de l’autel et la communauté des fidèles [1]. En effet, le Corps du Christ est à la fois l’origine de l’Église et son accomplissement, puisqu’il est aussi le Corps mystique. Cette dernière est une unité vivante, qui dépasse la notion même d’Église et qui se manifeste dans la manducation d’un même pain et se traduit par la conscience d’une solidarité qui lie les membres dans le Christ. Bien qu’étant plusieurs, nous ne faisons qu’un seul corps dans le Christ dit saint Paul [2].
Ce Corps mystique est donc un « organisme indivisible [3] », un Temple de l’Esprit fait de pierres vivantes [4], une société réunie autour de la Croix [5]. C’est un édifice dont le Christ est la pierre d’angle, et où chacun est concitoyen au sein de la famille de Dieu [6]. Mais cet « esprit de corps » est à la fois exclusif et discriminant, car il n’y a qu’un seul Corps comme il n’y a qu’un seul baptême [7], un seul Seigneur et une seule Foi [8]. Quiconque refuse cette unité est en dehors du Corps, et quiconque cherche à le diviser ne peut qu’en être un ennemi : Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui ne rassemble pas avec moi divise [9].

Cette unité concerne aussi bien les vivants que les morts, et nous aurions une vision tronquée de l’Église si nos intentions et nos œuvres n’étaient pas aussi dirigées vers ceux qui se sont éteints dans la Foi. Nous pouvons demander l’intercession d’un saint, mais nous devons aussi prier pour les défunts. Ainsi, nos prières et nos péchés n’ont pas seulement une répercussion pour nous seuls, mais pour l’ensemble de l’Ecclesia  : la charité retentit au profit de tous, tandis que le péché nuit à cette communion [10]. C’est cette idée qu’on retenue les Docteurs [11] sous le nom d’ « Église universelle », c’est-à-dire le fait que les fidèles sont de tout temps et de tout espace, du ciel et de la terre, regroupés dans cette totalité mystique du corps du Christ qui est l’Eglise. Saint Paul insiste sur ce point :

« Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres s’en réjouissent avec lui. Vous êtes le corps du Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part [12] »

D’autre part, le Corps mystique tire son unité de son chef, le Christ, qui est aussi sa tête [13]. Car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Eglise, son corps, dont il est le Sauveur, dit saint Paul [14] A ce titre, il en est le Principe : Il est, lui, avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui. Il est la tête du corps de l’Église, lui qui est le principe, le premier-né d’entre les morts, afin qu’en toutes choses, il tienne, lui, la première place [15]. Ainsi, le Corps mystique, bien ordonné, reçoit sa croissance et son développement du principe christique en vue de sa parfaite constitution spirituelle [16]. Les Pères, mais aussi les papes [17], ont beaucoup écrit sur cette prééminence du Christ qui est à la fois la tête [18] et le gouverneur de l’Eglise : il est le « sommet royal » du corps [19] et tous les membres, à qui elle préside et pourvoit les besoins [20], sont naturellement dirigés par lui. Saint Thomas d’Aquin explique qu’il y a trois raisons pour le nommer ainsi :

De même que l’on donne à toute l’Église le nom de Corps mystique par analogie avec le corps naturel de l’homme, dont les divers membres ont des actes divers, ainsi que l’enseigne l’Apôtre (Rm 12, 4 ; 1 Co 12, 12), de même on appelle le Christ tête de l’Église par analogie avec la tête humaine. Celle-ci en effet peut être considérée à trois points de vue différents : au point de vue de l’ordre, de la perfection et de la puissance. Sous le rapport de l’ordre, la tête est l’élément premier de l’homme, en commençant par le haut ; de là vient que l’on a coutume d’appeler tête tout ce qui est un principe. Sous le rapport de la perfection, c’est dans la tête que se trouvent tous les sens intérieurs et extérieurs, alors que dans les autres membres, il n’y a que le sens du toucher. Sous le rapport de la puissance, c’est encore la tête qui, par sa vertu sensible et motrice, donne aux autres membres force et mouvement, et les gouverne dans leurs actes. Or ces trois fonctions de la tête appartiennent spirituellement au Christ [21].

On ne peut donc poser le Christ sans l’Église, ni l’Église sans le Christ. C’est dans l’Église que le Christ accomplit et révèle son propre mystère comme l’aboutissement du dessein de Dieu : « récapituler tout en Lui » [22]. L’union du Rédempteur avec son Corps, en une seule personne mystique, constitue ainsi ce que saint Augustin a nommé le Christ total [23].

Le Chef mystique qu’est le Christ, et l’Église, qui sur terre est comme un autre Christ et en tient la place, constituent un homme nouveau unique dans lequel le ciel et la terre s’allient pour perpétuer l’œuvre de salut de la Croix : à savoir le Christ, Tête et Corps ; le Christ total. [24]

SUITE


[1On peut se référer à l’ouvrage d’H. de Lubac, Corpus mysticum. L’Eucharistie et l’Eglise au Moyen Age, Paris, 1944 (2e éd., 1949).

[2Romains 12, 5-6. Ita multi unum corpus sumus in Christo singuli.

[3L’expression est de Pie XII. « Le Christ, dit l’Apôtre, est la Tête du Corps qu’est l’Église. Si l’Église est un corps, il est donc nécessaire qu’elle constitue un organisme un et indivisible, selon les paroles de saint Paul : « Bien qu’étant plusieurs, nous ne faisons qu’un seul corps dans le Christ. » Ce n’est pas assez de dire : un et indivisible. » Pie XII, Mystici Corporis Christi, 1943.

[4I Epître de saint Pierre 2, 5.

[5Dans le De sacro altaris mysterio, Innocent III interprète symboliquement la disposition de l’autel : si la Croix trône au milieu des six cierges disposés de part et d’autre de la Croix, c’est parce que le Christ, par son sacrifice, est le médiateur entre les différents peuples. Liber II, Caput XXI, « De candelabro et cruce, quae super medio collocantur altaris. », Col.811B.

[6Ephésiens 2, 19-22. « Ainsi donc vous n’êtes plus des étrangers, ni des hôtes de passage ; mais vous êtes concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu, édifiés que vous êtes sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus-Christ lui-même est la pierre angulaire. C’est en lui que tout l’édifice bien ordonné s’élève, pour former un temple saint dans le Seigneur. »

[7Ephésiens 4, 4-5. « Il n’y a qu’un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés par votre vocation à une même espérance. Il n’y a qu’un Seigneur, une foi, un baptême, un Dieu, Père de tous, qui est au-dessus de tous, qui agit par tous, qui est en tous. »

[8Cyprien de Carthage, De catholicae Ecclesiae unitate, VIII, PL 4, Col.517C. Deus unus est, et Christus unus, et una Ecclesia ejus, et fides una, et plebs una in solidam corporis unitatem concordiae glutino copulata

[9Matthieu 12, 30. Qui non est mecum, contra me est ; et, qui non congregat mecum, spargit.

[10CEC 953 : « La communion de la charité : dans le sanctorum communio “nul d’entre nous ne vit pour soi-même, comme nul ne meurt pour soi-même” (Rm 14,7). Le moindre de nos actes fait dans la charité retentit au profit de tous, dans cette solidarité avec tous les hommes, vivants ou morts, qui se fonde sur la communion des saints. Tout péché nuit à cette communion ». CEC 2850 : « Notre interdépendance dans le drame du péché et de la mort est retournée en solidarité dans le Corps du Christ, en “communion des saints”. »

[11Par exemple : Hugues de Saint-Victor, De arca Noe myst., C.3. PL 176, Col.685 ; Pierre Lombard, PL 191, Col.373D, 388 B, 665 D, 1121B, 1165A.

[121 Co 12, 26-27

[13Étymologiquement, le mot « chef » provient de caput, qui signifie la « tête » en latin. Cela se remarque dans les traductions françaises de la Bible : dans celle de Crampon, caput est traduit indifféremment par « tête » et « chef », comme on le voit dans les citations suivantes. C’est au XIIᵉ siècle qu’apparait le traité De Christo capite, tiré probablement des Sentences de Pierre Lombard. Sentences, Livre III, dist. 13. Lombard y résume les idées acquises sur le Christ-caput et cite en autres la lettre de saint Augustin à Dardanus (Ep. 187, 40 : PL 33, Col.847) « de eius plenitudine accepreunt (sancti) ».

[14Ephésiens 5, 23 : Quoniam vir caput est mulieris sicut Christus caput est ecclesiae ipse salvator corporis.

[15Colossiens 1, 18-20. Et ipse est caput corporis ecclesiae qui est principium primogenitus ex mortuis ut sit in omnibus ipse primatum tenens.

[16Eph. 4, 16. Col. 2, 19. Voir aussi l’encyclique Mystici Corporis Christi de Pie XII : « C’est par cette même communication de l’Esprit du Christ qu’il se fait que l’Église est comme la plénitude et le complément du Rédempteur ; car tous les dons, toutes les vertus, tous les charismes qui se trouvent éminemment, abondamment et efficacement dans le Chef dérivent dans tous les membres de l’Eglise et s’y perfectionnent de jour en jour selon la place de chacun dans le Corps mystique de Jésus-Christ. »

[17« Nous avons vu jusqu’ici, Vénérables Frères, que l’Eglise dans sa constitution peut être comparée à un corps ; il Nous reste à expliquer en détail pourquoi il faut l’appeler, non pas un corps quelconque, mais le Corps de Jésus-Christ. Et ceci se conclut de ce que Notre-Seigneur est le Fondateur, la Tête, le Soutien, le Sauveur de ce Corps mystique. » Pie XII, encyclique Mystici Corporis Christi

[18Saint Augustin, Du combat chrétien, XX, 22. PL 40, Col.301.

[19Saint Ambroise, Hexaem., VI, 55. PL 14, Col.265.

[20« Notre Chef, intercède pour nous : il reçoit certains membres, il en punit d’autres, il purifie ceux-ci, il console ceux-là, il crée, il appelle, il rappelle, il corrige, il relève. » Saint Augustin, Enarr.in Ps. LXXXV, 5. PL 37, Col.1085.

[21Somme théologique, IIIa Pars, Q. 8, art. 1, « Le Christ est-il la tête de l’Église ? ». Voir aussi la Q. 9.

[22CEC 772. Ep 1, 10.

[23Saint Augustin, Enarr. in Ps. XVII, 51, et XC, II, 1. PL 36, col.154 et PL 37, Col.1159. Le thème du Christus totus est très présent dans ses sermons.

[24Encyclique Mystici Corporis Christi, Pie XII.

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