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La relation entre l’Église et les médias a souvent été conflictuelle. Ces derniers ont, dès leur naissance, brocardé la première ; pour ensuite distribuer les micros à leur bon gré ; mais, à cause de la situation ultra-minoritaire de l’Église actuellement, la situation paraît s’apaiser.
Les médias sont assurément assimilables à l’opinion, puisqu’ils la porte – parfois de manière forcenée, sans consultation populaire. Or il est notoire que l’opinion, en France, naît de l’opposition à la toute-puissance du roy et de l’Église catholique dans le domaine de la pensée.
« Même si l’exercice est toujours hasardeux, on peut considérer que les Lettres provinciales de Pascal (1656-1657), et la fondation du journal janséniste Nouvelles écclesiastiques (1728), délimitent l’espace de temps durant lequel ce phénomène de l’opinion émergea et se cristallisa. » [1] En effet, c’est pour s’élever contre la Raison d’État qui les pourchasse, que les Jansénistes vont, les premiers, faire appel à ce que l’historien états-unien Keith Michael Baker appela le « tribunal de l’opinion ». [2] Puis, les philosophes des Lumières (au titre de la mission qu’il s’étaient aux-mêmes conférés) et les Parlementaires (ne doutant pas de leur place dans l’État), qui parfois se confondaient, se saisirent de ce tribunal. Ainsi l’opinion, ce fut l’Esprit des Lois ou l’Encyclopédie, mais aussi l’affaire Callas ou la critique de « l’Autrichienne ».
La « plèbe », comme disait Voltaire, n’étant pas éclairée, l’opinion se donna le droit de maintenir toutes les lumières modernes allumées, nuit et jour, pendant plusieurs centaines d’années. Ainsi sera-t-elle le vecteur de la pensée des humanistes athées (Comte, Feuerbach, son disciple Marx, Nietzsche) [3], des radicaux-socialistes, des communistes puis de la gauche « bien-pensante ». Contre cette tyrannie de l’opinion, de nombreux auteurs se sont dressés : des catholiques comme Bernanos, Volkoff [4] ou Sévilla [5] , mais aussi des prix Nobel tel Noam Chomsky.
Abbé Guillaume de Tanoüarn
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Nonobstant, la génération précédente vit encore s’affronter deux France : celle de Mitterand à celle de l’école libre ; celle de l’instituteur et celle du religieux ; celle de mai 1968 et celle de la conservation. Si les grenouilles de bénitier déjà disparaissaient, la majorité de la France se disait encore catholique. A cet égard, le dernier sondage réalisé par Paix liturgique, dans le diocèse de Nice en septembre dernier est frappant : 73,7% des plus de 60 ans se disent catholiques contre 36,5% des 18-29 ans. [7]
Le cœur Français, le plus vieux des cœurs catholiques, a résisté vaillamment aux épreuves intellectuelles du XVIIIè siècle philosophique, du XIXe siècle égoïste et du XX ème siècle laïque : l’intelligence progresse, disait Gustave Le Bon, les sentiments ne changent pas [8]. Les idées dites intelligentes ne surent avoir d’action réelle sur l’âme d’un peuple lentement et longuement imprégnée par la religion catholique.
Les catholiques, leur vision de l’ordre, leur morale sexuelle étaient donc toujours l’ennemi à abattre par tout ce qui se faisait de jeune ou de progressiste.
(Caroline Fourest)
De toutes les façons, ils étaient endormis dans leur majorité de sortie de « l’âge d’or catholique » [9], comme un retour du pendule hypnotique des années 30 [10]. Certains, de ceux qui n’ont connu cette époque, sous-estiment l’hostilité des médias à l’endroit des catholiques en invoquant des exemples de figures catholiques, souvent évoquées à la télévision. Gageons plutôt que c’est une preuve de la perfidie et de la condescendance médiatique à l’égard du christianisme. Toutes les personnalités alors invitées – et toujours invitées – étaient des ralliés qui part leur soumission à l’idéologie dominante, portèrent un message insipide et quiétiste, id est seulement horizontal, à leurs frères. Il est impossible de mesurer l’impact idéologique de ces personnes apparemment de confiance qui distillèrent une parole gallicane et moderne dans les chaires et dans les prônes. L’abbé Pierre était un politique, ancien député ; à sœur Emmanuelle furent extorquées des positions peu recommandables ; l’abbé de La Morandais préconisait et préconise toujours la pilule [11] ; les journalistes venaient de La Vie ou de l’Action Catholique, qui n’étaient pas aussi rangées qu’aujourd’hui.
Frigide Barjot en témoigne dans son autobiographie : un matin de 2003, Laurent Ruquier propose à la parodiste d’illustrer avec humour la polémique sur le voile islamique en se travestissant en bonne sœur, c’est-à-dire en portant un voile aussi ; autant dire une manière « d’éviter de se mettre à dos la communauté musulmane, [en] se moqu[ant] impunément du catholicisme, tout en stigmatisant, grâce à cette métaphore comique (!), le fait discriminatoire des autorités envers le hidjab. » [12]Frigide Barjot refuse, au nom de son appartenance vague au catholicisme. Peu à peu, elle est écartée de l’émission et de la bande à Ruquier. Au téléphone, elle me donna les trois raisons cet ostracisme : la désobéissance au supérieur ; l’austérité supposée des « cathos » ; et l’hostilité évidente du milieu pour les catholiques : jamais Juifs ou musulmans n’auraient fait l’objet d’un tel traitement.
Abbé Pierre-Hervé Grosjean
Après plus de 200 ans de domination idéologique, et à cause de l’entrée dans l’âge dit post-moderne, les croyances catholiques ont été supplantées peu à peu par de nouvelles, lesquelles se sont à leur tour glissées dans « la région stable et inconsciente des sentiments où s’élaborent les motifs de nos actions » [13]. A titre d’exemple, la croyance en la Shoah a remplacé le sentiment antijudaïque (à ne pas confondre avec l’antisémitisme) : que l’on observe l’indignation « réflexe », sentimentale et irrationnelle que provoque la négation de la modalité de l’extermination quand Desproges faisait rire des salles plus proches des faits, il y a trente ans. Cet exemple, extrême certes, nous fait mesurer la pertinence de la thèse lebonnienne pour comprendre l’absence de sentiment religieux chez les Français (de souche) mais également, et de plus en plus, l’absence de sentiment antireligieux.
Ainsi, c’est la déchristianisation qui, ô paradoxe ! permet aux catholiques de prendre une place sans susciter de tollé de toute la France cathodique.
L’abbé Grosjean, prêtre du diocèse de Versailles, créateur de Padreblog et de Trois minutes pour convaincre, mais aussi contributeur au Monde, sur Europe 1, à Rue89, à l’Express, et au Parisien... et à qui le Figaro a demandé une tribune pour la Pentecôte me l’explique sur facebook : « quand les cathos sont décomplexés, et compétents, ils sont attendus » et plus loin, « les médias ne sont pas hostiles en soi ».
Il est vrai que sa tribune au Figaro est explicite et assumée, il y défend une vision de l’action de l’Église qui doit faire trembler les « laïcards » intégristes :
Toutefois, l’abbé Grosjean prend-il conscience que tous ne sont pas encore prêts à dialoguer avec les prêtres, même quand ils ne s’embarrassent pas d’un « langage de curé », comme il dit ? Avec les abbés Cariot (diocèse de Pontoise) et Seguin (diocèse de Paris), mais aussi par François-Xavier Bellamy (maire adjoint de Versailles) ; Thierry Bizot (producteur TV – Eléphant & Cie) ; Thomas et Benjamin Pouzin (auteurs-compositeurs du groupe Glorious) et le blogueur-avocat Koz, ils expriment devoir « accepter de renouer un vrai dialogue, risquer l’aventure de l’écoute, de la confiance et de l’échange rationnel autour de la question de la foi. » Mais sa tribune est entourée d’une réponse de Caroline Fourest : « C’est là que se situe le danger : dans le fait que les nouvelles technologies vont peut-être exaucer les voeux moyenâgeux de ces nouveaux inquisiteurs. [...] Drôle de monde, où la liberté d’expression sert les plus violents, mais se mue en inquisition quand il s’agit de rire du fanatisme » et d’un article de Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point : « Puisque la pièce Golgota Picnic, au Théâtre du Rond-Point, est la prochaine cible annoncée des sauveurs de la morale, qu’ils sachent qu’elle aura bien lieu malgré leurs menaces quotidiennes, que la scène sera remplie d’une pensée libre, s’opposant à leur raison close, que le vent soufflera dans tous les sens, à travers mais jamais à tort. Il n’y aura aux murs ni corps de martyrs torturés ni visages de suppliciés, pas des jeunes gens crucifiés pour nous rappeler le chemin du paradis et de l’enfer, mais seulement ce rire libertaire, trappe à bêtises et tueur de chagrin. Nous continuerons comme le souhaitait Aragon à creuser des galeries vers le ciel, mais pas celui noir et bouché où jouissent les intégristes. » [17]
Toutefois, l’accusation de « christianophobie » faite aux médias tombe aujourd’hui en désuétude. A ce sujet, l’article du brillant Carl Moy-Ruifey, sur le Rouge & le Noir, devrait faire taire toute contestation :« Voilà un affreux néologisme qui associe une idole païenne de l’antiquité, Phobos, au saint nom de Dieu. Revenons-en au principe d’autorité pour l’analyser : ici prime le magistère de l’Académie française qu’elle enseigne au travers de son vénérable Dictionnaire [18] :
PHOBIE n. f. XVIIIe siècle. Substantivation du suffixe -phobie, tiré du grec phobos, « crainte ». PSYCHOPATHOL. Réaction irraisonnée d’angoisse et de répulsion, suscitée de façon persistante et injustifiée par un être vivant, un objet ou une situation. Les araignées, les serpents peuvent provoquer des phobies. La phobie du vide. ● Par affaibl. Aversion, répugnance instinctive pour un être, une chose, une situation. La phobie du changement, de l’inconnu. »
Ce serait une insulte à la mémoire des Vendéens, Chouans, Egyptiens ou Indiens d’oser revendiquer un tel terme pour les Français d’aujourd’hui. Quiconque a une vision d’ensemble de la société civile – et non sectaire – voit que peu lui chaut les catholiques outragés ou les scénaristes sacrilèges. Certes, certains aimeraient que les Catholiques se tussent mieux, d’autres qu’ils balayassent devant leur porte avant de faire la morale ; mais le traitement réservé au Saint-Père et à ses prêtres n’est finalement que le reflet de l’attachement de l’ancienne Chrétienté à cette Église dont elle sait mais ne veut plus dépendre. Ce n’est pas tant le multiculturalisme ou la Shoah qui défendent, respectivement, musulmans & Juifs, mais le christianisme dont les Français se défendent car ils en sont encore, malgré eux. C’est d’abord cela qui explique la rancune de certains vis-à-vis de l’institution.
Si les médias étaient réellement « christianophobes », comment expliquer le maintien du Jour du Seigneur (créé en 1948), la mise en place de KTO et des Bernardins, le souci de France Télévision (et en particulier de Camille Pascal, qui en a d’ailleurs profité pour se convertir !) lors de la visite pontificale de 2008 ? Aujourd’hui, les « cathos » sont une minorité comme une autre, plus minoritaire même dans la pratique que l’Islam, vis-à-vis de laquelle les médias ont du mal à se positionner.
Alors, il faut que les catholiques sachent prendre cette place et écouter, en cela, l’abbé Pierre-Hervé Grosjean : « Les médias invitent ceux qui se bougent et qui font bouger. A nous de nous rendre indispensables. »
C’est le temps des catholiques, c’est le temps de la Foi. La France, dans son angoisse, attend notre bon sens comme notre intercession. Deus vult !
A suivre...
[1] FAUQUIER, Michel ; Aux sources de l’Europe, les temps modernes ; Artège éditions
[2] in Au tribunal de l’opinion : essai sur l’imaginaire politique au XVIIIè siècle
[3] Henri de Lubac, dans Le Drame de l’Humanisme athée, démontre magistralement le caractère anti-chrétien (et non pas seulement humanistes) de la pensée de ses auteurs, obsédés par la personne du Christ et la présence divine.
[4] En particulier dans le Montage, où il perce à jour toutes les techniques de la désinformation.
[5] SéVILLA, Jean, Le Terrorisme intellectuel - de 1945 à nos jours, chez Perrin
[6] http://ab2t.blogspot.fr/2011/11/leveque-le-ministre-le-journaliste-et.html, 4 novembre 2011
[7] Ce sondage est consultable ici : http://www.paixliturgique.fr/securefilesystem/FICHIERLISTE/FICHIERLISTE_20120213162548_dio_de_nice.pdf
[8] Gustave Le Bon, Les opinions et les croyances, p.9
[9] Après la seconde guerre mondiale, la pratique religieuse fut éminemment en vogue.
[10] Alors, les jeunes non-conformistes, souvent catholiques, critiquaient et renouvelaient la France du sommeil, la France de l’avant-guerre : « La France avait besoin de chansons, de jouets. La France avait besoin de songes. La France sursautait parfois devant quelque cauchemar, mais elle se rendormait précipitamment. C’était le temps du sommeil. » Robert Brasillach, Notre avant-guerre
[11] Notamment ici : http://fr.gloria.tv/?media=262802
[12] Frigide Barjot, Confessions d’une catho branchée, Plon, 2011, p. 24
[13] Gustave Le Bon, Les opinions et les croyances, p.104
[14] M. Godefroy, Sénateur communiste, lors de la dernière révision des lois de bioéthique.
[15] Communiqué du 25/05/2011.
[16] Tribune publiée dans le Figaro daté du 26/27 mai 2012, consultable ici : http://www.padreblog.fr/pentecote-et-laicite-leglise-ne-restera-pas-chez-elle#_ftn1
[17] http://www.riposte-catholique.fr/perepiscopus/labbe-grosjean-en-compagnie-de-caroline-fourest#.T8y7TFK1vk9, 4 novembre 2011
[18] On peut accéder au Dictionnaire de l’Académie française à partir de ce lien : http://www.academie-francaise.fr/dictionnaire
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