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Combien de chrétiens connaissent encore le cardinal Louis-Edouard Pie (1815-1880) ? Alors que les catholiques français, suivant l’appel du pape Benoît XVI à devenir des « minorités créatives » [1], s’échinent, dans le grand élan des manifs pour tous et sous les encouragements de quelques évêques, à s’introduire dans les arcanes de la politique et dans les rouages de la société civile, ils pourraient redécouvrir avec profit la doctrine, la sagesse et l’expérience historique d’un grand homme d’Église tendu vers la restauration d’une société chrétienne fragilisée et défigurée après le terrible épisode de la révolution de 1789. Le cardinal Pie est la figure imposante de ces grands prélats du XIXe siècle qui furent les austères et vertueux agents de la restauration chrétienne, tant pour redresser les édifices, reformer le clergé, purifier la liturgie et faire refleurir les études chrétiennes.
Les inimitables éditions de Chiré ont donc choisi de donner une nouvelle version, annotée avec soin par M. Jacques Jammet, du Cardinal Pie du bénédictin dom Besse, d’après celle de 1907. Ce livre, d’une longueur très modérée, est une introduction efficace et accessible aux mœurs, aux enjeux du temps, et surtout à l’expérience de l’abbé Pie, nommé évêque de Poitiers en 1849, et cardinal en 1879, au soir d’une vie toute entière dévouée au service de l’Église de Jésus-Christ, de son Vicaire, et de la vocation chrétienne de la France. Ultramontain, intransigeant sur la doctrine, l’abbé Pie le fut, pour ainsi dire, dès le berceau où le veillait une mère pieuse et droite qui avait souffert toutes les persécutions de la révolution de 1789. Son parcours et sa biographie sont riches et savamment exposés par dom Besse. Nous nous proposerons seulement de nous arrêter sur trois idées étonnamment actuelles qui ont traversé la vie et l’œuvre du cardinal Pie.
Après la période révolutionnaire, l’épiscopat nommé sous Napoléon Bonaparte avait permis de redresser nettement la situation de l’Église de France. Ces pasteurs furent généralement bons, exemplaires et compétents. L’abbé Pie savait trop ce que la France, qui avait tant souffert, devait à ces francs pasteurs. Il pensait que ce ne serait jamais à l’Église de se contorsionner pour prendre des atours attrayants en se conformant aux lois du monde, mais qu’il lui faudrait parler haut, clair et fort, par la voix de ses pasteurs, pour aller évangéliser les foules. Pour l’évêque de Poitiers, « Les pouvoirs forts (…) se font respecter, et le respect touche de près à l’amour qu’il finit presque toujours par obtenir. » [2] Cette force et ce respect ne s’acquièrent pas à coups de jésuitismes, mais de paroles franches. « Je n’aime pas la guerre à coups d’épingle, disait-il un jour ; quand il faut la faire, je tâche de la faire à coups de canons. » [3] Les propos que Mgr Pie tint lors de son sacre épiscopal marquèrent le peuple qu’il allait devoir gouverner. Il resta fidèle à ce programme pendant tout son épiscopat. Il s’agit du reste d’un fort beau morceau d’éloquence :
Je suis parmi vous le consul de la majesté divine, l’ambassadeur et le chargé d’affaires de Dieu ; si le nom du Roi mon Maître est outragé, si le drapeau de son Fils Jésus n’est pas respecté, si les droits de son Église et de son sacerdoce sont méconnus, si l’intégrité est menacée, je suis évêque : donc je parlerai, j’élèverai la voix, je tiendrai haut et ferme l’étendard de la foi, l’étendard de mon Dieu. Les pusillanimes pourront s’en étonner, les esprits d’une certaine trempe pourront même s’en scandaliser. C’est pourquoi j’ai voulu m’en exprimer librement dès aujourd’hui. La paix : oui, sans nul doute, c’est le désir ardent de mon cœur, c’est le besoin de ma nature, c’est l’inclinaison marquée de mon caractère. Mais l’Esprit Saint m’a enseigné que l’amour de la vérité doit passer avant tout autre amour, même l’amour de la paix : veritatem tantum et pacem deligite. [4]
C’est à proprement parler une leçon de courage pour nos évêques actuels qui laissent trop souvent, entend-on ici et là, leurs fidèles désemparés face aux tribulations dans lesquelles le monde les plonge.
La seconde prescience remarquable du cardinal Pie concerne la liturgie. Ce grand ami de dom Prosper Guéranger ne dit rien d’autre que ce que le cardinal Ratzinger n’a cessé d’affirmer. Si la liturgie est défigurée, si le culte catholique est abîmé, les églises ne peuvent que se vider. Aussi le cardinal Pie n’hésitait pas à lier l’avenir de notre pays à celui de la liturgie : « L’avenir de la France dépend beaucoup d’une question de liturgie. » [5] Il concluait de façon on ne peut plus claire : « La question sociale ne sera dénouée que par la question religieuse, et la question religieuse tient surtout à une question de culte... Que les anciens jours du culte catholique reviennent pour notre patrie, et son esprit religieux et catholique d’autrefois lui reviendra, et avec la religion reviendront aussi pour elle les anciens vertus, la charité des riches, la soumission des pauvres et le bonheur de tous. » [6]
Ces deux premiers éléments peuvent sembler prémonitoires, certes, mais relativement classiques. La formation des fidèles et singulièrement des laïcs investis dans les affaires publiques est une idée qui paraît aujourd’hui très novatrice. Sur ce point, son constat était clair. Il y a beaucoup de fidèles de bonne volonté, mais ils sont mal formés. « Ce que je redoute le plus (…) c’est l’absence des vraies et saines doctrines chez mes partisans. Ce n’est point dans la rue, c’est dans l’assemblée de mes défenseurs, de mes législateurs que se préparent contre moi les coups les plus meurtriers. » [7] Cette absence de solides doctrines conduisait les catholiques à préférer d’incertains raisonnements juridiques à la fermeté de la loi divine. Ainsi l’exprime dom Besse : « Il regrettait vivement de voir un certain nombre de catholiques, entraînés par des intentions plus droites que leurs principes, chercher dans la charte et l’insaisissable droit commun le point d’appui de leur revendications, au lieu de réclamer avec franchise, force et opiniâtreté le libre exercice d’un droit qui leur vient de Dieu et de la vérité. » [8] C’est ainsi que l’évêque de Poitiers créa en 1878 une faculté de théologie à Poitiers dont l’objectif notable serait de former des laïcs. Il espérait ainsi obtenir de sensibles résultats pour améliorer la conduite des affaires de la France.
La lecture du Cardinal Pie de Dom Besse est véritablement réjouissante. Elle permet de méditer la situation actuelle de l’Église et celle de la France. Elle communique aussi la force d’esprit, la résolution et l’enthousiasme de cette grande figure de l’épiscopat français que fut le cardinal Pie, modèle d’obéissance et d’exigence pour tous les pasteurs. Laissons à ce prélat le dernier mot : « C’est l’erreur qui commence à vieillir chez nous, c’est la vérité qui est jeune. » [9]
[1] Conférence de presse de S.S. Benoît XVI le samedi 26 mars, dans le cadre d’un voyage apostolique en République tchèque.
[2] Dom Besse, Le Cardinal Pie, éditions de Chiré, 2014, p. 27.
[3] Idem.
[4] Idem, p. 49.
[5] Idem, p. 31.
[6] Idem, p. 32.
[7] Idem, p. 37.
[8] Idem, p. 33.
[9] Idem, p. 63.
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