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Nous avions insisté dans notre dernier éditorial sur l’importance de l’Enracinement et la Transcendance. Nous avions insisté disais-je, mais notre lecteur s’en souvient peut-être, sur l’importance de l’Enracinement et de la Transcendance ; non pas, sur l’importance de l’Enracinement ou de la Transcendance – disjoints, désunis : disloqués, pour ainsi dire –, mais sur celle de l’Enracinement et de la Transcendance joints, conjoints, intimement liés :
Car le surnaturel est lui-même charnelEt l’arbre de la grâce est raciné profondEt plonge dans le sol et cherche jusqu’au fondEt l’arbre de la race est lui-même éternel [1].
Plus que jamais sans doute, plus que jamais peut-être avant que Pâques ne revienne – avant que Pâques ne revienne nous rappeler à toutes ses douleurs – ces deux mots n’auront pris pour nous une plus grande profondeur. Plus que jamais cette année encore, ces deux mots seront pour le Catholicisme – pour le bon vieux Catholicisme Romain – les plus gonflés, les plus remplis, et les plus pleins de l’Espérance. Sans doute d’ailleurs sont-ils la clé trop oubliée du Catholicisme, la clé de voûte de l’entier Catholicisme – du Catholicisme catholique –, la clé des fondations où sont scellés tous ses mystères :
Et Jésus est le fruit d’un ventre maternelFructus ventris tui, le jeune nourrissonS’endormit dans la paille et la balle et le sonSes deux genoux pliés sous son ventre charnel. (862)
Et Caro factum Est ! Voilà le cri que les trompettes des anges annonceront bientôt, voilà la clameur qui encore cette année retentira, neuve, éternellement neuve, au travers des nefs, des narthex, des travées, des alcôves et dans les recoins les plus ténus, les plus cachés, les plus nus, les plus abandonnés, de nos églises, des terres de Judée et de la France – au travers des terres de cette vieille fille aînée qui, enfin, tressaillira pour sa Mère. Voilà bien notre intime Espérance : l’Incarnation.
Et pourtant. Et pourtant la France – puisqu’il nous faut parler encore un peu d’elle, puisque Dieu nous l’a donné pour en faire son jardin –, et pourtant donc la France est tombée dans un état de péché grave, dans un état si profond de péché, dans un état si constant et si profond de péché, que nous ne saurions l’appeler autrement que mortel. Mortel, voilà un bien grand mot qu’une jacquerie de casuistes, armés qu’ils sont de théologie théologique, aurait tôt fait de démêler pour en montrer, au mieux, la vénielle existence sinon l’absurdité.
N’en déplaise aux âmes bien-pensantes du monde moderne, de notre monde contemporain moderne, du monde dont nous sommes les heureux contemporains, le péché est tenace et il s’agrippe à l’âme comme le soleil au ciel. Et ce n’est pas le Progrès, la mythologie du Progrès, l’infini progrès du progrès – Ô combien insupportable et jacassante Sibylle au visage mutin – qui le fera disparaître. Au mieux tentera-t-il de le cacher. Et, comme un petit enfant se cache les yeux pour ne pas voir, notre monde moderne se les bande. C’est au point que l’on peut se demander si, comme Œdipe, il ne les a pas crevés – trop effrayé de son horreur.
La France, disions-nous, est tombée dans un état mortel. Et comme les hommes qui font un pays ne sont jamais qu’à l’image du pays qu’ils font – avec leurs chairs, leurs sangs, et leurs âmes –, il y a fort à parier que les Français aussi ont les pieds dans la boue. Il n’est pas un homme censé dans ce pays qui prétende ne pas en avoir sentie, ni en avoir respiré, au petit matin, les répugnants effluves et les remarquables exhalaisons. J’avoue sans plaisir que la pensée de cet état, de cette condition, de moins en moins temporaire, n’a cessé d’inquiéter mon esprit.
L’âme, voilà ce qui manque sans doute le plus à notre temps. L’âme et l’esprit. L’esprit de l’âme. Voilà ce qui a disparu sous les amas barbares de la culture moderne de masse, paradoxalement individuelle, où se distillent paisibles l’ignorance crasse, la laideur et la bêtise. C’est que cette année encore, - encore cette années, diraient les vieux désabusés - la temps de l’Avent et de Noël sera l’occasion pour la grossière société moderne, pour l’obèse, pour la bien grasse société moderne de faire, une fois encore, le plein de mets lourds et juteux dont les odeurs refluent déjà jusqu’aux parvis de nos Églises. Voilà que la Bonne Nouvelle s’est muée en Banquet au sein duquel il est parfois bien difficile d’imaginer la pauvreté du Fils, la pauvre pauvreté de Dieu :
Le soleil qui passait par les énormes brèchesÉclairait un enfant gardé par du bétail.Le soleil qui passait par un pauvre portailÉclairait une crèche entre les autres crèches.Mais le vent qui soufflait par les énormes brèchesÉclairait un enfant qui s’était découvert.Et le vent qui soufflait par le portail ouvertEût glacé dans sa crèche entre toutes les crèches. (930-931)
Peut-être serait-il temps pour la chrétienté française, pour l’ensemble de la chrétienté française, pour la chrétienté qui fait la France, de retrouver un peu ce qui fait le mystère de ce temps si joyeux et si plein de d’Espérance. Peut-être serait-il temps qu’elle se tourne un peu vers Celui qu’elle renie : " Tout âme qui se sauve emporte aussi son corps "(854).
Aussi, nous nous honorerons dans ces colonnes, dans nos colonnes de décembre, de poursuivre nos réflexions, notre réflexion – s’est-elle jamais articulée autour d’un autre centre qui Celui de la Crèche ? – sur Ce mystère pour, peut-être, en saisir un peu, un peu mieux, la Beauté.
[1] Charles Péguy, Ève, Œuvres Poétiques Complètes, Introduction de François Porché, chronologie de la vie et de l’œuvre par Pierre Péguy, NRF, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1941, p. 813, quatrain 847. Pour plus de facilité, nous donnerons dorénavant le numéro du quatrain qui correspond au texte cité.
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