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« Devenu pour moi-même une immense question » : Augustin contre l’introspection

« Devenu pour moi-même une immense question » : Augustin contre l’introspection

« Factus eram ipse mihi magna quaestio » [1]

Saint Augustin est souvent présenté comme le premier autobiographe. C’est faux [2]. Les Confessions ne peuvent d’ailleurs pas être regardées comme une autobiographie, et surtout la matière de celles-ci ne peut en aucun cas justifier notre complaisance narcissique envers nous-mêmes. Il serait certainement commode, en effet, de convoquer le plus grand des docteurs antiques pour justifier nos propres atermoiements et nos propres lamentations, encore que la plupart de nos contemporains ne prennent pas — à ma connaissance — cette peine. Ils le devraient pourtant, car l’exemple d’Augustin nous délivre précisément de la vie intérieure stérile dans laquelle nous nous vautrons, dans ce temps qui tend à ne pas être.

L’orientation vers Dieu : le discours à Dieu plutôt qu’à soi

« Se raconter est fat. S’expliquer est vain. Se justifier est lâche. Si je veux que vous me compreniez, je me garderai bien de vous parler de moi. ». Huguenin [3]

La confessio est à la fois une louange, un aveu, et une profession. Les Confessions s’ouvrent d’ailleurs sur une louange et une invocation de Dieu.

« Tu es grand, Seigneur, et bien digne de louange ; elle est grande Ta puissance, et Ta sagesse est innombrable. Te louer, voilà ce que veut un homme, parcelle quelconque de Ta Création, et un homme qui partout porte sur lui sa mortalité, partout porte sur lui le témoignage de son péché, et le témoignage que Tu résistes aux superbes. Et pourtant, Te louer, voilà ce que veut un homme, parcelle quelconque de Ta Création. C’est Toi qui le pousses à prendre plaisir à Te louer parce que Tu nous as faits orientés vers Toi et que notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi. » [4]

Cet aveu devant un tiers, Dieu, est le propre de l’authentique examen de conscience. Le discours sur soi ne consiste pas pour autant à se juger, que ce soit positivement ou négativement. « Mais je ne me juge pas moi-même » [5], écrit Augustin, car « en vérité, c’est Toi Seigneur, qui me juges » [6].

Du moins, il ne consiste pas à se juger selon ses propres critères [7], sans la présence d’un tiers qui donne de la consistance à notre aveu, et de la pertinence à notre jugement. « Ainsi, ce qu’il me reste à faire, c’est de me juger moi-même devant le seul Maître dont je désire éviter le jugement sur mes péchés », tempère Augustin dans les Rétractations [8], alors qu’il reprend ses écrits passés.

Il ne s’agit pas de disqualifier tout discours sur soi : les vertus thérapeutiques et pénitentielles –- en un mot, libératrices –- de la parole sont bien connues d’Augustin. S’il chérit tant la prière des psaumes, et s’il veut la faire connaître à ses fidèles, c’est que les psaumes peuvent exprimer nos peurs et nos hontes, et que la prière des psaumes a été assumée par le Christ, qui en reprend les mots pour les présenter à Son Père, et nous ouvrir à la repentance et à la guérison. Mieux, il sait l’importance de la louange pour l’édification de l’homme et la diffusion de l’Évangile : « C’est Toi qui le pousses à prendre plaisir à Te louer parce que Tu nous as faits orientés vers Toi et que notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi. » [9] Mais les mots ne doivent pas être dépensés en vain : ils servent d’abord à faire la vérité devant Dieu [10], et à pousser ensuite ses frères à l’action de grâce [11].

L’habitation, et non seulement la vue : la parole plutôt que les discours

« […] viam ducentem ad beatificam patriam non tantum cernendam sed et habitandam. » [12]

Car les mots sont vains, s’ils se contentent de décrire la réalité, sans engager ceux qui les prononcent. À quoi bon toutes ces histoires que nous nous racontons sur nous-mêmes ? Même quand, elles tournent à notre désavantage, il s’agit encore d’orgueil : « Me suis-je donc déçu moi-même ? L’hypothèse me paraît maintenant trop flatteuse. J’ai manqué de courage, voilà tout. », admet Bernanos, dans les Enfants humiliés [13]. Bienheureux Frédéric Ozanam le montre aussi dans une lettre célèbre [14] qu’il conclut en ces termes :

« […] les larmes nous coûtent moins que la sueur ; et ce sont nos sueurs que la sentence inexorable nous demande ».

La Parole par excellence – Le Verbe de Dieu – est « vivante » et « efficace » : « Car elle est vivante la parole de Dieu ; elle est efficace, plus acérée qu’aucune épée à deux tranchants ; si pénétrante qu’elle va jusqu’à séparer l’âme et l’esprit, les jointures et les moelles ; elle démêle les sentiments et les pensées du coeur. »

La Parole que nous devons imiter n’est pas descriptive, elle est lumineuse ; elle n’est pas introspective, elle est purificatrice ; elle n’est pas « ergotique », elle est performative. Ainsi, au livre VII, Augustin distingue la « présomption » de la « confession », et la vue de l’habitation, tout en reconnaissant l’utilité de la première étape si (et seulement si) elle conduit à la seconde.

« [Je distingue] ceux qui voient où il faut aller sans voir par où et celui qui est la voie conduisant non seulement à la vue, mais encore à l’habitation de la patrie bienheureuse. »

L’« anachrèse » de la vie : le refus de se donner à soi-même une cohérence

« Quel sens particulier donner à ceci ? Je n’en sais rien, — mais, à en juger en gros et de prime abord,— c’est le présage de quelque étrange catastrophe dans l’État. » Shakespeare [15]

La Parole que nous devons prendre est un chemin –- La Voie –-, et ce chemin mène à la patrie bienheureuse à laquelle nous aspirons, sans l’habiter encore.

Notre vie est comme un chemin, comme une phrase que nous prononcerions, ou comme une comptine familière que nous chanterions. C’est ce dernier exemple qu’Augustin prend, au livre XI des Confessions, pour parler de l’attention nécessaire, entre mémoire et attente, à nous rendre présent dans le temps. Ce passage [16], amplement commenté par ailleurs pour ce qu’il dit de la relation de l’homme au temps, nous intéresse ici pour ce qu’il dit de sa relation à sa propre vie, d’autant que cette analogie est voulue par l’auteur [17].

Chanter, et donc vivre, nous met face à l’incomplétude de notre mémoire et notre incapacité à la solliciter à notre guise : notre mémoire et donc notre identité [18] nous échappent toujours en partie. Nous sommes insaisissables à nous-mêmes. Mais chanter, et donc vivre, nous met aussi face à notre attente de ce qui est censé compléter notre présent : ces mots qui nous viennent plus ou moins spontanément ne peuvent encore définir notre vie, quand bien même nous le désirerions de toutes nos forces. Ce désir de se construire –- que nous confondons avec notre désir profond d’unité –- est déjà une manière de se posséder, et donc se réifier [19] : il rend toute observation du soi nécessairement partiale. Cette « distension » dans le temps, entre le passé insaisissable et le futur désirable, rend tout discours prétendument cohérent sur soi impossible.

Par une sorte de catachrèse, c’est-à-dire d’emploi abusif faute de mot juste, nous ne cessons pourtant de vouloir donner un sens à nos réussite et nos échecs, sans en connaître justement le fin mot. Aussi Augustin nous invite à faire le mouvement inverse, vers le haut (ana) plutôt que vers le bas (cata) : ses Confessions sont une sorte d’anachrèse, si l’on veut bien excuser le néologisme.

D’une certaine manière, il s’agit plutôt de laisser émerger le sens en nous, comme paraissent les mots, sans en tirer pour autant une cohérence finale : c’est Dieu qui construit la phrase comme c’est Dieu qui y met un point. Il y a, chez Augustin, le refus de se donner à soi-même son sens, c’est-à-dire d’imposer un sens à sa vie, de s’orienter à partir de notre volonté, et d’imposer un sens à quelqu’un d’autre. Le risque est de mal lire sa vie, de mal l’orienter. Dans son écriture au présent, notre vie ressemble plus à un roman de Gracq [20] – selon le mode de l’écriture-mouvement [21] –- qu’à une pièce de Racine –- conçue à rebours, à partir de sa fin, selon l’ἀναγκαῖον [22] aristotélicien [23] –-. Certes, nos vies doivent tendre vers une fin, Dieu, mais la « mise en signification » de nos vies, en revanche, doit se contenter d’un « angle », dont le sommet est le « je » incomplet du passé, et les secteurs sont la poursuite de ce « je » et la poursuite de Dieu.

La dramatisation de soi : ne pas se prendre au tragique

« Il allait hériter de la terreur tragique…
Il allait hériter de la pitié tragique,
Il allait en tirer l’ardente charité. »
Péguy [24]

Dans leur construction même, nos discours sur nous-mêmes ne peuvent donc pas supporter l’écriture tragique, qui suppose de connaître le dénouement naturel de sa vie. Si le drame est l’attente anxieuse de ce mystérieux dénouement, peut-on toutefois échapper à la dramatisation de notre vie ?

Augustin condamne en tout cas deux formes de représentations de soi et de discours à Dieu [25], auxquelles nous nous adonnons sans cesse, dans notre for interne, et depuis au moins 2500 ans, oscillant de l’une à l’autre sans arrêt : la comédie et la tragédie [26]. D’après Sand [27], dans les Confessions, Augustin ne veut ni être pris en pitié ni tourné en dérision [28].

Si la comédie consiste à se mettre à distance de soi, à faire du cinéma, à accepter l’absurde, se rire du malheur, à se prêter au cynisme, elle saura rendre compte de l’insuffisance du soi, mais elle ne pourra pas rendre compte de la tension qui pousse l’homme vers Dieu de toute éternité. Et qui se prend au comique ne sera tout au plus qu’un personnage stéréotypé privé de sa propre expression de lui-même.

Si la tragédie consiste à se prendre pour un héros [29], confronté à un destin implacable et contraire, elle saura rendre compte de la discordance entre la volonté humaine et la volonté divine, mais elle ne pourra rendre compte de la Providence qui harmonise tous les chants en un seul [30]. Et qui se prend au tragique ne sera tout au plus qu’un héros raté de mélodrame romantique [31], que le ridicule rendra pathétique.

« Telle était ma vie ; était-ce la vie, ô mon Dieu ? » [32], s’enflamme saint Augustin après avoir décrit le ravissement du théâtre. Selon Augustin, le théâtre, et par conséquent, la « théâtralisation » de nous-mêmes corrompt notre penchant naturel à la pitié en le tournant vers de mauvais objets.

Bas les masques : la re-connaissance de son statut de créature

« Qui regarde vers Lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. » [33]

Même la sincérité est un masque [34], puisque « nul ne sait parmi les hommes ce qui se passe dans l’homme » [35]. La seule confession honnête est celle qui se fait en silence et en présence de Dieu [36].

« Je confesserai donc ce que je sais de moi ; je confesserai aussi ce que j’ignore de moi : car, d’une part, ce que je sais de moi, c’est quand tu fais la lumière sur moi que je le sais ; de l’autre, ce que j’ignore de moi, je l’ignore toujours, jusqu’à ce que mes ténèbres deviennent comme un plein midi devant ta face. » [37]

Et cette étape seule permet l’avènement d’une vérité sur l’homme : « Je ne dis en effet rien de vrai aux hommes que de moi toi d’abord tu ne l’aies entendu, ou même tu n’entends de moi rien de pareil qu’à moi toi d’abord tu ne l’aies dit. » [38]

Paradoxalement, seule la charité qui « croit tout » peut donc certifier un discours. Et si Augustin écrit tout de même, c’est pour être écouté par « les oreilles qu’ouvre la charité » [39], car dans la communauté eucharistique, ses Confessions, ne sont plus seulement le discours d’un homme –- fût-il évêque –- à Dieu, mais le discours de Dieu –- qui seul ne ment pas –- sur les hommes.

« Mais s’ils t’entendent parler sur eux-mêmes, ils ne pourront dire : le Seigneur ment. Qu’est-ce en effet que t’entendre parler sur soi-même, sinon se connaître soi-même Et qui donc, s’il connaît, peut dire « c’est faux », à moins qu’il ne mente lui-même. » [40]

Et ce discours prime tous les autres, car à défaut de se raconter, il faut se connaître, et qu’il n’est pas meilleure manière de se connaître que de se connaître dans son rapport à Dieu. Avant d’être blanc ou noir, avant même d’être un homme ou une femme, l’être humain est une créature, un être incomplet, seul et insatisfait sans Dieu. Si intéressants que soient les prismes de la psychanalyse, des études de genres, de la littérature, de l’histoire ou de la sociologie, ils sont incapables de rendre compte de cette réalité première, qui nous définit par dessus tout : la première des relations, celle qui fonde l’homme, est celle qui l’unit à son Créateur.

Ainsi, le discours et le regard que le saint porte sur lui-même doit être une recherche du visage de Dieu, afin que sa réflexivité ne soit pas un masque à l’image de Dieu en lui, mais qu’elle soit transparente à la source divine. La vie intérieure -– intelligence, mémoire et volonté –- du saint se met à l’école de la vie trinitaire. Et la lecture des œuvres de l’évêque d’Hippone s’en trouve alors justifiée :

« Que mon lecteur, s’il communie pleinement à ma certitude, fasse route avec moi ; et s’il partage tous mes doutes, qu’il cherche avec moi ; s’il se reconnaît dans l’erreur, qu’il revienne à moi ; s’il m’y surprend moi-même, qu’il m’en détourne. C’est ainsi que nous avancerons ensemble sur le chemin de la charité, vers Celui dont il est écrit : ‘Cherchez sans cesse son visage’. Voilà le vœu pieux et ferme dont je voudrais convenir devant le Seigneur notre Dieu, avec tous mes lecteurs et à propos de tous mes écrits. » [41]
Saint Augustin - Constance de Champs
Saint Augustin

[1Les Confessions, IV, iv, 9 : « J’étais devenu pour moi-même une immense question [un immense problème] ».

[2Qu’on pense à Xénophon ou à César, même si la Guerre des Gaules appartient à proprement parler au genre des mémoires plutôt qu’à celui de l’autobiographie. Même le poème que Grégoire de Nazianze compose à partir de sa vie se rapproche davantage de ce que nous pourrions appeler aujourd’hui une autobiographie.

[3HUGUENIN Jean-René, Journal

[4Les Confessions, I, i, 1.

[5Les Confessions, X, iv, 6.

[6Les Confessions, X, v, 7.

[7« Qu’il est difficile de proposer une chose au jugement d’un autre sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer. Si on dit : je le trouve beau, je le trouve obscur, ou autre chose semblable, on entraîne l’imagination à ce jugement ou on l’irrite au contraire. Il vaut mieux ne rien dire, et alors il juge selon ce qu’il est, c’est‑à‑dire selon ce qu’il est alors et selon que les autres circonstances dont on n’est pas auteur y auront mis. Mais au moins on n’y aura rien mis, si ce n’est que ce silence n’y fasse aussi son effet, selon le tour et l’interprétation qu’il sera en humeur de lui donner, ou selon qu’il le conjecturera des mouvements et air du visage, ou du ton de voix selon qu’il sera physionomiste. Tant il est difficile de ne point démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il en a peu de ferme et stable. » PASCAL, Les Pensées, Sellier § 454.

[8Retract., Prolog. 2.

[9Les Confessions, I, i, 1.

[10Les Confessions, X, i, 1.

[11Les Confessions, X, iv, 5.

[12Les Confessions, VII, xx, 26 : « In quos me propterea, priusquam Scripturas tuas considerarem, credo voluisti incurrere, ut imprimeretur memoriae meae, quomodo ex eis affectus essem et, cum postea in libris tuis mansuefactus essem et curantibus digitis tuis contrectarentur vulnera mea, discernerem atque distinguerem, quid interesset inter praesumptionem et confessionem, inter videntes, quo eumdum sit, nec videntes, qua, et viam ducentem ad beatificam patriam non tantum cernendam sed et habitandam. » (Si, avant que j’eusse médité tes Écritures, tu as voulu me les faire rencontrer, je crois que c’est pour ce motif : ainsi s’imprimeraient dans ma mémoire les sentiments qu’ils m’auraient inspirés, et, lorsque plus tard je me serais apprivoisé dans tes livres et que tes doigts guérisseurs auraient pansé mes blessures, je discernerais, je distinguerais quelle différence sépare la présomption et la confession, ceux qui voient où il faut aller sans voir par où et celui qui est la voie conduisant non seulement à la vue, mais encore à l’habitation de la patrie bienheureuse.)

[13BERNANOS Georges, Les Enfants humiliés, Folio, Paris, 1998, p. 161.

[14« Il y a, selon moi, deux sortes d’orgueil : l’un plus grossier et auquel on échappe aisément ; c’est le contentement de soi-même ; l’autre, plus subtil, plus facile à se glisser inaperçu, plus raisonnable, se cache dans le déplaisir qu’on a de ses propres misères, déplaisir qui, s’il ne se tourne pas en contrition, se tourne en dépit ; nous sommes désolés de ne point pouvoir nous reposer en nous-même, notre conscience est un témoin à charge que nous entendons malgré nous, nous enrageons d’être si peu de chose, parce que nous avons hérité du premier sentiment coupable du premier père, et que nous voudrions être des dieux. Dans cet état, nous nous reprochons surtout les imperfections qui dépendent le moins de notre volonté ; nous aimons mieux nous désespérer que de nous condamner. Nous nous en prendrions volontiers au Créateur de ne nous avoir pas plus avantageusement doués ; nous sommes presque jaloux des facultés et des vertus d’autrui. Ainsi l’amour s’affaiblit, et l’égoïsme se cache sous cette trompeuse austérité de nos regrets : nous ne nous déplaisons si fort que parce que nous nous aimons trop. Et en effet remarquez combien on se complaît dans la mélancolie : premièrement, parce que c’est une manière de s’occuper de soi ; secondement, parce qu’à défaut de mérites que l’on voudrait trouver en soi pour les admirer, on est heureux d’y montrer du moins le chagrin de ne les pas avoir. C’est un sentiment d’apparence honorable, c’est une sorte de justice, c’est presque une vertu. Et puis il est plus commode de rêver que d’agir : les larmes nous coûtent moins que la sueur ; et ce sont nos sueurs que la sentence inexorable nous demande. » (Extrait d’une lettre de Frédéric OZANAM du 5 octobre 1837

[15Horatio, dans le second Hamlet, de W. SHAKESPEARE (traduction de V. HUGO).

[16Les Confessions, XI, xxviii, 38.

[17Les Confessions, XI, xxviii, 38 : « Ce qui se produit pour le chant tout entier se produit pour chacune de ses parties et pour chacune de ses syllabes ; cela se produit pour une action plus ample, dont ce chant n’est peut-être qu’une petite partie ; cela se produit pour la vie entière de l’homme, dont les parties sont toutes les actions de l’homme ; cela se produit pour la série entière des siècles vécus par les enfants des hommes, dont les parties sont toutes les vies des hommes. »

[18La mémoire est ce que je suis, comme Augustin le dit explicitement en Conf. livre X, viii, 15, xi, 18, et surtout xvii, 26.

[19AUGUSTIN, De la vraie religion, XXXV, 65 : « Ce que nous cherchons c’est l’unité, l’unité dans toute sa simplicité. Cherchons donc cette unité divine dans la simplicité de notre coeur. « Soyez en repos, est-il écrit, et vous reconnaîtrez que je suis le Seigneur. » (Ps. XLV, 11) Ce n’est point un repos de lâcheté, c’est le repos de la pensée que ne fatigue ni le temps ni l’espace ; car les images que produisent le volume et l’inconstance des objets matériels nous dérobent la vue de l’invariable unité. Dans l’espace, les objets tentent nos désirs ; le temps les ravit à notre amour et nous laisse dans l’esprit le tourbillon de vaines pensées qui excitent et portent ça et là nos désirs. Ainsi l’âme devient chagrine ; et vainement cherche-t-elle à posséder ce qui la possède elle-même. On l’invite donc au repos, c’est-à-dire à ne point aimer ce qu’elle ne peut aimer sans fatigue. »

[20Ou un roman de Flaubert, d’ailleurs, par le refus de « faire pyramide » : « Vous me parlez de L’Éducation sentimentale […]. Pourquoi ce livre-là n’a-t-il pas eu le succès que j’en attendais ? […] C’est trop vrai et, esthétiquement parlant, il y manque la fausseté de perspective. À force d’avoir bien combiné le plan, le plan disparaît. Toute œuvre d’art doit avoir un point, un sommet, faire la pyramide, ou bien la lumière doit frapper sur un point de la boule. Or rien de tout cela dans la vie. Mais l’Art n’est pas dans la Nature ! N’importe ! je crois que personne n’a poussé la probité plus loin. » (Lettre à Mme Roger des Genettes, début octobre 1879).

[21Dans un entretien de 2001 avec Bernhild Boie, Julien Gracq explique sa façon d’écrire : « Ce que j’écris, dans mes ouvrages de fiction, coule dans le lit du temps, va vers quelque chose, ne comporte pas, ou très peu, de bifurcations, de retours en arrière, d’inclusions parasitaires ou de péripéties [...] Ces livres ne peuvent guère agir s’ils ne donnent pas le sentiment d’un mouvement porteur, continu, qui les mène moins peut-être vers un point final que plutôt vers une espèce de cataracte
. » (GRACQ Julien, Entretiens, p. 295.)

[22La nécessité. Tous les éléments d’une tragédie antique ou classique doivent nécessairement mener vers la fin de cette tragédie. Aucun élément n’est là par hasard.

[23Le Professeur Georges Forestier (Paris-IV) démontre, dans sa fameuse approche « génétique » des tragédies classiques, que celles-ci sont d’abord fondées sur le principe de la cause finale, et que la mise en intrigue est d’abord faite par un auteur qui en connaît la fin –- ce qui n’est pas le cas de l’être humain, ignorant de sa fin naturelle, et soumis au mystère de sa fin surnaturelle –-.

[24PÉGUY Charles, Suite d’Ève .

[25La tragédie et la comédie trouvent leur origine dans le culte de Dionysos.

[26Le début du troisième livre des Confessions est une attaque en règle du théâtre, du plaisir qu’on éprouve aux larmes, pour des malheurs qui appartiennent au passé ou à la fiction. Il est plus commode de pleurer sur les malheurs de Phèdre que sur ceux de notre voisin.

[27SAND Kathleen, Escape from Paradise : Evil and Tragedy in Feminist Theology.

[28Cette lecture des motivations d’Augustin dans les Confessions est discutée par Rowan Williams dans On Augustine. Il n’en demeure pas moins saint Augustin s’interroge sur la représentation de soi et qu’il condamne clairement la représentation théâtrale.

[29Selon Philippe Sellier (Pascal et saint Augustin, Albin Michel, Paris, 1995, pp. VIII-IX), la « démolition du héros », selon la « formule heureuse » de Paul Bénichou (Morales du grand siècle, 1948) qui caractérise le classicisme doit être notamment imputée à l’influence de saint Augustin sur les auteurs du XVIIe siècle. D’ailleurs, cette « démolition du héros » répond en partie au paradoxe qui fait du siècle plus augustinien le siècle le plus prolixe en tragédies (lesquelles étant pourtant dénoncées par le maître).

[30Les Confessions, XI, xxxi, 41 : « Seigneur, mon Dieu, qu’ils sont grands les replis de ton profond mystère ! Et combien loin m’en ont rejeté les conséquences de mes fautes ! Guéris mes yeux, et fais que je participe à la joie de ta lumière. Certes, s’il est un esprit doué d’une telle ampleur de science ou de prescience que toutes les choses passées et futures soient aussi bien connues de lui que l’est de moi un seul chant bien connu, cet esprit provoque un excès d’admiration et une stupeur qui va jusqu’à l’horreur sacrée ; car ainsi rien ne lui échappe de ce qui s’est accompli, rien de ce qui reste pour les siècles à venir, pas plus que ne m’échappent, dans le chant que je suis en train de chanter, quelles choses et combien de choses s’en sont allées depuis le début, quelles choses et combien de choses en restent jusqu’à la fin. Mais loin de moi la pensée que Toi, le Créateur de l’univers, le Créateur des âmes et des corps, loin de moi la pensée que Tu connaisses ainsi toutes les choses futures et passées. Toi Tu connais beaucoup, beaucoup plus merveilleusement, beaucoup plus mystérieusement. Oui, ce n’est pas comme pour celui qui chante un air connu ou entend un chant connu, et chez qui l’attente des sons futurs et la mémoire des sons passés font varier les impressions et provoquent la « distension » des sens ; ce n’est pas ainsi que les choses se passent pour toi, immuablement éternel, c’est-à-dire vraiment éternel, Créateur des intelligences. Aussi, de même que Tu connais dans le principe le ciel et la terre sans variation dans ta connaissance, de même Tu as fait dans le principe le ciel et la terre sans distinction dans ton action. Que celui qui comprend te fasse confession ! Que celui-là aussi qui ne comprend pas, Te fasse confession ! Oh ! que tu es élevé ! Et ce sont les humbles de cœur qui sont ta maison. Car Toi, Tu relèves les abattus, et ceux-là ne tombent pas dont Tu es l’élévation. »

[31HESSE Hermann, Le Loup des steppes : « Tu avais en toi une image de la vie, une croyance, une exigence, tu étais prêt à des exploits, des souffrances, des sacrifices ; et puis, peu à peu, tu remarquas que le monde n’exigeait de toi aucun exploit et aucun sacrifice, que la vie n’est pas une épopée héroïque avec des rôles en vedette, mais une cuisine bourgeoise, où l’on se contente de boire et de manger, de prendre un café, de tricoter des bas, de jouer aux cartes et d’écouter la T.S.F. Et celui qui veut et qui a en lui autre chose : l’héroïque, le beau, l’adoration des grands poètes, la piété pour les saints, n’est qu’un imbécile et un don Quichotte. »

[32Conf. Livre III, ii, 4.

[33Psaume XXXIII.

[34« Être naturel est aussi une pose, et la plus irritante que je connaisse », s’exclame Lord Henri, au chapitre premier du Portrait de Dorian Gray d’Oscar WILDE.

[35Les Confessions, X, ii, 2.

[36Les Confessions, X, ii, 2.

[37Les Confessions, X, v, 7.

[38Les Confessions, X, ii, 2.

[39Les Confessions, X, iii, 3.

[40Les Confessions, X, iii, 3.

[41AUGUSTIN, De Trinitate, I, 3, 5, BA, pp. 96-97

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