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Une tradition japonaise consiste à fêter les morts, une fois le deuil passé, lors d’une grande réunion de la famille et des connaissances du défunt. Elle ne se résume pas simplement à notre Toussaint, dont un équivalent japonais, obon お盆 existe d’ailleurs en l’honneur des ancêtres et de tous les défunts, qui revienne une fois l’an visiter les vivants.
Ces anniversaires de mort se font en général la première et la troisième année après le décès, puis la cinquième et la dixième année, puis tout les dix ans tant que des vivants familiers du défunt sont encore de ce monde.
Il y a peu, un vieil ami me montra un film souvenir du cinquantième anniversaire de la mort de son père. Il est en effet rare de fêter un cinquantième anniversaire de décès, car cela suppose que cinquante ans après le décès de la personne en question, il existe toujours de ses familiers en vie [1].
Cette tradition, me suis-je dit alors, a quelque chose de réellement merveilleux. Outre qu’il est précieux, surtout dans notre époque folle, de rassembler famille et familiers lors d’une journée où le temps s’écoule différemment et prendre le temps de goûter à cette société si particulière de tout âge et de caractères divers, faite par le sang, le temps et l’amour, il est aussi essentiel de se rassembler pour fêter quelque chose de triste. A la différence des rassemblements familiaux pour des occasions heureuses, communions, mariages, naissances, anniversaires et autres, et aussi à la différence des deuils et des enterrements, qui permettent de consommer en partie -et de commencer à faire son deuil- la rupture occasionnée par un décès non désiré, les anniversaires du décès rassemblent volontairement famille et familiers autour du mort en pensée bien longtemps après la sortie du deuil, et leur confère ainsi une atmosphère et une nature différente des prières personnelles, des pensées éparses, et de la fête générale, si on peut dire, et plus intime que la Toussaint -ou de l’Obon.
Fêter l’anniversaire de ses mort porte en effet un caractère qui, peut-être, manque quelque peu chez nous – ou a été oublié, je ne sais. Se retrouver tous ensemble pour fêter quelque chose de triste n’est pas anodin, et cela bonifie les âmes. Ce n’est pas parce que la mort provoque la tristesse qu’il faut l’oublier, et même plus, la tristesse ne signifie pas souffrance. Celle-ci vient souvent avec la tristesse, mais elle n’a pas forcément ni les mêmes causes, ni les mêmes sources. On peut se souvenir tristement de ses morts, dans une sérénité harmonieuse libérée d’une souffrance que le deuil est censé apaiser dans l’acceptation de la séparation. L’anniversaire des décès permet au contraire de renouer avec ses morts, sur un autre plan, et différemment, avec l’élément fondamental de la communion familiale autour de et avec ses défunts. Se (re)poser ensemble pour se souvenir et continuer l’histoire de tous avec le défunt dans la réalité incarnée du jour anniversaire. N’est-ce pas un témoignage immense de la communion spirituelle avec ses ancêtres ? Les défunts peuvent ainsi continuer à participer activement, grâce aux vivants, au destin de la « Maison », entendez la grande famille.
Un autre aspect capital des ces anniversaires consiste dans la transmission de la mémoire et la connaissances des anciens et des défunts aux jeunes. Dans un cinquantième anniversaire de la mort d’un défunt de la famille, les jeunes enfants présents apprennent à connaître le grand père de leur grand père, et auront ces souvenirs de cette immensité de la lignée familiale toute leur vie dans leur cœur, dont l’impression fleurira au moment opportun. Imaginez un peu que vous ayez pu connaître un aïeul dans son anniversaire de décès dès votre enfance. N’auriez-vous pas plus facilement et plus rapidement porter un intérêt profond, avec la conscience d’une certaine gravité, pour vos propres origines ? De la conscience charnelle d’appartenir à une lignée de sang qui remonte indéfiniment, dont de nombreux hommes ont construit la maison, qui sublime la famille, et dont, sans leurs diverses existences, vous n’auriez jamais pu naître ? Sans même parler de tous le trésor des expériences et des histoires transmises pour l’édification des âmes et l’évitement des erreurs passées.
Ne devrait-on pas nous aussi en France, fêter périodiquement les anniversaires des décès en rassemblant toute la famille lors d’une journée, dont le centre serait une messe pour la paix de l’âme du défunt ? La maison n’existe que dans l’incarnation des liens naturels et la réalisation réelle et quotidienne de ce genre d’événements, qui ne font pas que symboliser ou rassembler mais créent, et participent à la vie concrète d’une communauté familiale parmi les vivants et avec les mânes des ancêtres.
[1] Les fréquences peuvent différer légèrement en fonction des régions et des religions mais l’idée est là.
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