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L’inversion des valeurs en France n’est pas un mythe. Tout peut le rappeler à qui sait observer la réalité telle qu’elle est. Il n’est néanmoins pas si évident de débusquer toutes ces inversions, ou du moins de bien les avoir distinctement à l’esprit. Le travail n’en est que plus difficile pour la jeunesse qui n’a pas la possibilité de posséder un terme de comparaison, qui prend l’inversion pour la normalité et qui est privé du centre de gravité éternel, nié encore et encore.
Même la plus traditionnelle des personnes ne manque sans aucun doute pas d’inverser à son insu et à son corps défendant. Le drame s’est d’ailleurs peut-être joué là durant ces deux derniers siècles : ceux-là mêmes qui croyaient défendre la tradition et le bon sens face à la destruction et à l’inversion ont peut-être accéléré la chute par ces inversions si profondément inculqués depuis le jeune âge qu’elles en deviennent aussi inextirpable que la vieille crasse graisseuse d’un outil accumulée par des années de laisser-aller et de laxisme.
Le salut, ou plutôt l’espoir de prise de conscience, se trouve pour tous dans l’histoire et le Japon. L’histoire permet de revivre les choses mortes rappelant clairement le centre de gravité – à qui veut bien le voir. Le Japon permet quant à lui de vivre réellement dans la tradition en exercice, son état d’esprit et sa substance. Face à l’histoire, elle possède l’incommensurable avantage de faire découvrir dans la chair, par l’expérience, cette réalité, car, si nous ne saurions nous prononcer sur la possibilité de revivre simplement par les mots des morts l’esprit passé, il semble néanmoins malaisé au caractère de l’homme, par nature si empâté dans ses habitudes, de voir autre chose que ce qu’il veut voir. Cela s’applique aussi évidemment aux événements de la vie concrète, mais, à la différence des mots, il reste toujours plus difficile de ne pas voir ni sentir la réalité que l’on vit dans sa chair. Il faut tout de même être profondément atteint par la maladie de l’esprit, communément appelée idéologies, pour nier les réalités les plus fondamentales. Les idéologies s’enferment dans un monde sans réalité ni humanité. Au temps du communisme soviétique, si l’on avait envoyé tous les cocos dans un village réel – et non pas ceux destinés à la propagande – il est certain que beaucoup n’auraient pu que choisir entre abandonner leur fausse foi ou abandonner tout simplement leur humanité. Si on envoyait ainsi tous les bobos de Paris travailler dans les champs et gérer un petit commerce pour quelques temps, combien donc réaliseraient tout le mal qu’ils disent et qu’ils font sans même plus s’en rendre compte une seconde.
Revenons-en à l’inversion des valeurs et prenons un exemple qui relève presque du détail mais qui révèle avec une limpidité éclatante la pente fatale de la société raie publicaine. Tout le monde connaît et admet avec naturel dans nos terres l’interdiction complet de fumer dans les restaurants, cafés et autres commerces sans même plus trouver cela étrange. Au pays du soleil levant, il existe aussi une législation analogue mais différente : ici fumer est interdit sur la voie publique a priori -toute localité peut ensuite, s’entend, autoriser de fumer s’il le désire- et il n’est rien prévu pour les lieux privés. Certains pourraient trouver cela bizarre, voire totalitaire, d’interdire de fumer sur la voie publique dans les villes, en dehors de quelques zones réduites à cet effet. Ces nippons seraient donc bien des fous inversés autoritaires... Vraiment ? Certains lecteurs doivent déjà avoir compris la différence fondamentale entre ces deux législations, qui classent la France dans la catégorie des négateurs du bon sens et des principes dans un dessein totalitaire d’inversion et de suppression des valeurs, et le Japon, respectueux du centre de gravité universelle.
Il est en effet impensable en terre nipponne de pondre une loi qui irait réglementer ce que doivent faire les gens chez eux. Interdire un propriétaire d’un restaurant de laisser fumer ses clients revient à tout simplement à se mêler de la vie privée des gens chez eux. Le commerçant dans son magasin est chez lui, comme tout un chacun, et s’il désire interdire ou autoriser de fumer, c’est de son seul ressort. C’est son privilège – dans son sens premier de loi privée. Les clients ne sont pas contents ? Qu’ils aillent ailleurs. Chez moi, ce n’est pas le voisinage qui fait la loi. Et pourtant la raie publique viole ce plus basique des privilèges de tout un chacun.
Au Japon, au contraire, la loi, puisque loi, ne peut porter que sur la chose publique, en l’occurrence la voie publique, qui est censée être le lieu de tous. La loi est ici légitime et mesurée. Elle ne s’occupe que de son domaine, la chose publique, en laissant le domaine privée à sa place.
Mais alors, répliquera-t-on, si je tue quelqu’un chez moi on ne devrait rien pouvoir me reprocher, dans cette logique ? La nature du sujet change ici d’ordre. Tout est dans la mesure, et l’excès apporte le mal. Laisser à la merci de la loi privée tout le choix amène à l’arbitraire. Mais la loi d’un État n’en est pas moins privé en ce sens qu’elle reste composée par les hommes. Ici seul le sacré permet en réalité de chercher à punir l’assassinat même chez l’autre. Toute violence au sens de viol, de franchissement de la ligne sacré est quelque chose de mauvais. Mais les hommes ne sont qu’hommes, et la chose publique reste limitée. Qu’un crime ne soit pas puni devant les hommes ne signifie qu’il reste impuni, bien au contraire. Que cela soit chez soi ou dans le pays tout entier, il faut tout simplement chercher continuellement ce qu’on appellerait en Occident la loi divine.
Pour revenir au cas de l’assassinat chez soi, on pourrait à la limite affirmer que cela n’est en soi pas forcément un problème, puisque n’entame pas l’ordre de la chose publique ; sauf que, à la différence de laisser ou non fumer chez soi, laisser ou non assassiner chez soi entraînerait forcément le désordre en encourageant vendettas des amis de l’assassiné. Mais en tout cas, la justice humaine ne peut que difficilement dépasser ce stade de l’ordre matérielle. Seule un roi peut entraîner les âmes de son peuple vers le bien et à la vérité dans l’encouragement de chacun à se réformer en son cœur, et dont les possibilités se trouvent dans un tout autre ordre que l’exercice matérielle et superficielle de la contrainte, de la loi -écrite- et autres outils devenus idoles dans nos temps contemporains.
Voyons pour finir une bel enseignement du fondateur d’une des plus grandes universités du Japon au XIXe siècle, dont le visage se trouve sur tous les billets de banque de 10000 yens :
« Si l’on considère néanmoins que la vie humaine se sépare – grosso modo – entre coeur et corps, entre âme et apparence, entre choses spirituelles et choses matérielles, il est impossible de gouverner parfaitement les hommes en ignorant leur esprit et en forçant leur corps. Le cas d’un employé de maison est peu ou prou le même : il est impossible de rendre un bon service si l’on ne se soucie que de sa rémunération et de ses horaires de travail. Quel que soit le domestique, il ne peut accomplir ses tâches avec joie que s’il existe une certaine affection réciproque entre le patron et lui. En bref, cette affection réciproque constitue ce qui se rapporte à la partie spirituelle de l’homme. En réalité, il est impossible de gouverner une personne en ne s’occupant que de la simple partie matérielle des choses – ici le salaire et le temps de travail. La politique n’est de façon analogue que l’établissement du cadre extérieur de la société : il devrait être évident pour tout le monde qu’elle ne peut suffire à susciter l’adhésion des âmes. » [1]
La loi de l’État, désacralisée, n’est aujourd’hui qu’une loi privée qui tente d’imposer et détruire tous les autres lois privées. L’esprit public n’existe plus ni dans l’État, ni dans les maisons particulières. Tout est contrainte et violence, nouvelle jungle où le plus fort impose sa règle, forcément mauvaise quel qu’elle soit. Où sont les cœurs ? où est l’âme ? Où est la partie spirituelle de l’homme ? Sans roi ni Dieu, difficile de dire quand ils reviendront.
[1] Teishitsu-ron, chapitre 2.
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