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Le service public l’a décrété : le wokisme n’existe pas

A mesure que, comme nous le prédisait James Lindsay, la corruption progressiste américaine se répand dans notre univers mental français, l’opinion publique en prend conscience, et le terme « woke » commence à être utilisé pour critiquer les propositions absurdes qui commencent à circuler. Bien évidemment, il n’en faut pas beaucoup plus pour que la gauche médiatique s’émeuve d’une nouvelle campagne menée par « la droite et l’extrême-droite ». Ainsi a-t-on pu lire récemment deux articles de France Info, dont le but était de décrédibiliser les critiques qui se font désormais entendre, en les présentant comme sans fondement, voire sans objet. L’un se présente comme rien moins que « l’article à lire » pour comprendre le phénomène, l’autre est de la main de Clément Viktorovitch, intervenant télégénique connu pour sa technique du délire interprétatif systématiquement mis au service du déni du réel et de la criminalisation de la pensée droitière.

Dans les deux cas, il s’agit de prétendre que le « wokisme » ne recouvre aucune réalité et n’est qu’un fantasme, ou pire, une stratégie de la droite pour disqualifier le discours progressiste. Ainsi, Albin Wagenel, associé à la très progressiste université de Rennes 2, prétend-il dans l’article où il est sollicité que le « wokisme » sert à « créer une panique morale » sur des sujets « qui n’ont aucun lien avec les autres » ; Viktorovitch, lui, clame que le concept est « dénué de sens » et rejette l’idée qu’il renvoie à un courant de pensée. Tout au plus consent-il à énumérer des modes d’action utilisés par des « militants et militantes », tels que les tentatives d’empêcher des conférenciers de parler, etc.

Mais précisément : que revendiquent ces « militants » auxquels fait allusion Viktorovitch ? Ne venait-on pas de nous dire qu’il ne saurait y avoir d’unité conceptuelle entre divers mouvements de protestation contre les inégalités « systémiques » ? Or, il y a bien des similitudes entre les militants de diverses causes « minoritaires » : ceux qui prétendent lutter contre le racisme, contre le sexisme, contre l’homophobie emploient le même genre de techniques radicales pour faire taire leurs opposants. Il ne s’agit pas là d’une simple coïncidence dans les méthodes choisies : ces luttes contre une oppression systémique se retrouvent précisément dans le fait qu’elles conçoivent la société comme structurée principalement par une oppression infligée par un groupe dominant à des minorités privées de moyens d’action. On observe dans leurs arguments, systématiquement, l’idée que la liberté d’expression ne devrait pas s’étendre à certains discours considérés comme dommageables aux opprimés.

Il y a donc des groupes de pression universitaires américains qui considèrent que porter certains costumes « ethniques » à l’occasion d’Halloween est une violence faite aux représentants des ethnies concernés ; et, par conséquent, des professeurs qui se voient menacés physiquement, puis contraints à la démission, pour avoir jugé publiquement que des telles régulations n’avaient pas lieu d’être. Il y a des groupes universitaires qui approuvent le licenciement par Google d’un ingénieur pour avoir osé poser la question de la disparité de représentation entre hommes et femmes dans le monde de l’informatique autrement que sur le mode de l’oppression. Il y a des administrations universitaires qui tentent d’imposer à tous l’obligation d’employer des « pronoms » idoines pour désigner les personnes prétendant avoir changé de sexe.

Non seulement les procédés sont les mêmes entre ces causes qu’on veut nous présenter comme de nobles combats contre des inégalités bien précises, mais on sait même que, dans des universités progressistes comme Evergreen, lorsque des groupes de militants se réunissent, ils commencent par énumérer et dénoncer leurs propres « privilèges », au nom d’une pensée appelée « intersectionnalité », qui prétend unifier sous un même nom tous les rapports de domination sociaux et symboliques qui se font jour dans la société. Clément Viktorovitch aurait pu se renseigner un peu plus en détail dans son travail de préparation : il y a bien une vision unifiée à la racine-même des mouvements qui agitent l’université américaine.

Une des caractéristiques de la pensée que nous appellerons donc « woke » est d’absolutiser le statut de victime et la souffrance des catégories dites opprimées. Rien ne saurait venir nier la souffrance ressentie et dénoncée par une personne autorisée à le faire. Récemment, à Yale, un étudiant en droit s’est vu malmené par l’administration chargée de « diversité, équité et inclusion » pour avoir utilisé, dans une invitation à une soirée à thème, un mot considéré comme offensant pour les Afro-américains. Peu importe qu’il ait montré à qui voulait l’entendre que le sens, premier dans le dictionnaire, du mot « traphouse » était celui d’un endroit mal famé et sordide : des militants ayant décrété que ce mot renvoyait nécessairement à l’histoire de l’acharnement policier sur les communautés noires dans la lutte contre la drogue, il devenait nécessaire que le coupable fasse publiquement ses excuses à la catégorie offensée.

Et puisqu’il faut bien parler de la France, nous rappellerons à Viktorovitch et ses collègues « décrypteurs » qu’un tel cas a eu lieu récemment en France, dans le milieu universitaire : lorsque le bruit a couru d’un professeur de grec faisait porter un masque noir à des actrices blanches dans sa mise en scène des Suppliantes d’Eschyle, rien ne put arrêter le tollé qui s’éleva, au motif qu’il s’agissait d’une « blackface », manifestation de racisme envers les noirs. Peu importait que Philippe Brunet fût un défenseur de la thèse absurde de la paternité noire africaine de la civilisation égyptienne, et qu’il soit connu pour des engagements dits anti-racistes. Peu importait que ces masques noirs fussent justement une matérialisation de la thèse de l’Égypte noir-africaine, puisque les nymphes ainsi parées sont censées venir d’Égypte. Peu importait que toutes les nymphes représentées en procession portassent un masque, blanc ou noir. Dans le manuel de pensée « woke », grimer un blanc en noir est forcément, nécessairement, une offense aux noirs, au mépris de l’intention que pouvait avoir l’auteur du geste : le ciel crie vengeance.

L’université s’était targuée d’avoir résisté à la pression indigéniste, et d’avoir maintenu la représentation de la pièce… en omettant de préciser que, pour ne pas éveiller à nouveau les dragons révoltés, les masques noirs avaient été finalement remisés au placard. Non seulement le monde universitaire, mais aussi la presse française, s’étaient distingués par un quasi-unanimisme bêlant les arguments aveugles du « geste oppressif », forcément « traumatisant » qu’il fallait censurer. N’était-ce pas une démonstration du pouvoir institutionnel d’une idéologie qu’on prétend nous présenter comme fictive ? Et s’il faut d’autres preuves de la présence bien réelle de ce délire venu d’Amérique, on rappellera aux militants de France Info que, dans les affaires #MeToo comme #BalanceTonPorc, on a entendu avec une force égale des appels à inverser la charge de la preuve pour les accusations de viol : rendre l’accusé coupable jusqu’à ce que preuve soit faite de son innocence. Dans le monde médiatique français comme américain, la parole de la victime auto-proclamée doit écraser toute autre considération, sous peine d’aggraver ses souffrances et de faire perdurer les systèmes d’oppression. En France comme en Amérique, une clique de prétendus experts en sociologie affirme qu’il ne saurait y avoir de racisme de la part des noirs envers les blancs, partant justement du principe que c’est la société-même qui est structurée par l’oppression d’un groupe sur un autre, et que chaque être humain est nécessairement touché par le phénomène, soit comme victime, soit comme garant de ce système inique.

Au fond, France Info et tous les autres universitaires, journalistes et politiques [1] ne font rien d’autre que ce que l’on voit souvent sur les sujets des mouvements sociaux. Il s’agit d’abord de prétendre que ce qu’observent les citoyens qui se plaignent n’existe pas ; puis, dans le temps que l’on gagne en exigeant que le camp opposé apporte des preuves de l’existence de ce qu’il voit, de travailler à faire accepter les bouleversements que l’on a déjà mis en branle. C’est la stratégie mise en œuvre depuis des décennies concernant l’invasion migratoire : nier que l’immigration soit trop importante pour les capacités d’absorption du pays, puis, doucement, par l’instrumentalisation de l’actualité et le bourrage de crâne moralisateur, en arriver à prétendre que la « créolisation » est une réalité heureuse, voire appeler ouvertement au grand remplacement, comme ce fut le cas d’une récente tribune publiée sur un blog de Mediapart, rapidement supprimée…

Aux États-Unis, après que Donald Trump eut annoncé une série de mesures pour lutter contre la Critical Race Theory (c’est-à-dire la théorie de critique raciale, le pendant racial de l’obsession identitaire, et le clan le plus structuré de la mouvance progressiste) dans le monde éducatif américain, le camp démocrate se pressa de prétendre que ces théories fumeuses n’étaient enseignées nulle part, si ce n’est dans certains départements de droit spécialisés, qu’il ne s’agissait que d’un outil théorique pour examiner les effets de certaines lois sur les disparités sociales entre communautés ethniques. Des journalistes et militants entreprirent donc de montrer toutes les preuves nécessaires : des réseaux entiers d’écoles, souvent dès la maternelle, appliquaient des pans entiers de cette idéologie, de l’aveu-même de certains enseignants, des comités de direction, des intervenants extérieurs, etc. A peine plus d’un an après cette offensive, devant la somme affligeante de témoignages, et devant la bronca qui s’élève parmi les parents, les mêmes qui niaient l’existence de tout sont désormais en train de clamer que tout cela est nécessaire et désirable, et que les parents n’ont pas leur mot à dire dans ce que l’école enseigne à leurs enfants.

C’est, avec le retard qu’ont les délires américains lorsqu’ils arrivent sur notre sol, ce que sont aussi en train de faire les forces progressistes françaises, en cherchant à jouer sur les mots pour présenter leurs adversaires comme des paranoïaques, et pour présenter les délires irrationnels qui se font jour comme des méthodes acceptables de recherche scientifique et des outils respectables d’action militante. De la même manière, le milieu des professeurs, issus majoritairement d’une gauche que le mouvement « woke » radicalise à vue d’œil, se récrie en découvrant qu’un magazine de droite critique la porosité entre leurs opinions personnelles et les cours qu’ils proposent au sein de l’école publique. Au fond, peut-être ces gens sont-ils sincères : après tant de temps passé à croire ses propres idées universellement partagées, n’est-il pas facile d’y voir l’étoffe-même de la neutralité que les services payés par les contribuables devraient endosser ? Soyons bienveillants...


[1Il faut ici rappeler que les propos d’une Sandrine Rousseau, universitaire et ci-devant candidate à l’investiture du parti écologiste, préférant « les femmes qui jettent des sorts » aux « hommes qui construisent des réacteurs nucléaires », ne sont pas seulement une divagation, mais font partie d’une nouvelle culture de la sorcellerie bien implantée dans le féminisme radical, où elle est l’avatar d’un rejet fréquent de la rationalité « blanche et masculine ».

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