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Professeur émérite d’histoire des religions à la Sorbonne (Paris IV), Pierre Maraval est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés aux premiers siècles du christianisme dont Le Christianisme des origines à Constantin (PUF, 2006).
S’il est l’auteur d’un Que sais-je ? (publié en 1999) consacré à Justinien, ce n’est pas tant avec celui-ci qu’il faut comparer son nouvel ouvrage qu’avec ses précédentes biographies de grand empereurs chrétiens : Théodose le Grand. Le pouvoir et la foi (Paris, Fayard, 2009) et Constantin, empereur romain, empereur chrétien (306-337) (Paris, Tallandier, 2011).
Car au delà de l’utilité certaine de biographies réactualisées de ces empereurs, c’est l’angle particulier d’analyse de leurs règnes qui fait tout l’intérêt de ces ouvrages : en quoi le christianisme de ces empereurs - en l’occurrence ici, celui-de Justinien - a-t-il influencé leurs règnes ?
Dans cet ouvrage, dont le titre est inspiré d’une citation de Charles Diehl (« Dès le lendemain de son avènement, Justinien rêva l’empire universel » [1]), Pierre Maraval s’attache à montrer tout au long de cette minutieuse biographie comment l’empire universel désiré par Justinien était un empire chrétien et comment cette recherche de la réalisation d’une empire chrétien universel commanda non seulement la politique religieuse de l’empereur, mais aussi sa politique intérieure et surtout sa politique extérieure.
Cela se comprend clairement si l’on regarde tout d’abord la vision que Justinien se fait du rôle d’empereur. « Si la théologie politique élaborée par Eusèbe accorde le pouvoir à l’empereur, et même le pouvoir absolu, car monothéisme et monarchie sont liés – de même qu’il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a qu’un seul roi –, elle définit aussi la manière de l’exercer : l’empereur, ami du Christ (philochristos), règne et gouverne à l’imitation du Christ, et à travers lui à l’imitation du Tout-Puissant » [2].
Cette idéologie impériale explique ainsi pourquoi la politique intérieure et la politique extérieure furent influencées par des motivations religieuses. Si la défense du territoire de l’empire est fort compréhensible indépendamment de toute explication religieuse, « la reconquête de l’Afrique et de l’Italie trouva sa justification officielle dans la volonté de délivrer les chrétiens orthodoxes de ces régions du pouvoir de maîtres hérétiques » [3].
De même, l’importance qu’il attache aux lois s’explique par le fait que « faire respecter l’ordre public, pour Justinien, c’était faire respecter l’ordre voulu par Dieu » [4]. C’est pourquoi celui-ci fit tout au long de son règne de profondes réformes, tant sur le plan religieux (pour tenter de réunir monophysites et chalcédoniens) que sur le plan administratif (pour tenter par exemple de limiter le pouvoir d’exaction des fonctionnaires).
La première partie de l’ouvrage présente le cadre historique, géographique et politique de l’empire (ainsi que l’organisation de l’administration impériale : fonctionnaires, armée, ...) et le règne de Justin, prédécesseur de Justinien, empereur de 518 à 527. Né en Thrace vers 482 et empereur à l’âge de 45 ans, Justinien avait eu amplement le temps de se former sous le règne de Justin (son oncle), participant même activement à sa politique impériale. Justin « suivit fréquemment ses conseils, en particulier [...] en ce qui concerne sa politique religieuse » [5].
Pierre Maraval présente ensuite le cadre central de l’ouvrage : « le problème religieux et ses implications politiques » [6]. Sous le règne de Justin, les païens étaient encore nombreux dans les campagnes et dans la classe aristocratique. Les chrétiens quant à eux étaient divisés (suite aux différentes hérésies des siècles précédents) et les ariens fort nombreux.
Accepté dans son ensemble par l’Occident, le concile de Chalcédoine de 451 provoque des oppositions dans plusieurs régions et diocèses d’Orient. « La formule de foi adoptée par la majorité déclarait que, dans l’unique personne du Christ, il fallait reconnaître deux natures (physeis) distinctes, la nature divine et la nature humaine » [7]. En opposition à cette formule nait alors le courant monophysite. En se ralliant au parti chalcédonien [8], Justin permit la réconciliation entre l’église de Rome et celle de Constantinople en 520. La communion entre Rome et les Églises d’Orient était en effet rompue depuis 483 et le pape Félix III [9]. Justin ne parvint cependant pas à rallier tous les évêques monophysites et sa politique, comme plus tard celle de Justinien oscille entre tolérance, persécutions et nouvelles tentatives de ralliement.
Lorsque Justinien arrive au pouvoir, le monophysisme est encore largement présent, et l’empire divisé. Son épouse, Théodora, est elle-même monophysite et le restera toute sa vie. Pierre Maraval souligne à plusieurs reprises le rôle important qu’elle eut durant le long règne (527-565) de son époux, la qualifiant de « premier et plus proche collaborateur de l’empereur » [10].
Malgré quelques tensions internes la première partie du règne de Justinien (de 527 à 540) est couronnée de réussites, tant sur le plan législatif que dans la défense des frontières ainsi que la reconquête de territoires perdus [11]. Décrit par une inscription de l’église des Saints-Serge-et-Bacchus comme « l’empereur qui ignore le sommeil » [12], Justinien eu dès le début de son règne une activité importante. Sur le plan de la politique intérieure, on peut noter la construction de nombreux nouveaux bâtiments religieux (ce rôle de bâtisseur de l’empereur étant censé témoigner de sa grande piété), plusieurs tentatives de conversion des païens ou des hérétiques, notamment des monophysites, et l’actualisation du corpus juridique à travers la rédaction du Code justinien, des Novelles et des Institutes.
La révolte Nika est cependant le trouble le plus important auquel dut faire face Justinien durant la première partie de son règne. « Cette révolte est certes à voir dans le contexte du haut niveau des violences urbaines qui caractérise les cités d’Orient à cette époque, mais, par le nombre des victimes et les dégâts qu’elle causa, elle n’a pas d’équivalent parmi toutes celles, pourtant nombreuses, qui agitèrent l’Empire byzantin » [13]. L’ayant violement réprimée, il prend de nombreuses mesures, tant pour reconstruire la capitale que pour réformer l’administration et limiter « les abus dont se rendent coupables les fonctionnaires » [14]. On peut noter aussi qu’à cette époque plusieurs lois cherchèrent « à humaniser la justice » [15].
Après de premiers affrontements avec l’empire perse en 528, leur tentative d’invasion fut repoussée avec succès en 530, permettant en septembre 532 la signature de la « paix éternelle » [16]. Dans le même temps, Justinien mena la reconquête du royaume vandale d’Afrique, invoquant parmi les arguments « celui de libérer les catholiques africains du pouvoir d’un souverain arien » [17]. La reconquête de l’Italie face au royaume ostrogoth sera elle aussi dans un premier temps couronnée de succès.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la deuxième moitié du règne de Justinien et à ce que Maraval appelle « un temps d’épreuves et de désillusions » (540/541-565). Si la première partie du règne avait en effet accumulé les réussites, la deuxième partie fut davantage celle des échecs. Justinien subit alors de nombreux revers dans sa politique extérieure et nombre de territoires précédemment reconquis ne furent pas conservés longtemps.
Le sac d’Antioche en juin 540, suite à la reprise de la guerre avec la Perse, fut un événement marquant pour les citoyens impériaux de l’époque [18]. Que ce soit en Afrique (révoltes des Maures), en Italie (que les Lombards reprendront quelques années plus tard) ou encore les raids barbares dans les Balkans, la situation est difficile. Durant cette même période, les troubles intérieurs reprennent et s’ajoutent à plusieurs catastrophes naturelles qui s’abattirent sur l’empire.
Comme le montre ainsi Pierre Maraval, la politique ambitieuse de Justinien ne lui permit au final pas d’accomplir ce rêve d’un empire chrétien universel : malgré de nombreux succès, il n’avait réussi à la fin de son règne ni à reconquérir l’empire romain dans sa totalité, ni à obtenir l’unité religieuse au sein des territoires impériaux. Le règne, fort actif, de l’empereur a cependant laissé de nombreuses traces dans l’histoire, et « son œuvre de mise à jour du droit romain eut une longue postérité » [19].
[1] Citée p.341.
[2] p.106.
[3] p.342.
[4] p.109.
[5] p.43.
[6] p.27-32.
[7] p.27-28.
[8] p.46.
[9] p.49.
[10] p.68.
[11] p.97.
[12] p.68.
[13] p.146.
[14] p.155.
[15] p.162.
[16] p.191-192.
[17] p.203.
[18] p.248-252.
[19] p.343.
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