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De nos jours, écrire sur la Russie sans tomber dans la critique droit-de-l’hommiste et bien-pensante du pouvoir russe ou dans l’hagiographie poutinienne relève de la gageure. Pour son premier livre, Matthieu Buge a réussi le pari. Il est vrai que la plupart des ouvrages qui sortent en librairie sur le sujet sont ostensiblement antirusses. La Russie y est décrite d’Ivan Le Terrible à Vladimir Poutine comme un État autocratique, quasi « fasciste » et bien entendu menaçant la paix mondiale. D’autres, en moindre nombre, prennent malheureusement le pli inverse : la Russie devient alors la nouvelle Sion vers laquelle le Français doit émigrer pour se préserver de la décadence gallicane. L’auteur n’est tombé dans aucun des deux excès même s’il semble évident que sa préférence va au pouvoir russe tant sa détestation de la dégradation intellectuelle de la France est latente.
Car Matthieu Buge a quitté la France pour le monde russe. Il s’est installé là-bas, y a fondé une famille et partage le quotidien russe tous les jours de la semaine. Buge n’est donc pas un expatrié déconnecté des réalités russes. Naturellement, cela ne suffit pas pour écrire un livre. Depuis longtemps, l’auteur a adopté un prisme russe : après avoir commencé par le roman russe du XIXe siècle, il s’est spécialisé à titre personnel sur l’histoire soviétique au point de réaliser quelques piges pour la revue L’Histoire. Passionné par le sujet, il a englouti un nombre considérable d’ouvrages français et anglais sur la question. Parallèlement à cette activité, il a toujours cultivé un amour certain pour le dessin, le cinéma et la théorie politique. Du point de vue des études, car certains regardent malheureusement plus en détail le curriculum vitae des auteurs que le contenu de leurs livres, Matthieu Buge est diplômé d’Histoire et de Science Po Paris.
Concernant la forme de l’ouvrage, l’auteur a opté pour un abécédaire avec un thème par lettre. Il compte 217 pages ce qui en fait un livre digeste, accessible et plaisant à lire. Certains regretteront parfois le style un peu trop journalistique mais c’est un défaut qui fait aussi la force de l’ouvrage. Là où l’auteur perdra quelques lecteurs obsédés par la forme, il en gagnera beaucoup d’autres s’intéressant plus au fond. Et puis, ceux qui recherchent le style avant tout s’intéressent en général assez peu aux questions d’ordre politique. Nous leur recommandons donc plutôt l’œuvre de Flaubert, Stendhal ou Balzac.
Au sujet du fond, il est bien entendu préférable d’avoir quelques connaissances préalables mais l’abécédaire serait même à conseiller à des lecteurs novices en politique. L’auteur commence le livre en affirmant qu’il est insupportable à l’Occident d’avoir un voisin qui lui ressemble tant mais qui n’a pas les mêmes idées que lui. Au fond, tout ce qui n’est pas véritablement distingué fait souvent peur, voire inquiète. C’est ainsi que pendant des siècles, l’Église a combattu en Europe l’emblème de l’ours, animal trop proche de l’homme et ayant donc une connotation maléfique [1]. Puis, on passe de la propagande soviétique, à la propension du Russe pour le désordre en passant par les années Eltsine, le froid russe, l’intelligentsia du même nom, la corruption, les libertés et le marketing. Sont aussi entre autres analysés la dissidence, l’oligarchie, la deuxième guerre mondiale, le complotisme ou encore le machiavélique Zbigniew Brzeziński. À travers tous ces thèmes, Matthieu Buge met le monde occidental devant ses contradictions libérales, droit-de-l’hommistes et économiques. Sous le prétexte de faire découvrir à l’occidental la Russie sous un autre angle, l’auteur se montre en réalité critique de la décomposition politique, économique, morale et culturelle de l’Occident. Livre courageux, intéressant et pétillant à conseiller aux lecteurs débutants mais aussi expérimentés qui en ont marre de la doxa quotidienne. S’il faut noter un regret, ce serait certainement le manque de pages sur la régénérescence orthodoxe depuis l’avènement de Poutine. Peut-être pour le prochain livre ?
[1] Lire à ce sujet l’excellent livre de Michel Pastoureau intitulé L’ours.
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