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[EX LIBRIS] Anne-Sophie Nogaret, Du Mammouth au Titanic

Recension de l’ouvrage d’Anne-Sophie Nogaret , Du Mammouth au Titanic : La déséducation nationale, publié en septembre 2017, Editions de L’Artilleur. 320 pages.

Anne-Sophie Nogaret est professeur de philosophie au lycée : son ouvrage, Du Mammouth au Titanic, publié cette année aux éditions L’Artilleur, se place, dira-t-on, dans une tradition déjà bien établie de témoignages d’enseignants sur leur vie au sein de la « communauté éducative » et les problèmes nombreux qu’ils y rencontrent. Celui-ci annonce assez rapidement la couleur, puisqu’on apprend dès le titre qu’il ne s’agira pas de la simple mise en scène d’une tranche de vie cherchant à faire voir le bon côté des choses (il existe encore des optimistes dans l’institution pour produire ce genre de pensum…). Le sous-titre, s’il fallait, est encore plus clair : « déséducation nationale » ; le système n’éduque plus, n’instruit plus, ne sert plus, semble-t-il, qu’à occuper les enfants pendant que les parents travaillent – ce qui est, admettons-le, la principale préoccupation de bien des parents…

On pourra, selon la grande tendance actuelle à vouloir que tout soit nuancé, modéré, policé, reprocher à Anne-Sophie Nogaret de présenter un tableau des plus noirs de la situation actuelle : c’est peu de dire que rien ne trouve grâce à ses yeux dans « l’école républicaine » d’aujourd’hui. Pourtant, ce constat, aussi déplaisant qu’il soit, s’impose de soi-même, et c’est plutôt aux optimistes et joyeux lurons « anti-déclinistes » qu’il incombe de nous montrer où ils vont chercher des motifs de réjouissance. La plupart des professeurs s’accordera à dire que le niveau se dégrade d’année en année. Les comparaisons effectuées à intervalles réguliers entre les capacités de l’élève moyen du présent et celles d’un élève de la première moitié du XXe siècle sont affolantes : on ne sait plus lire, plus écrire, plus compter, et, résultant de tout cela, plus penser. Anne-Sophie Nogaret évoque rapidement à plusieurs reprises les méthodes d’enseignement qui ont abouti à ce brillant résultat : abolition de l’apprentissage par cœur, recherche de la « mise en situation » permanente, souvent jusqu’à l’artificiel et au grotesque, et surtout, valorisation de la moindre étincelle d’intelligence, même lorsqu’elle est dissimulée sous un manque total de maîtrise des fondamentaux. On peut regretter à cet égard que l’auteur n’aille pas plus loin dans l’analyse pratique des données du débat sur la pédagogie ; il eut été profitable d’éclairer de son expérience ce sujet, qui est aussi crucial que les autres, d’autant plus à l’aide de la solide capacité analytique dont l’auteur fait preuve.

Celle-ci se déploie beaucoup plus, pour le plus grand intérêt du lecteur, au sujet d’un autre dysfonctionnement de l’école : celui qui touche à la gestion du comportement de l’élève, et qui préside aux pires lâchetés. De même qu’il est, d’après les pédagogistes (encore) régnants, incapable de s’ouvrir à la culture, un élève, surtout issu de la diversité et donc d’une autre culture, est systématiquement irresponsable de ses actes, même les plus violents. C’est ainsi que notre auteur explique le laxisme incompréhensible qui règne dans la plupart des établissements publics de France, où les insolences, manques de respect, atteintes physiques et autres restent impunis : l’élève est incapable de poser un choix rationnel dans sa conduite, qui n’est que la conséquence naturelle des pressions exercées sur lui par son environnement et son entourage. Dès lors, le professeur n’a plus pour responsabilité première de faire cours, mais de s’assurer que son public n’aura pas de raison de se comporter de manière à perturber le cours. Puisque l’élève n’est pas responsable, ce sera bientôt la faute du professeur. C’est en fait d’ailleurs déjà le cas : témoins les cas variés où l’auteur s’est vu reprocher par sa hiérarchie sa trop grande sévérité face à des élèves qui dépassaient de loin les bornes.

C’est un fait que la hiérarchie, pour des raisons assez lamentables, mène parfois, au gré des établissement, la guerre aux professeurs pour obtenir la paix sociale. Un directeur, ou un CPE, devant son ordinateur toute la journée, ne vit pas le contact prolongé avec les élèves que vivent les professeurs. Il en résulte, chez certains, une ignorance ou un aveuglement volontaire vis-à-vis de la réalité des comportements que l’on peut rencontrer dans une salle de classe. Pour entretenir une bonne image de sa gestion, tel directeur préférera ne pas faire de conseil de discipline pour ne pas faire remonter à son rectorat qu’il y a des « problèmes » dans son établissement. Ici comme ailleurs, on casse le thermomètre, et ce sont, logiquement, les professeurs qui en payent le prix, désarmés face à des classes difficiles lorsque les sanctions demandées leur sont refusées par l’administration : l’auteur, visiblement peu portée au laxisme, a fait de nombreuses expériences proches du paranormal, comme lorsqu’un surveillant ramène dans sa classe un élève exclu pour insolence quelques minutes plus tôt.

L’administration rectorale, elle aussi grand acteur de ce mouvement de pourrissement, n’est pas en reste dans la grande saga des absurdités imposées aux professeurs par idéologie : Anne-Sophie Nogaret apporte ainsi sa pierre à l’édifice déjà très haut des témoignages sur les consignes imposées aux correcteurs du bac. Ce ne sont que commission d’harmonisation et autres réunions dont le seul but avoué est d’obliger les correcteurs à attribuer à leur paquet de copie une moyenne autour de 10, quelle qu’en soit la valeur réelle. Et c’est ainsi que l’on arrive à s’approcher des fameux « 80% d’une classe d’âge. » Le pire, dans ce cas comme dans les autres, est néanmoins ce sur quoi l’auteur s’appesantit largement dans son ouvrage : la servilité endémique qui frappe les professeurs face à un système qui les traite comme des bêtes de sommes, tout juste bonnes à effectuer le travail qu’on leur demande de faire. L’ouvrage est émaillé d’exemples, récits d’abandons et d’autocensures de la part des professeurs, et de résignation face à cette injustice qui leur est faite. Il faut certainement voir dans ce phénomène, qu’on a bien du mal à s’expliquer d’ailleurs, l’une des raisons de l’effondrement du niveau éducatif.

S’il y a une raison que l’on peut, à la lecture des analyses assez fines que fait l’auteur de ces comportements, trouver à de tels renoncements, elle se situe peut-être du côté de la forte tendance qu’a le corps professoral à pencher à gauche, et par-là à se soumettre à la doctrine présentée comme celle de l’institution réputée progressiste, même lorsque ladite doctrine est parfaitement mortifère. Ce même attachement pousse d’ailleurs les professeurs à miner les mécanismes de solidarité que l’on pourrait attendre d’eux, au cas où l’un de leurs collègues ne se conformerait pas à la moraline ambiante. Pire encore, la lubie progressiste, comme le montre l’auteur, fait que certains se concentrent sur l’idée qu’ils peuvent aider les élèves à lutter politiquement contre les injustices d’une société réputée inégalitaire, et sont alors prêts à laisser faire leur hiérarchie dans son entreprise de destruction du seul vrai moyen par lequel un professeur peut encore aider ses élèves : l’instruction. Anne-Sophie Nogaret n’est pas tendre avec ses collègues, pas plus qu’avec les CPE et autres, et considère qu’une grande majorité d’entre eux, par un gauchisme assez naïf, s’est faite le destructeur de sa propre profession.

Ce livre, servi par une vraie démarche intellectuelle, qui cherche à exposer les raisons du drame, sans avoir peur de passer par la psychologie et même la psychanalyse, se lit avec plaisir, car le propos, féroce, est très drôle, avec suffisamment de légèreté. On est heureux, lorsqu’on s’est déjà un peu inquiété de ce sujet, de découvrir une étude en profondeur de ce que tout un chacun, s’il veut voir, peut observer dans les écoles du système public. Il est seulement regrettable que, même sous forme d’esquisse, n’apparaisse pas une solution que propose l’auteur pour recommencer à bâtir. On comprend néanmoins, lorsqu’Anne-Sophie Nogaret appelle les professeurs à arrêter de se soucier de l’avis finalement sans grande conséquence des inspecteurs sur eux, qu’elle souhaite en revenir à une école où le professeur, légitime parce que maître de son savoir, fait cours comme il l’entend, sans se soumettre aux oukases venus d’instituts de formation et autres tanières d’inspecteurs qui n’ont jamais vraiment enseigné. Et que, face à l’échec parfois mérité de certains éléments, on rétablisse le sens de la responsabilité de chacun, plutôt que d’imposer la lubie que le professeur peut faire boire un âne qui n’a pas soif. Elle souhaite enfin que l’administration soit remise à sa vraie place : celle de faire en sorte que le vrai cœur de l’école, c’est-à-dire les enseignants, puissent disposer de conditions sereines pour exercer leur métier, plutôt que d’être vus comme un élément parmi d’autres d’un arsenal pantagruélique d’intervenants qui leur disputent la vedette.

Une dernière question, alors, se fait jour : est-il raisonnable d’attendre de l’état centralisateur qu’il permette toujours ces conditions ? L’histoire n’a-t-elle pas prouvé que le risque était bien grand de voir le système entier pourrir par sa tête trop unique ? Une question qui reste invisible dans le propos d’Anne-Sophie Nogaret. Ce n’est pas vraiment le sujet. Et pourtant…

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