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Jellyfish pris au piège

Cité en exemple en France, le projet de loi de mariage homosexuel du Premier ministre britannique David Cameron est désastreux pour son parti, dont la défaite électorale en 2015 est déjà annoncée.

David Cameron à la réception donnée en l’honneur de la communauté LGBT au 10, Downing Street, en juin 2010.

Alors que la France s’enfonce dans un débat émotionnel sur le « mariage pour tous », entre les méchants « réactionnaires » et les gentils « progressistes », le Royaume-Uni montre-t-il une voie différente ? C’est ce veulent croire certains partisans du projet de loi, en montrant l’exemple de David Cameron : le Premier ministre, ancré à droite, ne défend-t-il pas à la fois l’institution du mariage et l’union des couples de même sexe ?
Ainsi, Franck Riester, député UMP et militant gay, reprend-t-il partout l’argumentation cameroniste : « Je suis conservateur, pour le mariage ». Plus surprenant, le journaliste Nicolas Domenach s’est réclamé de David Cameron, pourtant héraut de l’ultra-libéralisme qu’est censé pourfendre l’hebdomadaire Marianne.

Hypocrisie conservatrice ?

Pur produit de l’aristocratie britannique, David Cameron devint président du Parti conservateur en 2005, après une carrière de conseiller ministériel auprès de Margaret Thatcher et de John Major, et une élection comme député de la circonscription de Witney, dans l’Oxfordshire, en 2001. Son parti ayant formé une coalition avec le parti libéral-démocrate de Nick Clegg après l’élection générale de 2010, il parvient au pouvoir auréolé d’une certaine popularité parmi les classes moyennes, les cercles d’affaires et les milieux branchés urbains.

En octobre 2011, lors de la conférence annuelle du Parti conservateur, David Cameron annonça son intention de légaliser le mariage homosexuel : « Les conservateurs croient aux liens qui nous unissent ; que la société est plus forte quand nous nous faisons des vœux et quand nous nous soutenons les uns les autres. Je ne soutiens donc pas le mariage gay en dépit de mes opinions conservatrices, je soutiens le mariage gay parce que je suis conservateur. »

David Cameron présenta cette réforme alors que les associations LGBT avaient déjà tout à leur disposition : depuis 2002, l’adoption est ouverte aux couples de même sexe, et en 2005, fut crée le Civil Partnership, union civile réservée aux homosexuels, qui accorde les mêmes droits et avantages que le mariage. La location d’utérus, appelée en France « gestation pour autrui » et au Royaume-Uni « maternité de substitution » (surrogacy), a même été légalisée en 2010, et constitue une juteuse industrie.

Le Premier ministre souhaitait visiblement toujours vouloir effacer son engagement passé, marqué par son hostilité, de principe plus que de conviction, aux revendications LGBT.
Alors qu’il était jeune député de Witney, il s’était opposé à l’abrogation de la Section 28 en 2003, une disposition légale installée par Thatcher qui interdisait la « promotion de l’homosexualité », notamment à l’école. Par la suite, il ne vit pas l’inconvénient de s’allier au Parlement européen aux partis polonais et néerlandais opposés aux revendications LGBT, comme le lui reprocha le magazine Gay Times lors de la campagne de 2010. [1]

L’illusion moderniste

David Cameron adopta une posture gay-friendly à partir de 2005, sous la double influence de son entourage et de la génération des neo-tories qui l’accompagnait. Son épouse Samantha et ses amis de Notting Hill, le quartier bobo londonien où ils résident, ont beaucoup contribué à le faire rejoindre le défilé de la Gay Pride de la capitale.

Faisant à la fois partie du cercle intime et du cercle politique neo-tory, l’ambitieux George Osborne, aujourd’hui ministre des Finances de Cameron, lui aussi aristocrate branché, l’encouragea dans cette voie, estimant qu’elle lui apporterait les suffrages urbains et jeunes, et qu’elle trancherait avec la vieille image conservatrice ringarde. Sur ses conseils, David Cameron fit une large place au lobby gay au sein du parti, les LGBTories, lors de la campagne de 2010.

La vision stratégique des neo-tories modernistes s’appuie sur la démographie et les nouvelles moeurs : estimant que ces deux tendances sont irréversibles, il ne sert à rien de se placer à contre-courant, et il faut suivre le sens du vent. Exit la défense des valeurs traditionnelles, et welcome aux revendications LGBT, ultime horizon du progrès.

Les neo-tories ont ainsi pu gagner les faveurs de la presse bobo globalisée, The Economist en tête, mais se sont attirés dès le début les critiques acerbes de la part de nombreux politiciens et électeurs conservateurs, estimant que le Cameron politiquement correct n’était qu’une « méduse » (jellyfish) changeante à volonté.

La riposte de la base

Si l’annonce de la redéfinition du mariage par Cameron n’était pas une surprise, elle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour l’électorat conservateur populaire (grassroots).

Au premier semestre 2012, la Coalition for Marriage, animée par l’ancien archevêque de Canterbury, Mgr George Carey, lança une pétition pour défendre le mariage homme-femme, qui en est aujourd’hui à 624 000 signatures. Parmi les signataires, de nombreux députés conservateurs, mais aussi travaillistes, neuf évêques anglicans en exercice, et d’innombrables acteurs de la société civile.

Mgr George Carey est poursuivi par la haine des militants gays pour professer la doctrine chrétienne orthodoxe sur le mariage. Ici, ils interrompent un de ses sermons.

Un récent sondage mené par le site ConservativeHome.com montre que 71 % des militants conservateurs estiment que la réforme divise le parti, et que 55 % voteraient contre s’ils étaient au Parlement, contre 37 % favorables [2].

L’Eglise anglicane divisée

Conscient du danger provenant des chrétiens conséquents, David Cameron, lui-même tourmenté sur sa foi anglicane - héritée de la chapelle obligatoire le matin de la Public School qu’il a fréquenté, à Eton, avec la conception britannique de la religion : une décence en société et un élément de l’identité nationale - a tenté de leur offrir un compromis, en assurant que chaque confession chrétienne sera libre de refuser de célébrer un mariage homosexuel. Il fit même plus fort, en annonçant l’interdiction pour l’Eglise anglicane d’Etat de bénir des unions de même sexe. Une mesure étrange, et qui a fait bondir les membres du clergé anglican qui militent pour la cause LGBT.

La déroute du conservatisme

Alors que la résistance au mariage gay prend de l’ampleur, l’unité du Parti conservateur se fissure, et le clan de David Cameron laisse éclater au grand jour sa faillite idéologique, dûe à son absence de convictions.

Le 19 décembre dernier, Peter Oborne, directeur du service politique du Daily Telegraph, le quotidien de droite de référence britannique, a écrit une tribune [3] où il dresse l’état des lieux du Parti conservateur : « Noël dernier, l’avenir était radieux pour David Cameron. (...) Tout le monde était d’accord pour dire que le Labour (parti travailliste) d’Ed Miliband était terminé.
Mais cette année, tout a changé. (....) Ed Miliband est aujourd’hui en bonne posture pour être le prochain Premier ministre. (...) Le Parti conservateur a oublié les qualités de loyauté, pragmatisme, devoir, patriotisme et service qui l’ont si bien servi ces deux derniers siècles.
 » Les coupables de cette débâcle étaient clairement désignés : David Cameron, George Osborne, et leur entourage neo-tory.

Plus pessimiste encore, une autre tribune [4] parue dans le Telegraph, le 29 décembre, de Paul Goodman, éditeur du site ConservativeHome, titrait : « C’est dans deux ans, mais l’élection de 2015 est déjà perdue ». L’auteur précise : "La décision frivole de déraciner le sens du mariage - une politique non mentionnée dans le manifeste du parti, ni dans le dernier Discours de la Reine [5] - a été prise sans savoir comment elle allait être reçue par les communautés conservatrices dont les Tories ont désespérément besoin pour gagner."

Le mariage gay et l’UKIP

La réforme du mariage promise par David Cameron permet même l’émergence d’un dangereux concurrent pour le Parti conservateur : l’United Kingdom Independance Party. Ce mouvement, traditionaliste et libertaire [6], dirigé par le tribun Nigel Farage, connu pour ses positions radicales à l’égard de l’Union européenne, travaille à sortir du ghetto dans lequel on l’a confiné, pour mordre sur l’électorat déçu des conservateurs. Nigel Farage a donc fait savoir qu’il combattrait le mariage homosexuel, ainsi que l’immigration incontrôlée, en vue des élections européennes de 2014 [7] : deux thèmes abandonnés par les conservateurs au politiquement correct.

Ce qui est surprenant pour le Royaume-Uni, pays où règne le bipartisme, c’est que l’OPA de Farage sur les rangs conservateurs est, pour l’instant, couronnée de succès : de nombreux militants et élus ont fait savoir leur sympathie pour l’UKIP, et le numéro 2 du Parti tory, Michael Fabricant, a rendu public un projet d’alliance avec ce parti rival après 2015, avec la proposition d’un ministère pour Nigel Farage.


[5Chaque fin d’année, la Reine annonce les prochaines politiques que mènera « son » gouvernement. Dans celui de décembre 2012, il n’est pas question du mariage homosexuel.

[6L’UKIP est également assez francophobe, pour ceux qui seraient tentés de se réclamer de Nigel Farage, certes brillant dans son genre, sur Facebook...

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