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Père de Nadaï (O.P.) [3/3] : « La destinée de saint Dominique acquit ses traits propres dans sa prédication aux cathares »

R&N : Quels sont les apports (intellectuels, universitaires, sociaux, politiques, etc.) spécifiques de l’ordre dominicain à la France ?

Père de Nadaï, O.P. : La destinée de saint Dominique acquit ses traits propres dans sa prédication aux cathares, à une époque où le roi de France Philippe Auguste prenait occasion de cette dissidence religieuse pour affirmer par les armes sa suzeraineté sur le comte de Toulouse, fauteur de l’hérésie. Simon de Montfort tenait ces armes ; son amitié avec saint Dominique était célèbre, et allait au-delà d’une alliance objective. L’ordre fut fondé à Toulouse, en 1216, et l’on a rappelé que, confirmé par le pape en 1217, il ne comptait que 16 frères, quand notre Père, les dispersant, en envoya 7 à Paris. C’était la première ville de la chrétienté par sa population, mais elle était surtout, depuis le siècle précédent, la cité de Pierre Lombard, de Guillaume de Champeaux et d’Abélard, qui firent que son université tenait alors le premier rang pour l’enseignement de la philosophie et de la doctrine sacrée. Les frères dès lors prirent un rôle majeur dans le prodigieux essor qu’elle devait connaître encore au xiiie siècle : on sait l’ombrage qu’en conçurent les maîtres séculiers, et la défense que saint Thomas dut embrasser du droit des religieux à enseigner, lors de son second séjour dans cette ville qui avait entendu ses premières leçons.

Les liens noués dès saint Dominique avec la monarchie française se sont poursuivis dès l’établissement des frères à Paris rue Saint-Jacques, qui les fit désigner en France sous le nom de jacobins. Ils s’en montrèrent, pendant tout le moyen âge, les champions indéfectibles, pour le meilleur sous saint Louis ; sous Philippe le Bel, pour des entreprises plus contestables au jugement de l’histoire. Plus tard, les jacobins devaient, par fidélité dynastique, se ranger du côté des Armagnac, favorables à une extension des prérogatives royales. Ils allaient ainsi contre la majorité des maîtres parisiens, et contre même la majorité des dominicains dans le reste de la chrétienté, favorables aux Bourguignons. Le prieur de Saint-Jacques, Jean Bréhal, ne démentit pas le soutien que les frères avaient marqué pour Jeanne d’Arc durant sa vie et son procès ignominieux († 1431). A partir de 1454, il fut un des principaux artisans de la révision ordonnée par le pape, faisant suite à la demande du roi Charles VII, puis de la mère de Jeanne, qui aboutit, en 1456, à sa réhabilitation. Le frère Yves Maieuc, confesseur et conseiller d’Anne de Bretagne, prieur de Rennes, devenu évêque de cette ville, devait favoriser son union avec Charles VIII puis Louis XII, et donc le rattachement du duché au royaume. Le lien paraît se rompre de manière éclatante lors des guerres de la Ligue, quand un convers de Saint-Jacques, le frère Jacques Clément, assassina Henri III à Saint-Cloud en 1589, acte témoignant surtout du trouble profond que les catholiques conçurent des ménagements que le roi très-chrétien eut pour les huguenots. D’ailleurs, en 1593, le frère Bianchi éventa un projet d’assassiner Henri IV.

Le rôle politique des frères sembla depuis lors subir une éclipse, qui cessa au xixe siècle avec la restauration de l’ordre par le frère Henri-Dominique Lacordaire, élu éphémère de la IIe République. Il voulut manifester sa faveur pour le nouveau régime en siégeant, en habit de moine, à l’extrême gauche de la chambre des députés. D’un optimisme romantique, assez conforme à celui de Chateaubriand au IVe livre des Mémoires d’outre-tombe, il tient pour une harmonie entre la foi catholique et le progrès des peuples vers la démocratie. Il entend ainsi dissiper le malentendu tragique qu’on vit éclater à la Révolution : les vœux de religion, loin d’attenter contre les droits de l’individu, sont l’expression la plus haute de sa liberté. Il est ainsi à l’origine d’un catholicisme libéral qui marque encore profondément la tradition de notre province. Par ailleurs, si notre couvent parisien de l’Annonciation fut le rendez-vous des orléanistes, le patriotisme parla plus haut chez un Sertillanges que les préventions que l’on pouvait nourrir, comme catholique, contre la République française, depuis les encycliques de Pie X : on sait qu’il s’opposa publiquement, pendant la grande Guerre, au projet de paix de Benoit XV. Les frères s’intéressent donc à la chose politique française ; plus que le reste du clergé, ils prirent part à la contestation de 1968. Plus récemment, un de nos frères fut conseiller officieux d’un chef de l’Etat.

R&N : À titre personnel, vous connaissez bien Port-Royal et le XVIIe siècle : pensez-vous que les ordres mendiants, structurellement rattachés au Pape, aient affaibli le gallicanisme ?

Père de Nadaï, O.P. : Je ne le pense pas pour ma part. Au xviie siècle, le gallicanisme avait droit chez les frères, dont les sentiments étaient conformes en cela à la plupart du clergé de France. Le frère Noël Alexandre (1639-1724) se fit censurer par Rome, quand il suggérait, dans son Histoire ecclésiastique, que les papes avaient usurpé certains droits sur les souverains.

R&N : Pourquoi avoir choisi de célébrer à nouveau selon le rit dominicain ?

Père de Nadaï, O.P. : Je n’y fus pas guidé d’abord par l’intérêt pour les traditions de mon ordre, qui a résolu de l’abandonner au moment de la réforme liturgique. Je n’ai chanté qu’une seule fois la messe dominicaine devant une assemblée. Ordinairement, dans mon couvent, je double l’assistance à la messe conventuelle, à quoi nous sommes tenus, par la célébration d’une messe basse votive, servie par un clerc. Quand on fait appel à moi au dehors pour dire ou chanter la messe, c’est la messe romaine. L’ancienne manière de célébrer me semble parfaitement accordée à l’essence de la messe : un culte rendu à Dieu, rejailli de celui que Jésus-Christ, depuis l’incarnation, rend à jamais à Dieu en son cœur sacré ; culte qui s’est produit un jour du temps dans le sacrifice de la croix, et qui se manifeste aujourd’hui dans celui de la messe. C’est un acte de religion envers le Seigneur, en faveur des vivants et des morts, avant que d’être une œuvre de sollicitude ou d’enseignement pastoral pour l’assemblée actuellement réunie. Pour Thomas d’Aquin, le prêtre est prêtre avant que d’être pasteur. Il n’est qu’un instrument parmi ceux qui servent au culte public, s’en distinguant cependant en ce qu’il est un « instrument animé » ; mais véritablement instrument, sa volonté étant serve, opérant par la simple intention de faire ce que veut l’Église. Œuvre, donc, qui n’a rien de méritoire, et qui ne requiert nulle grande vertu, de celles que réclame au contraire l’exercice de l’art pastoral. Le poids des devoirs d’un pasteur aurait de quoi l’épouvanter, si le pasteur ne trouvait à se reposer d’abord sur l’œuvre du prêtre et cet acte de culte dont il n’est que le simple instrument, qui fait que se manifeste sur terre, par un homme pécheur, le principe de toute sainteté.

Par ailleurs, l’ancienne manière de célébrer relève le sens de la grandeur de Dieu, et relève ainsi tout le prix de l’amitié de charité que Dieu entend nouer avec l’homme en Jésus-Christ. Or j’ai la conviction que le christianisme, pour connaître un nouvel et nécessaire essor en nos pays, doit se renouveler dans un tel sens de Dieu.

Propos recueillis par Gauthier Boisbay

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