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Philippe Pichot-Bravard : Contre-révolution, enracinement et Bien commun [Partie III]

Corsaire : Dès son commencement, la Révolution a rencontré des oppositions. Quels sont les traits de cette opposition ?

Philippe Pichot-Bravard : La Contre-Révolution est apparue dès l’été 1789. Elle s’est exprimée par une triple opposition.
Opposition parlementaire d’abord, au sein de l’Assemblée nationale constituante, parmi ces députés qui se réunissent, à partir du 11 septembre 1789, à la droite du président. Cette opposition, par-delà sa diversité, est unie par un quadruple refus :
1- Refus de la politique de table rase ;
2- Refus de la souveraineté nationale, au nom de la souveraineté royale historique ;
3- Refus d’une constitution écrite volontariste ;
4- Refus de l’uniformisation juridique, au nom de la diversité statutaire traditionnelle.

Opposition populaire, ensuite, illustrée par la spectaculaire résistance des provinces de l’Ouest de la France, vendéens et chouans, au nom de Dieu, du Roi et de leurs libertés, résistance à laquelle fait écho celle du Languedoc blanc. Aux quatre coins du Monde, toutes les entreprises de subversion révolutionnaire susciteront de semblables résistances populaires, comme l’a montré le Pr. Yves-Marie Bercé. Si la Christiade mexicaine est, aujourd’hui, la plus connue, il ne faut oublier, notamment, la résistance tyrolienne d’Andreas Hofer à l’occupation napoléonienne, les guerres carlistes espagnoles, les résistances paysannes à l’unité italienne ou encore les résistances paysannes au totalitarisme léniniste qu’Alexandre Soljenitsyne avait comparées à la résistance vendéenne lors de sa visite aux Lucs-sur-Boulogne en 1993.

Opposition intellectuelle enfin, illustrée dans un premier temps par Edmund Burke, Louis de Bonald et Joseph de Maistre.
L’argumentation d’Edmund Burke est particulièrement intéressante : elle affirme que la proclamation de la Liberté abstraite peut être dangereuse pour la préservation des libertés concrètes ; elle affirme que les droits de l’homme, déclarés de manière abstraite, risquent fort de voiler des atteintes graves et répétées aux véritables droits de l’homme. A cet égard, Burke annonce ce que sera l’intuition géniale de Tocqueville dans le deuxième livre de De la Démocratie en Amérique : le caractère despotique que pourrait revêtir la démocratie dans le monde futur.
Plus tard, Antoine Blanc de Saint-Bonnet, Mgr Pie, et les catholiques sociaux René de La Tour du Pin et Maurice Meignan ont apporté leur contribution à la pensée contre-révolutionnaire, une contribution qui a alimenté les encycliques pontificales, celles de Léon XIII et de Pie XI en particulier, notamment Rerum Novarum, Quas Primas et Quadragesimo Anno.

Au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle, l’école de l’Action française, avec Charles Maurras, Léon Daudet et Jacques Bainville ont rendu à la contre-révolution politique la vitalité qui lui manquait, tout en mêlant à la pensée contre-révolutionnaire des éléments qui ne sont pas contre-révolutionnaires. Ainsi, le royalisme de l’Action française n’est pas de même nature que le royalisme traditionnel. Alors que ce dernier puise sa justification dans le principe de transcendance et dans la mission de justice, le royalisme d’Action française est placé au service d’une doctrine nationaliste. Maurras s’est rallié à la monarchie parce que ce régime était à ses yeux le plus apte à défendre l’intérêt national dans les relations internationales. En outre, sa doctrine est tributaire, pour partie, du scientisme des Lumières. Il n’en demeure pas moins que l’école de l’Action française a formé plusieurs générations d’écrivains et de penseurs contre-révolutionnaires, notamment Jean Ousset et Jean Madiran. Tandis que Jean Ousset s’est employé à penser les conditions d’une restauration d’une Cité catholique, Jean Madiran, dans Itinéraires, a patiemment décortiqué et dénoncé les méthodes subversives employées par le Parti Communiste et ses courroies de transmission ; il a décortiqué les méthodes subversives employées, à l’occasion du deuxième concile du Vatican, par des journalistes, des intellectuels et certains clercs, pour introduire l’esprit révolutionnaire dans l’Église. Rappelé à Dieu l’année dernière, Jean Madiran nous a laissé en héritage une méthode d’analyse rigoureuse dont l’étude devrait être au cœur de toute formation intellectuelle sérieuse.

Corsaire : Comment définir la Contre-Révolution aujourd’hui ?

Philippe Pichot-Bravard : La Contre-Révolution repose aujourd’hui sur deux principes : l’enracinement et la transcendance.
L’enracinement culturel, national et provincial, est le seul véritable antidote à une politique mondialiste qui attaque les peuples, les prive de leurs attachements vitaux, estompe leur mémoire, méprise leurs traditions dès lors que celles-ci sont l’expression d’une identité réelle et non le spectacle folklorique offert aux touristes par les institutions chargées de les recevoir. Dès lors tout ce qui permet d’entretenir cet enracinement est bon, salutaire et nécessaire. Rappelons-le : l’enseignement et l’usage des langues provinciales n’est pas un danger pour le rayonnement de la langue française mais un rempart supplémentaire contre l’usage de cet anglais américanisé que l’on tente d’imposer partout. Le patriotisme de Maurras et de Daudet ne les a jamais empêchés de cultiver l’amitié de Mistral et de ses amis félibres, bien au contraire.
La transcendance est l’antidote contre une politique matérialiste qui appauvrit la nature humaine en la réduisant à sa dimension corporelle, qui transforme l’homme en rouage du système de production et de consommation, qui s’empare de l’homme pour le transformer, pour transformer son esprit d’abord aux moyens de campagne de communication et de programmes éducatifs, pour transformer son corps ensuite, comme le montrent les projets très inquiétants qui fleurissent à l’ombre de ce « transhumanisme » qui sera la tentation totalitaire du XXIe siècle.
L’attachement à la transcendance doit se décliner dans tous les domaines.
Dans le domaine religieux, elle exige que les catholiques réaffirment leur foi dans la résurrection du Christ et dans la Présence réelle, qu’ils manifestent leur attachement à la sacralité des rites institués pour rendre un culte à Dieu et témoigner de la foi des fidèles, qu’ils rejettent ce poison du naturalisme et du rationalisme qui, depuis l’Aufklärung, s’emploie à transformer la religion catholique en une sorte de philosophie humanitaire, désenchantée, désacralisée, fondée sur la seule méditation de l’enseignement évangélique.
Dans le domaine artistique et littéraire, la transcendance s’exprime par une quête du Beau qui doit élever les âmes, leur apporter la paix et les préparer à la contemplation des vérités célestes.
Dans le domaine politique et juridique, la transcendance exige la reconnaissance de l’autorité du droit naturel. Elle exige que Dieu ne soit pas exilé en dehors de la Cité mais qu’Il y règne. Ce règne de Dieu n’est pas le règne politique du clergé : faut-il rappeler que Notre Seigneur est l’inventeur de la distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel ? Ce règne n’est pas davantage une domination contraignante, fondée sur une inquisition moraliste. Il est un règne de justice et d’amour qui offre aux hommes la véritable liberté.

Ce règne exige que le gouvernement soit au service du bien commun, et non au service des intérêts d’une oligarchie médiatique, financière et partitocratique. Il exige que ceux qui gouvernent aient le souci d’entretenir dans la Cité une véritable amitié politique. Ce règne exige d’ordonner la législation et l’administration de la justice à la recherche constante de l’équité en toutes choses.
Un tel projet peut sembler aujourd’hui profondément irréaliste. Il est, en effet, très éloigné de la réalité sociale de notre monde occidental. Il n’en est pas moins le remède indispensable aux maux dont nous souffrons. Nos sociétés occidentales sont travaillées par de puissantes pulsions suicidaires. La communauté sociale n’est plus qu’une mosaïque d’égoïsmes individuels dressés les uns contre les autres par une méfiance de principe. Plus personne n’a confiance dans personne. Trop de mensonges, trop de vilenies, trop de tromperies ont été commis.
Pour restaurer la confiance entre les personnes, il faut replacer la justice, l’équité, au cœur de l’action politique. Les Français ont soif de justice. Nos compatriotes sont inconsciemment des orphelins de Saint Louis, dont Philippe de Villiers vient de nous rappeler magistralement l’enseignement politique, une leçon aux accents atemporels, qui nous offre les remèdes susceptibles, aujourd’hui, de guérir notre pays des maux qui le minent.

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