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Propos recueillis par Julien Langella.
Pourquoi avoir lancé cette mission dans la cordillère des Andes ?
Père Christian de Penfentenyo : J’ai rejoint la mission au Pérou à la demande de mon évêque. Je suis donc au service d’une paroisse de la Prélature de Chuquibambilla, en plein cœur de la cordillère des Andes. Étant données les circonstances de vie assez atypiques, il m’a paru intéressant de créer l’Association Mission Apurimac, afin relayer nos activités missionnaires auprès de ceux qui souhaiteraient les parrainer.
Comment avez-vous été accueilli par la population et les autorités ?
Père Christian de Penfentenyo : Nous sommes les héritiers en ligne directe de la mission des Jésuites. Quelques chapelles situées entre 3500 et 4800 mètres d’altitude abritent encore les registres des baptêmes, avec la signature de ces missionnaires espagnols qui avaient fondé la paroisse dans les années 1780.
Depuis cette époque, la mission de l’Eglise a pu se maintenir. Donc l’accueil qui nous est réservé est bon, parce que l’Eglise fait vraiment partie du paysage, et ce grâce aux premiers missionnaires. Évidemment, le manque cruel de vocation sacerdotale ne permet pas actuellement à ces populations de recevoir les sacrements de manière courante. A titre d’exemple, nous passons deux ou trois fois par an dans chacune des communautés de village. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes que deux prêtres, et que certains villages ne sont accessibles qu’au terme de deux ou trois heures de marche. Et enfin, parce que nous privilégions le plus grand village de la paroisse, qui compte quelques 2 500 jeunes et enfants, sur une population totale de 8 000 habitants.
En revanche, nos passages dans les communautés de villages sont conséquentes. Nous restons quelques jours sur place, nous faisons les préparations au baptême et au mariage, nous célébrons la messe, récitons le chapelet, visitons les malades et tâchons de confesser la majorité. C’est une remise à niveau sacramentelle, en somme !
Quel est l’état de la foi catholique dans cette région ?
Père Christian de Penfentenyo : Le contexte social, ici, est en pleine mutation, que certains appellent volontiers « contexte de progrès ». Je crains que, sous prétexte d’ « adaptation à la modernité », on soit en train de passer une couche de vernis sur un bois qui n’a été ni traité ni poncé : ça craquelle de partout ! Par exemple, les cas de schizophrénies, jusque-là inconnus, deviennent curieusement fréquents.
Et puis notre voisinage avec la mine de cuivre et d’or n’est pas sans conséquence non plus. Elle vient de faire déménager tout un village (quatre cent familles paysannes) pour les réimplanter dans une petite ville construite de A à Z au flan d’une montagne. Tout est « artificiel »… au sens paysan du terme. Les populations locales sont complètement perdues.
Du jour au lendemain, on leur a imposé un régime de vie matérielle jusque-là méconnu et mis une somme faramineuse (c’est le cas de le dire !) dans la poche. Pour donner un ordre de grandeur, chaque famille a reçu une indemnisation à la hauteur de 400.000 dollars. Le jour-même du déménagement des familles, nous avons assisté avec peine à la destruction au bulldozer de chaque petite maison de pierre et de toit de chaume. Une longue page d’histoire humaine, familiale, culturelle et religieuse… broyée au tractopelle !
Au plan des mœurs chrétiennes, on se rend bien compte que les gens sont en train de faire l’expérience d’une nouvelle vie qui comble un certain nombre d’aspirations humaines, certainement légitimes d’ailleurs. Comme la plupart « ressentent » moins le désir de l’Eglise et des valeurs de l’Evangile, la fréquentation et la pratique des sacrements dessinent une courbe descendante... Et puis les activités que propose la paroisse sont concurrencées par Internet.
Jadis, la paroisse était la seule institution qui offrait des espaces de jeu, des activités culturelles et sanitaires pour enfants et moins jeunes, et l’effet toboggan faisait qu’il n’y avait qu’un pas à faire entre les salles de jeux et les sacrements. Maintenant, on n’a plus besoin de la paroisse, ni des sacrements, ni des activités religieuses. La mission à cheval, la mission florissante, les processions assez folkloriques (reconnaissons-le) : à présent, tout cela fait partie des souvenirs que les missionnaires ont emportés avec eux en maison de retraite.
Je ne pense pas que cette petite synthèse personnelle soit trop simpliste. Soulignons que ce qui reste enthousiasmant, c’est de vouloir rester soi-même dans un tel contexte, de vouloir être une « humanité surprenante et chrétienne, qui provoque une interrogation, une rencontre et une conversion » (Dom Luigi Giussani).
L’identité inca est-elle toujours vivace ?
Père Christian de Penfentenyo : Il est indéniable que la culture et l’histoire inca font parties de la fierté régionale de notre contrée. Si l’enseignement scolaire fait une parenthèse sur la Révolution française, elle s’étend bien plus largement sur le patrimoine culturel et religieux des incas.
Maintenant, faisons la part des choses : vous trouverez des rites incas entretenus de manière complètement artificielle dans la région touristique de Cuzco et du Machu Picchu. Nous sommes nous-mêmes loin de ces routes, beaucoup plus proches de la réalité et de la vie des descendants actuels des Incas, et nous n’y voyons pas ce qu’on laisse entrevoir aux touristes. Moyennant quoi, la révérence envers la terre et le soleil reste très ancrée dans la culture. Il ne s’agit plus d’une révérence incarnée dans un culte ou une liturgie, mais plus dans les réflexes. On ne boit pas la première gorgée de son verre de vin, de bière ou de chicha sans laisser tomber au sol quelques gouttes... en reconnaissance envers la « Pachamama », la Terre-Mère.
Notre travail missionnaire consiste aussi à évangéliser ces réflexes que je trouve personnellement beaux, parce qu’ils maintiennent le sens du sacrifice, c’est-à-dire de laisser une portion de ce qui nous revient à celui dont il provient ! Sans dramatisation, nous faisons les mêmes gestes que nos gens, mais nous l’offrons explicitement au Créateur de qui provient tout don... même la bière !
Vous parlez « d’évangéliser ces réflexes » tirés de l’ancienne religion inca. Qu’entendez-vous par là ? Et quelle place prend ce rapport à l’ancienne religion dans le cadre de votre activité missionnaire quotidienne ?
: Père Christian de Penfentenyo « Évangéliser les réflexes » ? Eh bien, lorsque l’an passé nous participions à un rite paysan que l’on appelle le « pago a la tierra » (impôt à la terre), qui consiste à manifester sa reconnaissance à la nature pour les fruits qu’elle a su tirer des labours, non seulement on y assiste, mais je me permets à la fin de prendre la parole pour valoriser cette attitude paysanne et faire remarquer qu’il a manqué quelque chose d’essentiel à cet acte de reconnaissance : l’invocation à l’endroit du Créateur du soleil, de l’eau et de la terre. Alors j’invite à prier le Notre Père et je poursuis avec la prière des rogations, prière de l’Eglise prévue justement pour ces circonstances où l’on demande à Dieu de bénir la terre et les semailles.
Vous imaginez bien que, l’année prochaine, ils reprendront leur chicha, leur feuille de coca et leurs invocations... mais je ne doute pas que, par osmose et à force d’être présent, tout peut basculer, un jour ou l’autre, du coté de la prière de l’Eglise. Pour notre part, c’est une question de patience, de méthode d’éducation aussi, et d’abandon à la grâce que Dieu voudra bien donner pour que quelque chose se passe.
Quant à la place que prend ce rapport à l’ancienne religion, en réalité, nos gens sont beaucoup plus assaillis par les sectes évangéliques que par le goût de « l’ancienne religion inca ». Mais pour nous, cela ne change pas grand chose ! Nous sommes là pour vivre en première personne l’imitation du Christ, les valeurs de l’Evangile, et ensuite les prêcher.
Que reste-t-il de la présence espagnole ? En Europe, on a tendance à penser que celle-ci ne fut que pillages et massacres. Qu’en est-il réellement pour les populations locales ?
Père Christian de Penfentenyo : Votre question appelle plus la rédaction d’un article qu’une réponse en quelques lignes !
Il y a encore un certain nombre de prêtres espagnols dans l’ensemble des diocèses péruviens, les vocations indigènes ont cependant bien pris la relève, même si dans nos régions de hautes altitudes, tout est un peu lent et fragile.
Au plan politique, il n’y a pas d’espagnol en tant que tel que je sache. Quant à la perception qu’ont les gens de la conquête espagnole, il faut évidemment distinguer ce qu’a légué l’Eglise et la manière dont la colonisation politique s’est déroulée, tout en sachant que l’Eglise n’est pas venue toute seule, sinon grâce au pouvoir séculier.
A chaque fête nationale du 28 juillet, on a droit à un grand discours en noir et blanc qui peut se résumer en ces termes : « vive le grand jour où le Pérou s’est libéré des Espagnols qui ont envahi nos terres, corrompu nos mœurs, mélangé leur sang à celui de notre lignée inca, volé notre or et argent, ruiné notre culture, esclavagé et meurtri notre peuple, etc. »
C’est un discours que nos gens assument sans trop de nuance. Mais en marge de cela, ils savent reconnaître et valoriser le patrimoine que l’Eglise a légué (églises, chapelles, retables, statues, pont, aménagement des voie de circulation, dispensaires, écoles, etc.). Quand vous arrivez dans un petit village de haute altitude, distant de trois jours à cheval de la ville impériale de Cuzco, et que vous tombez sur une place centrale et son église imposante, dont l’intérieur est revêtu de fresques et de tableaux, cela devient difficile de reprendre les termes du discours anti-Espagnol officiel !
Donc, on peut penser que les gens font la différence entre la colonisation politique et la colonisation et évangélisation religieuse. Il s’agirait d’ailleurs d’étudier la réalité de l’histoire coloniale du Pérou pour savoir si vraiment tout n’a été que pillage et massacres de la part du pouvoir temporel ! En ce qui me concerne, j’aime bien lancer le pavé dans la mare : lorsque la fiction prend le pas sur la réalité historique, je demande à mes interlocuteurs ce qu’ils pensent de ma présence parmi eux, moi qui suis étranger, blanc et européen ; si, véritablement, ils pourraient dénoncer une attitude impérialiste, violente, ou conquérante de ma part ?
Instantanément, le réaction est celle-ci : « Mais non, on vous connaît et on sait comment vous êtes et le bien que vous faites ici : l’effort pour nous rejoindre et participer à notre vie, nos fêtes, nos travaux, etc. » Ce à quoi je réponds : alors ne jugeons pas de manière dogmatique ce que nous ne connaissons pas, et tachons de penser par analogie, que les membres de l’Eglise, et peut-être même le bras séculier et politique au moment de la colonisation espagnole, n’avaient pas d’autres intentions que celles qui animent aujourd’hui les Missionnaires !
Et enfin, la question qu’il m’arrive de soulever, au risque d’entamer d’ailleurs un débat houleux, c’est de savoir quelle pierre (au sens propre et figuré) ont apporté les Péruviens aux sites archéologiques incas du Macchu Picchu par exemple ? Quels progrès et avancements culturels peut-on attribuer au peuple indien de cette contrée andine, à l’héritage culturel, politique et social que les espagnols ont légué ?
Ce n’est pas le tout de pleurer sur un lointain passé quand on a aussi peu d’initiatives dans l’ordre culturel, artistique et religieux ! Quant à l’or, l’argent et le cuivre que les Espagnols auraient embarqué, eh bien, il en reste bien assez à extraire, si l’on en croit l’activité minière dans la cordillère des Andes. Là encore, quelle politique économique anime l’actuel gouvernement péruvien avec cette richesse minière si abondante ?
Bref, la question que vous avez soulevé est un long débat et un débat d’autant plus long et ennuyeux si l’on ne sait pas exactement où l’on veut en venir. S’il s’agit de savoir qui a raison et qui a tort, c’est peu satisfaisant. En revanche, s’il s’agit de vouloir dépasser des erreurs commises dans le passé, que cela soit de la part du pouvoir séculier ou du pouvoir religieux, alors nous agissons de façon constructive. Il s’agit d’engager une conversion personnelle avec l’avantage de devenir protagoniste de progrès et d’avancement là où nous sommes. C’est peut-être cela en quoi consiste « apporter » une pierre aux ruines archéologiques et aux églises de nos régions andines !
Comment peut-on vous aider ?
Père Christian de Penfentenyo : Nous avons besoin de prêtres et de religieuses missionnaires. Bien sûr, Mission Apurimac accepte tous les dons ! Mais j’insiste énormément sur le besoin de prêtres missionnaires. Si le blog mission.apurimac.org et notre page Facebook pouvaient apporter une réponse stimulante à une vocation missionnaire personnelle, alors nous aurons réussi notre pari !
Quelle est votre espérance en face des prophètes de malheur ?
Père Christian de Penfentenyo : Au vu des événements qui se préparent en Europe, tout du moins en France, je rejoins la réflexion d’un de mes cousins qui laissait dernièrement sur son mur FB la question suivante : « sommes-nous prêts ? ». Oui, sommes-nous prêts, membres de l’Eglise catholique, à assumer une confrontation et une persécution violente qui n’aura plus la couleur d’une encre, la bêtise d’un dessin ou le bruit de quelques mots dans un poste de TV ou radio ? Les armes seront autres ! Sommes-nous prêts ? En tout cas, on peut penser que le Christ l’est, si l’on en croit sa Parole : « En temps voulu, j’agirai vite », dit-il par la voix de son prophète. C’est la Parole qui élèvera tous « les regards ». C’est la Parole qui apaisera tous les défaitistes, et enfin, la Parole qui se chargera des « ennemis de l’Eglise ». Il s’agit de basculer dans le mystère de l’Eglise. Sans cela, il est a craindre que l’on ne soit pas prêt ! Êtes-vous prêts ?
Padre Christian de Penfentenyo
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