L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Odile Guinnepain, infirmière en soins palliatifs et responsable de l’antenne « Nos mains ne tueront pas », a bien voulu répondre aux questions du Rouge & le Noir.
R&N : Une délégation de professionnels de santé sera en tête de la marche pour la première fois cette année. Pourquoi ce choix ?
Odile Guinnepain : Tout simplement pour faire entendre la voix des soignants sur toutes ces problématiques liées à la vie parce qu’on oublie qu’elles les concernent directement.
Qui pratique les IVG, les IMG, qui délivre les MCU (moyens de contraception d’urgence), qui administre les sédations terminales dont beaucoup sont euthanasiques, qui administre les traitements et pratique les actes pour la PMA, … ? Ce sont des professionnels de santé : médecins, sages-femmes, infirmières, pharmaciens, etc...
Par la force des choses, tous ces actes necessitent l’intervention de soignants. Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils le font aisément ou dans une conscienseuse indifférence ! Nous n’avons pas choisi ce métier pour détruire la vie. Nous l’avons choisi pour la servir !
C’est la raison pour laquelle nous serons présents en délégation à la MPV ; afin de manifester notre refus de participer et de nous rendre responsables de tous ces actes, et indirectement, de leurs conséquences ; mais aussi pour demander une clause de conscience beaucoup plus libre.
Beaucoup de soignants quittent la profession, ecoeurés des actes mortifères qu’on leur fait commettre.
R&N : Quels sont les enjeux pour les professionnels de santé de la révision de la loi de bioéthique qui s’ouvre actuellement ?
Odile Guinnepain : Ils sont nombreux car les projets actuels ne visent qu’à transgresser toujours la loi naturelle ou à continuer d’ouvrir les portes de la culture de mort.
Par exemple, la PMA, qui, déjà et en soi, transgresse la conception d’un enfant dans la relation homme/femme, va s’ouvrir à des femmes vivant ensembles ou à des célibaires. Les professionnels vont donc se rendre complices de faire « engendrer » des enfants fabriqués et non conçus que l’on fera sciemment orphelins de père ! Oui, dès les premiers actes, soit les injections aux femmes, d’hormones stimulant la production d’ovocytes (prescrites par des médecins et pratiquées par des infirmières hospitalières ou libérales), les soignants se rendront complices de ces « fabrications » d’enfants moralement illicites. Auront-nous l’accès à l’objection de conscience dans la PMA pour toutes ?
Si l’aide médicale à mourir ou l’aide médicale au suicide sont légalisés, qui va injecter les produits létaux ? Ce sont les médecins qui vont les prescrires, ce sont les infirmières qui vont poser les seringues contenant les produits ou les injecter directement et ce sont les aides-soignantes qui poursuivront les soins de nursing et de confort en assistant aux agonies provoquées (pas forcément confortables !) des patients. Et ce sont les pharmaciens qui délivreront les produits létaux !
Comme pour la PMA mais aussi l’IVG, l’IMG etc.. à tous les niveaux de la chaîne, ces actes concernent éthiquement et en conscience tous les professionnels de santé :
Sacré responsabilité morale !
Il en sera de même pour la congélation des ovocytes ou des spermatozoïdes effectués par des biologistes, de même pour la GPA qu’elle soit « médicale » ou pour permettre aux hommes vivant ensemble ou célibataires d’avoir des enfants. L’acte et la surveillance médicale des mères porteuses étant faite par des professionnels du soin. Et tant d’autres violations….
R&N : Comment jugez-vous la situation actuelle de la liberté de conscience du corps médical ?
Odile Guinnepain : Actuellement, sous certaines conditions, les médecins ont accès à l’objection de conscience dans 3 problématiques :
Actuellement, l’objection de conscience est accessible aux médecins pour trois types de situations :
Le refus de stérilisation : « Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer cet acte visée contraceptive mais il doit informer l’intéressé de son refus dès la première consultation. » (article L.2123-1 du code de la santé publique).
L’interruption volontaire de grossesse : « Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues l’article L.2212-2. » (article L.2212-8 du code de la santé publique)
« Un médecin ne peut pratiquer une interruption volontaire de grossesse que dans les cas et les conditions prévus par la loi ; il est toujours libre de s’y refuser et doit en informer l’intéressée dans les conditions et délais prévus par la loi. » (article R.4127-18 du code de la santé publique).
Cependant, La loi n°2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’IVG et la contraception a supprimé une disposition de l’ancien article L.2212-8 du code de la santé publique qui reconnaissait aux chefs de services des établissements de santé publics la possibilité de à s’opposer ce que des interruptions volontaires de grossesse soient réalisées dans leur service. Cela signifie donc que le chef de service a le droit de refuser de réaliser personnellement une interruption volontaire de grossesse mais il ne peut imposer ses propres convictions personnelles et professionnelles à l’ensemble de son service.
La recherche sur l’embryon : « (…) aucun médecin ou auxiliaire médical n’est tenu de participer quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons ou sur des cellules souches embryonnaires autorisées en application de l’article L.2151-5. » (article L.2151-7-1 du code de la santé publique) ;
Il est aussi important de préciser que ce n’est pas parce qu’un soignant ne pratique pas directement l’acte « grâce » à son objection de conscience qu’il en est complètement détaché. En effet, en âmont ou en aval, il administre les soins nécessaires aux femmes concernées. Ce n’est pas simple à vivre !
Pour ce qui est de la fin de vie, on assiste à des dérives sérieuses et bien plus fréquentes qu’on ne le croit, au sujet de la sédation à laquelle les soignants ne peuvent rien dire. En effet, la « sédation profonde, continue jusqu’au décès » telle qu’énoncée dans l’article 3 de la loi Claeys/Léonetti, n’est pas « officiellement » un acte euthanasique, donc portant atteinte à une vie humaine ; donc pas de clause de conscience possible dans ces cas-là. Ce souci touche en particulier les infirmières. En effet, les médecins étant prescipteurs et décideurs, ils ne sont pas « obligés » de prescrire une sédation qui, dans l’acte, serait désorsonnée. Par contre, lorsqu’elle est prescrite par un médecin à qui cela ne pose aucun problème de conscience, l’infirmière a obligation d’appliquer la prescription. Beaucoup d’infirmières vivent très mal ces situations et peinent réellement à se faire entendre sur les questions éthiques que posent ces actes et leur multiplicité.
R&N : Est-elle équilibrée ?
Odile Guinnepain : Non pas réellement pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en fonction des lieux d’exercice, elle n’est pas si facilement applicable que cela. Autant elle est assez librement applicable dans certains établissement pour les sage-femmes ou les médecins, mais dans beaucoup de structures, c’est à l’entrée que l’on sait si c’est le cas ou non. En effet, toute sage-femme, infirmière ou médecin qui, dans une institution où il postule, exprime son droit à l’objection de conscience lors de l’entretien préalable à un emploi, n’aura aucun espoir d’être recruté.
Heureusement, il existe des lieux où les soignants peuvent travailler librement, comme les services dirigés par les sœurs des maternités catholiques.
Il est à rappeler aussi que la clause de conscience demandée par l’Ordre des pharmaciens en 2016 (« le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine ») a été rejetée. C’est une très grande souffrance pour les pharmaciens qui délivrent des MCU à des jeunes filles souvent mineures, qui plus est, sans obligation de traçabilité de ces délivrances contrairement à tout autre traitement !
R&N : Fait-elle actuellement l’objet de remise en cause dans un sens ou dans l’autre (pour l’étendre ou la restreindre) ?
Odile Guinnepain : S’agissant de l’interruption volontaire de grossesse, lors de l’examen du projet de loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, des députés avaient déposé un amendement visant à supprimer la clause de conscience. Le CNOM (collège national de l’ordre des médecins) et le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) s’y sont vivement opposés rappelant qu’il s’agissait d’une disposition fondamentale prévue par le code de la santé publique et par le code de déontologie médicale. L’ancienne ministre de la santé, Marisol Touraine, était allée en ce sens. Cependant, et ce fut la « ruse » du dernier gouvernement ; voyant qu’il ne serait pas possible de revenir sur la clause de conscience, Mme Touraine a imposé des quotas d’avortement dans le cadre de la loi de santé publique du 26 janvier 2016. Cela entraîne aujourd’hui des pressions pour les gynécologues, pressions exercées par les ARS (agences de santé régionales) pour que le nombre d’IVG, IMG préconisés dans ces quotas annuels soient respectés.
Toutefois, il existe de nombreuses autres circonstances dans lesquelles un médecin et d’autres professionnels, peut refuser de réaliser des soins pour convictions professionnelles ou personnelles, tels que par exemple en matière de procréation médicalement assistée, don d’organes.
Pour le moment, dans le projet de loi de bioéthique, la question de la clause de conscience n’est pas abordée, mais il est à espérer que des amendements seront déposés en ce sens. Nous avons tout intérêt à en parler. Il est intéressant de voir ce qui se passe en Italie actuellement à ce sujet. 70 % des médecins gynécologues-obsétriciens italiens refusent aujourd’hui de pratiquer des IVG, ce qui met « dangereusement » à mal sa pratique. Du coup, le gouvernement italien projette de renoncer à la clause de conscience pour ces médecins.
La première législation sur la clause de conscience pour les médecins date de la loi Veil en 1975. Depuis, la science a énormément évolué et beaucoup d’autres actes contre la vie ou la dignité humaine posant de graves questions éthiques nécessiteraient qu’une vraie législation puissent exister en ce sens pour les professionnels du soin.
R&N : Vous avez créé en mai 2016 « Nos mains ne tueront pas », une antenne d’écoute et de formation pour les personnels de santé. Quel bilan tirez-vous des premières sessions de formation qui ont été données depuis ?
Odile Guinnepain : Nous avons organisé deux formations sur les problématiques de la sédation terminale. Les deux ont été complètes et ont attirés des médecins, des infirmières, des cadres de santé, des étudiants, des aides-soignantes…de tous âges et toutes expériences. Elles se sont révélées très enrichissantes et conrètes grâce à la qualité des intervenants et à la pragmativité de leurs enseignements. Elles ont aussi été le lieu d’expressions de souffrances réelles de la part de soignants, confrontés à ces questions éthiques problématiques dans leur exercice quotidien, et se sentant bien démunis et très seuls. L’avantage est que des professionnels sont repartis « armés de meilleurs compétences » pour faire face à certaines dérives, soulagés d’avoir rencontrés des soignants partageant les mêmes soucis et encouragés dans leur choix moraux pour le bien des patients.
Nous avons réalisé combien ce type de formation est essentiel aujourd’hui. Au moins deux sont prévues dans les mois à venir sur d’autres thèmes éthiques.
Le R&N a besoin de vous !
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