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La première formation organisée par « Nos mains ne tueront pas » aura lieu les 27 et 28 mai à Paris, sur le thème de la sédation terminale. Parmi les intervenants, Mgr Michel Aupetit, évêque de Nanterre et médecin de formation.
R&N : Pourquoi lancer cette nouvelle antenne d’écoute et de formation « Nos mains ne tueront pas » ?
Odile Guinnepain : Depuis de nombreuses années, avec le développement de la contraception et le vote des lois pro-IVG, les professionnels de santé sont confrontés à des problèmes éthiques graves dans l’exercice de leur métier. Récemment, le vote des lois sur la fin de vie de 2005 et 2016 a accru ces difficultés. En conséquence, beaucoup de professionnels soucieux de respecter toute vie humaine ont du mal à travailler librement en raison de leur refus d’adhérer, en acte, à ces lois mortifères. Par exemple, des médecins refusant de prescrire des contraceptifs ou des pharmaciens refusant de les délivrer, des sages-femmes refusant de participer à des IMG, des infirmières refusant de mettre en place des sédations terminales euthanasiques etc.
Ce type d’actes « de soin » proposé fréquemment dans la pratique soignante est inconcevable lorsqu’on veut pleinement respecter l’enseignement de l’Église.
L’idée de cette antenne est de permettre à des soignants confrontés à ces soucis éthiques, d’être écoutés et conseillés par des soignants. Pour cela il nous a semblé important que ce soient des soignants au service des soignants. La formation fait partie intégrante du projet ; elle se situe tant sur le plan philosophique, juridique, spirituel que sur le plan très technique et concret.
Enfin l’idée aussi est de se montrer dans la sphère publique. Il est important maintenant que la société sache que des soignants se refusent à participer à cette culture de mort. Et plus nous serons nombreux à le dire, plus nous avons l’espoir d’être entendu.
R&N : Observez-vous une prise de conscience d’une partie du corps médical et paramédical sur ces questions ?
Odile Guinnepain : Oui, cette prise de conscience est réelle mais elle est encore trop silencieuse. C’est tout d’abord la réalité qui fait se questionner les soignants. Être témoins d’IVG, de la souffrance des mères lors d’IVG ou IMG, l’incroyable pression de la société à ce sujet ; administrer des sédations quasi-systématiques dans certaines institutions sans avoir la liberté d’accompagner les mourants dans toutes les dimensions de leurs souffrances ; participer à des protocoles de traitements permettant à des personnes de changer de sexe sans pouvoir les accompagner dans leur souffrance ; prescrire la pilule comme on prescrit du Doliprane sans avoir les moyens d’apporter une vraie éducation affective et sexuelle aux jeunes, etc.
Tout ce système de pensée unique, qui, de plus, a des conséquences visibles sur la santé mentale et physique des personnes, commence vraiment à interpeller les soignants.
Cette prise de conscience des soignants vient aussi des lois liberticides croissantes à leur encontre. Les dernières lois Claeys/Léonetti et celle sur le délit d’entrave à l’IVG entraînent une restriction encore plus importante dans la liberté de soigner. De même que, pour les pharmaciens, l’impossibilité d’accéder à l’objection de conscience est un vrai souci pour la profession.
Enfin, la prise de conscience vient aussi des patients et bénéficiaires. La confiance entre le patient et le soignant ne cesse de s’altérer au fil des années. Les malades ont soif de retrouver un corps médical honnête, proche de son patient, soucieux du vrai bien de sa santé dans le sens écologique du terme.
R&N : Quelles sont les interrogations et les problématiques auxquelles sont confrontés les professionnels de santé ?
Odile Guinnepain : Elles sont malheureusement nombreuses et on en a cité précédemment :
Toutes ces situations sont nombreuses et se rencontrent maintenant dans tous les services de soins mais aussi dans les lycées et collèges. C’est la raison pour laquelle il est aujourd’hui très difficile, voire impossible pour un soignant désireux de suivre sa conscience, de travailler en étant sûr d’être épargné par une problématique de ce type. Cette réalité est vraie en institution comme à domicile.
R&N : Quelle approche proposez-vous pour prendre en compte la souffrance de patients en phase terminale ? Pourquoi la « sédation terminale » bien souvent mise en place, serait-elle une mauvaise réponse ?
Odile Guinnepain : La base pour prendre en compte la souffrance des patients en phase terminale, est d’abord d’avoir un regard pleinement humain sur eux avec toute la dimension du sens « sacré » de leur vie. Et puis il est important de les voir et les soigner dans la globalité de leur personne. Par exemple, la douleur physique d’un patient en phase terminale n’est pas seulement la manifestation d’une lésion tissulaire. Elle est toujours liée à d’autres souffrances : sociales, spirituelles, psychologiques, intellectuelles, culturelles, etc. Or, si nous n’essayons pas, en équipe, de chercher ou de comprendre la source de toute souffrance que manifeste (ou pas d’ailleurs !) le patient, on a tous les risques de mener un accompagnement de mauvaise qualité avec, pour conséquence, l’administration de traitements inadaptés. Le problème aujourd’hui est que la mort, comme la naissance, sont devenues hypermédicalisées et qu’on s’impose quasiment d’apporter une solution médicamenteuse à toute problématique. Or, en fin de vie, il y a beaucoup de souffrances vécues par les patients dont la réponse n’est pas médicamenteuse, mais humaine, spirituelle ou religieuse, sociale, etc.
Je me souviens, il y a quelques années d’une jeune femme de 30 ans, foudroyée en quelques mois par un cancer de la vessie. Elle était mariée et mère de 6 enfants dont le dernier n’avait pas 1 an. Cette femme était en proie à des douleurs abdominales résistantes à divers traitements antalgiques. Notre équipe s’efforçait, tant bien que mal, à trouver une solution efficace pour la soulager en même temps que nous faisions et organisions un certain nombre de démarches pour l’avenir de la famille qui vivait dans une situation très précaire. Or, un jour, alors que nous nous apprêtions à la « sédater » de façon mesurée afin de lui permettre de se reposer, nous avons réalisé que ces douleurs abdominales étaient en fait, la manifestation de son inquiétude pour l’avenir de sa famille et notamment de ses enfants dont elle craignait le placement en familles d’accueil après sa mort. Une fois que l’on a compris cela et qu’elle a pu être rassurée, ses douleurs abdominales ont totalement disparu. Elle est décédée paisiblement quelques jours plus tard. Aujourd’hui, cette femme aurait certainement eu une « sédation profonde, continue, jusqu’au décès » !
En ce qui concerne la sédation terminale, elle est à distinguer de la sédation en phase terminale, qui elle, peut se justifier dans certaines circonstances. Le problème avec la sédation terminale aujourd’hui est qu’un certain nombre de patients en toute fin de vie sont mis sous sédation (associant le plus souvent de la Morphine avec un anxiolytique puissant et d’action rapide) un peu rapidement sans réelle évaluation de l’inconfort. Le but est de provoquer intentionnellement jusqu’au décès, la perte totale de conscience du patient.
Je prends l’exemple récent d’une infirmière travaillant en EHPAD qui témoignait de la mort de 17 résidents courant mars, tous morts 24 à 48h après la mise en place d’une sédation, ceci afin d’éviter toute souffrance. Il y a là une très sérieuse et grave dérive.
En ce qui concerne les sédations en phase terminale, celles-ci sont beaucoup plus rares et ne sont nécessaires en réalité que pour 2 % des patients en fin de vie. Elle est mise en place le plus souvent pour des personnes risquant de mourir dans des détresses respiratoires asphyxiques ou des suites d’hémorragies. Mais même dans ces situations-là, la sédation doit être mesurée, contrôlée et surveillée.
R&N : Comment éviter les dérives euthanasiques auxquels sont confrontés de nombreux soignants qui doivent parfois même faire face à des demandes en ce sens de la part des familles des patients ?
Odile Guinnepain : Tout d’abord, ce que l’on constate à propos des dérives euthanasiques, c’est que celles-ci sont majoritairement faites à la demande des familles ou à l’initiative des soignants (même si dans l’esprit de ceux-ci, l’idée n’est pas de « tuer pour tuer » mais bien de soulager une souffrance non ou mal étiquetée, ou encore d’éviter toute souffrance ou aussi de faire en sorte que la fin de vie ne dure pas trop car elle serait inhumaine). Les demandes d’euthanasie de la part du patient sont réelles mais rares.
Pour l’éviter, il faut agir en amont, c’est à dire tout faire afin de ne pas avoir besoin d’y avoir recours. Pour cela, il faut sans cesse tenter de comprendre les symptômes, les souffrances des malades, chercher à trouver leur source, connaître l’histoire des patients. Il y a beaucoup d’inconfort ou d’angoisses qui apparaissent en fin de vie et qui sont liées à l’histoire de vie des malades.
Il faut aussi tenir compte de la réalité de la vie spirituelle des patients, et notamment pour ceux qui ne sont plus en capacité de s’exprimer. En effet, je trouve dommage aujourd’hui que le mouvement des soins palliatifs devenu très laïciste, tienne de moins en moins compte de notre culture judéo-chrétienne. Je prends l’exemple de mon expérience actuelle. Je travaille plus spécialement à l’accompagnement en fin de vie des personnes âgées. Ces derniers mois, dans une EHPAD où je travaille, nous avons eu 13 résidents qui sont décédés en 4 mois, ce qui est beaucoup en comparaison des années précédentes. Pour aucun d’entre eux ne s’est posée la question d’une sédation terminale. Nous avons au mieux contrôlé un maximum de symptômes tout simplement parce que nous les avons anticipés. Pour autant, nous avons fait une expérience bien particulière et observé que plusieurs résidents vivaient des états d’agitation terminale difficiles à comprendre. À chaque fois, nous avons, en équipe, réfléchi aux raisons de ceux-ci et pour la plupart, s’est posé la question du retour à la foi avec la nécessité de recevoir le sacrement des malades ou de prendre un temps de prière au chevet du résident. Dans cet EHPAD, nous avons « protocolisé » le confort spirituel ou religieux, de telle manière que, pour chaque résident, les soignants s’interrogent systématiquement sur la question de la foi chrétienne dans leur vie. Et bien, pour 11 de ces 13 résidents morts, il se trouve que c’est après avoir reçu le sacrement des malades ou après un temps de prière à leur côté qu’ils se sont apaisés et ont pu mourir paisiblement.
J’insiste là-dessus car beaucoup d’agitations terminales sont « éteintes » par des sédations inappropriées sans que se pose la question de la réalité spirituelle.
Il est aussi vital d’être présent pour les familles, d’aller au devant d’elles sans attendre leurs questions afin d’anticiper leurs angoisses qui dérivent le plus souvent par une demande de « faites tout ce qu’il faut pour qu’il ne souffre pas ». Lorsque l’on prend ce temps avec les familles et qu’on les aide, en plus, à « réapprivoiser » le proche mourant, elles vivent l’accompagnement plus paisiblement. Évidemment, il faut aussi que nous soyons pleinement professionnels et que nous nous « battions » pour trouver les meilleures réponses aux symptômes ; mais ça c’est un travail d’équipe qui est souvent difficile à mener.
R&N : On évoque régulièrement la liberté de conscience du corps médical. Comment s’exerce-t-elle concrètement ? Est-elle libre de toute pression ?
Odile Guinnepain : Avant tout, la liberté de conscience ne peut s’exercer que si celle-ci est formée et éclairée par la raison. L’expérience démontre que plus la conscience des soignants est formée, plus ils sont armés pour soigner en pleine liberté de conscience. Cependant, dans le domaine public, il y a de telles pressions qu’il est de plus en plus difficile d’exercer cette liberté. C’est la raison pour laquelle beaucoup de soignants chrétiens quittent le public pour rejoindre le privé ou s’installer en libéral afin de pouvoir exercer plus facilement avec leur liberté de conscience.
Ceci rejoint le problème de la clause de conscience. Ce qui empêche beaucoup de soignants d’exercer leur liberté de conscience, c’est l’impossibilité juridique de faire appel à leur clause de conscience. L’exemple des pharmaciens représente un vrai souci aujourd’hui. C’est une profession qui n’a pas accès à l’objection de conscience. Il est donc impossible aujourd’hui pour un pharmacien de refuser de vendre des produits contraceptifs au nom de sa clause de conscience.
De même que pour les médecins et infirmières, il est impossible de refuser de pratiquer une sédation terminale ou d’arrêter une alimentation artificielle indispensable au nom de l’objection de conscience, car ces actes ne sont pas « officiellement » des actes d’euthanasies. En effet, selon la loi, l’arrêt de l’alimentation correspond à un refus d’acharnement thérapeutique et la sédation est un soin de confort qui vise à éviter toute souffrance.
Donc, face à un certain nombre de ces réalités, la liberté de conscience des soignants est extrêmement limitée. Il faudra développer des maisons médicales et autres structures privées où se retrouvent des professionnels ayant le souci commun de soigner en respectant la vie.
R&N : Comment sont organisées les formations que vous proposez aux professionnels de santé ? Qui sont les intervenants ?
Odile Guinnepain : Pour le moment, nous organisons une première formation sur le thème de la sédation terminale qui aura lieu à Paris les 27 et 28 mai prochain. Le thème choisi correspond à une réalité actuelle croissante. L’idée sera autant que possible, d’apporter des enseignements philosophiques, éthiques, juridiques mais aussi très techniques et concrets afin que les soignants puissent repartir de ces formations avec des réponses directes pour leur exercice professionnel.
Les formations aborderont tout thème qui concerne les soignants sur le respect de la vie (l’IVG, la PMA, l’euthanasie, la transsexualité, etc.) et pourront se dérouler dans toute la France en fonction des demandes des professionnels.
Les intervenants sont choisis en fonction de leur connaissance du sujet dans la spécialité qui est la leur. Nous tenons à ce qu’ils soient vraiment dans un plein respect de toute vie humaine tel que l’enseigne le magistère de l’Église.
Pour chaque formation aussi, nous inclurons cette dimension chrétienne qui fera s’ancrer notre réflexion et notre travail dans la prière. En effet, beaucoup de soignants chrétiens témoignent (et moi-même j’en fais l’expérience régulièrement) que, sans la foi, ils n’auraient pas la force ni les grâces nécessaires pour rester fidèles à leur conscience.
Comme l’a rappelé ce week-end le pape François lors du centenaire des apparitions de Fatima : « L’homme, en mettant Dieu de côté, ne peut pas atteindre le bonheur, et finit même par se détruire. Combien de victimes au cours du dernier siècle du second millénaire ! La pensée se tourne vers les horreurs des deux grandes guerres et celles des autres guerres dans tant de parties du monde. Vers les camps de concentration et d’extermination, les goulags, les purifications ethniques et les persécutions, le terrorisme, les enlèvements de personnes, la drogue, les attentats contre la vie à naître et la famille… Le message de Fatima est un rappel à la conversion… Le dernier objectif de l’homme est le Ciel, sa véritable maison où le Père céleste, dans son amour miséricordieux, est en attente de tous... Priez, priez beaucoup... »
C’est pour cela que cette antenne a vocation à accueillir tout soignant qui se sent concerné et qui veut réfléchir à ces problèmes. Pour autant, nous ne renoncerons pas à notre fondement chrétien au nom du souci « d’être ouvert » et accueillir tout le monde. Dans la recherche de la vérité, la foi chrétienne n’est pas un obstacle, bien au contraire. Par cet antenne, nous sommes appelés à être témoins de la Vérité. Nous cherchons non pas à être efficace mais à être féconds ; or nous ne pourrons l’être si nous mettons Dieu de côté.
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