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Luca Volontè, député européen italien, membre du groupe parlementaire du Parti Populaire Européen , a accepté de répondre aux questions de Jean Herbottin. Ont été évoqués de nombreux sujets, qu’il s’agisse de l’idéologie du Gender, le fonctionnement des institutions européennes, la crise de la démocratie et de la société de consommation, et la place des chrétiens dans la vie politique européenne. La rédaction du R&N remercie M. Volontè de lui avoir accordé cet entretien, et lui souhaite bonne chance pour les échéances électorales à venir.
Jean Herbottin : Depuis le mois de mai, en France, le mouvement de contestation au mariage homosexuel, s’il a perdu de son ampleur, demeure encore actif. Cependant, le problème est bien plus large que la question du mariage. C’est bien toute la vision de la société qui est atteinte. Cela pousse à se poser des questions sur les modes d’action, de communication, de pédagogie à employer vis-à-vis de nos contemporains. La question du langage, notamment, nous montre aujourd’hui à quel point les sociétés européennes sont fractionnées. Il ne s’agit plus seulement d’une division entre deux Weltanschaaung, comme le disent les allemands, mais bien d’un absence total de références communes en ce qui concerne la nature même de l’homme et de sa dignité. Le nouveau clivage droite-gauche, présenté par certains jadis comme celui entre pro-européens et eurosceptiques ne se serait-il pas replacé autour de cette guerre sémantique et philosophique sur question de la nature de l’homme ?
Luca Volontè : C’est vrai, le thème du mariage homosexuel est seulement une partie du problème. Le plus grave, c’est l’idéologie du Gender, dont il dérive, et qui est totalitaire. Un nouveau totalitarisme qui veut, disons mieux encore, qui prétend changer l’homme et la société à la mesure d’un être provisoire, de l’instinctivité et de l’ingénierie sociale. Ce totalitarisme met au centre l’homme, mais un homme qui n’est plus défini ni par sa biologie, ni par sa nature, ni par l’histoire de l’humanité. L’homme ne peut plus non plus être défini par son désir de l’infini, de vérité et de plénitude de sens. Selon l’idéologie du « Gender », l’homme doit être forcé à se reconstruire d’après l’impulsivité sexuelle, surtout d’après une sexualité non naturelle, qui exalte les pratiques égoïstes et non reproductives. On le voit notamment avec cette hyper sexualisation infantile, avec l’éducation à l’érotisme ou encore l’exaltation publique de l’idéologie LGBT. Le schéma droite-gauche, si nous le lisons dans les catégories du siècle passé, c’est-à-dire la division entre progressistes et conservateurs, nous le mesurons bien, a complètement disparu. On ne peut pas définir de gauche un parti ou une famille politique qui, par exemple, abandonne les batailles de la justice sociale comme la pauvreté, le chômage et l’équité de la taxation, et qui embrasse seulement la bataille d’une petite minorité telle que les mouvements LGBT. On ne peut pas définir de droite, dans le sens d’un conservatisme prépositif, ceux qui sont ambigus sur les valeurs de référence et qui, sans aucune autocritique du passé récent, reproposent seulement une approche pragmatique de l’avenir.
Si la déconstruction et la reconstruction du langage et du sens des mots qui correspondent à la réalité est la bataille réelle d’aujourd’hui, de la même façon dans la politique il faut retourner au sens de la division entre alignements et perspectives.
Jean Herbottin : L’accumulation des affaires dans de nombreux pays européens, et la défiance des citoyens face aux politiques posent question : la démocratie représentative est-elle encore pertinente en Europe, où les lobbies ont pris une place prépondérante dans l’élaboration des politiques publiques, et où l’Europe, par ses règlementations tentaculaires, prend de plus en plus de place dans l’élaboration des lois au niveau national ?
Luca Volontè : La démocratie est en pleine crise. La société de consommation, qui a été promue comme pratique dans les années 1960 et 1970, et qui s’est terminée avec la crise que nous vivons depuis 2008, a montré son vrai visage : quand l’homme et la société choisissent de se définir « seulement » par les choses qu’ils ont, il deviennent esclaves de ceux qui détiennent le pouvoir des « choses ».
Ainsi, la démocratie, de manière graduelle et rapide, s’est érodée et l’idéologie du « Gender » est le dernier défi diabolique en date qui veut éroder ce qui reste de la source de la démocratie : la famille et par conséquent les citoyens de demain. Sans la famille, sa vivacité sociale et sa fonction d’éducation et de cohésion entre les générations, la démocratie ne peut pas exister et ne peut plus produire les « anticorps » contre sa corruption. Déjà aujourd’hui, le pouvoir des groupes de pression, forts du point de vue financier, conditionne l’élaboration des lois dans de nombreux pays. On fait des lois pour bénéficier seulement à certains groupes, petits numériquement, mais néanmoins puissants. Mais de cette manière, la crise de la démocratie devient plus grande : la signification même de la loi et du droit est bouleversé. On en arrive à plier le droit vers des intérêts personnels. Ce fait a déjà entraîné, et va à accroître encore la décadence de la démocratie et son développement dans des systèmes « oligarchiques », de nouvelles formes d’aristocratie. En conséquence, les « droits humains » seront soumis à de profondes révisions, qui sont fondées non pas sur la nature et l’universalité de l’homme, mais sur des majorités en faveur de l’air du temps, actuellement au gouvernement des pays ou des Organismes internationaux.
Jean Herbottin : La question est volontairement polémique : Est-il préférable de sauver la démocratie ou les libertés fondamentales ? Et, finalement, la véritable question qui se pose est la suivante : démocratie et libertés fondamentales sont-elles compatibles ? La France, mais également de nombreux pays européens, ont élu d’une manière légitime des majorités qui élaborent des lois attentatoires aux libertés fondamentales. Qu’il s’agisse des signes religieux ou encore de la liberté d’expression et du traitement réservé aux manifestants hostiles au gouvernement, peut-on encore faire coïncider démocratie et libertés fondamentales ? Peut-on imaginer un régime politique garantissant les libertés fondamentales et n’étant pas démocratique ? Si dans tout régime, il faut des poids et des contrepoids, en sorte que le pouvoir arrête le pouvoir, comme le proposait Montesquieu, le pouvoir médiatique semble s’être affranchi de cette contrainte. Deux questions : est-il possible de garder les gardiens ? Nous nouses souvenons du tollé suscité par la loi du gouvernement hongrois de M. Orban, obligeant les journalistes à la sincérité. De l’autre côté, les nouveaux médias ont joué un grand rôle dans la mobilisation contre la loi Taubira : sont-ils en mesure d’apporter l’équilibre dont a besoin l’information dans les pays européens, sachant que demeure le « mur de l’argent » ?
Luca Volontè : La règle de Montesquieu reste la seule valide. Le système de la séparation des pouvoirs et de poids et contrepoids est le seul valide ; il présuppose clairement que la société civile soit libre et responsable, fondée sur des croyances religieuses et sur le sens de responsabilité pour l’avenir.
Au sujet de la loi hongroise, qui oblige les médias à la sincérité, nous apprend comme la profession des journalistes a changé. Le problème n’est pas seulement d’une catégorie, en effet. Si pour faire carrière, le plus important est la condescendance au pouvoir et pas le mérite, si, pour obtenir des privilèges, on doit « censurer des nouvelles » ou en donner une mauvaise interprétation, on le fait : on le voit, le problème est plus systémique. Ce sont des autres signaux qui nous démontrent que la liberté et la compétition entre les homme de talent est faussée, la réalité est faussée et soumise aux intérêts particuliers. Cependant, les médias dans le web et la diffusion de la liberté dans le « réseau » représentent potentiellement une grande occasion pour la liberté et la conscience. Cependant, les récentes et scandaleuses interceptions de masse, avec des dizaines de millions des citoyens européens écoutés par les agences des États-Unis et de l’Angleterre nous démontrent que le pouvoir veut contrôler chaque aspect de la liberté de chacun de nous. Si le réseau est libre, le mur de l’argent réduit son importance !
Enfin, garder le gardiens serait possible. Mais il ne me semble pas qu’en Europe on ait le courage de garantir la vraie liberté aux citoyens. Où sont les listings des millions de citoyens ? Qui sont-ils et comment on leur garantit le droit à la vie privée ? Comment on a utilisé les interceptions ? Et comment le Gouvernement national a défendu les citoyens ? Un doute vient à l’esprit, vu qu’il n y a pas de réponses pour ces questions : après avoir protesté, maintenant les Gouvernements pourraient utiliser les interceptions pour des intérêts particuliers...
Jean Herbottin : Les élections européennes approchent, et de nombreux sondages mettent le Front National en tête des intentions de vote en France, très loin devant l’UMP, et plus encore devant le Parti Socialiste. L’on connaît l’euroscepticisme récurrent des Français, mais il semble que ce score soit davantage dû au rejet des partis au pouvoir depuis trente ans qu’aux enjeux européens. Cette indifférence fera des élections européennes un défouloir pour les mécontents. Et cela, par ces temps de crise, doit être présent dans de nombreux pays. Le parlement européen serait ainsi une agrégation d’élus d’électeurs mécontents : peut-il trouver sa place dans ce cadre ? A-t-il d’ailleurs un rôle concret face à la toute puissance de la Commission européenne ? De nombreuses réglementations européennes on suscité la colère de nombreux secteurs, et donnent de l’Europe une image technocratique déconnectée du réel. Nous pensons par exemple aux projets récents, qui peuvent faire sourire, comme par exemple une norme sur la quantité d’eau dans les lieux d’aisance : Le principe de subsidiarité existe-t-il encore en Europe ? Ne serait-il pas temps de redéfinir les compétences de l’Union européenne ?
Luca Volontè : Ma préoccupation pour les prochaines élections européennes et en vue du prochain Parlement et de la prochaine Commission est très simple.
Je suis clairement alarmé mais tout ce que nous voyons aujourd’hui en Europe était clair depuis des années, le fait que maintenant ceux qui ont gouverné l’Europe pendant les dernières dix années s’étonnent est simplement ridicule. Qui a créé ce mécontent populaire ? La lenteur de la réaction européenne dans la crise économique, le manque de mesures et décisions qui évitent des nouvelles crises spéculatives, l’obsession des comptes annuels et pas de la vie des gens, le manque de leadership politique, que ce soit des affaires du pourtour méditerranéen à celles du monde entier, l’absurde insistance sur l’idéologie du Gender et le grave oubli des millions des jeunes au chômage… Enfin, si les deux familles politiques qui ont gouverné l’Europe ont provoqué cette méfiance, la bureaucratie européenne a fait le reste. Et que doit-on faire maintenant ? Le prochain Parlement européen sera composé par des parties nationaux et populaires, pas populistes. Des nouveaux partis qui mettent au centre de leur action et de leur critique l’identité nationale. Beaucoup de ces partis ont des valeurs chrétiennes, certains dénoncent l’immobilisme européen, des autres l’excessive ingérence dans les affaires nationales. Le chaos pourrait être un résultat électoral du nouvel Parlement européen, mais je pense que la nouvelle composition bigarrée du nouveau parlement pourra être une grande occasion, et pour les partis européen traditionnels, et pour les nouveaux protagonistes, de bousculer les schémas actuels.
De cette grande diversité d’identité peut naître une réelle refondation européenne. Seulement, pour que les différentes composantes dialoguent entre elles avec profit, l’Europe a un besoin urgent de se refonder, en respectant les identités des différents peuples et en cherchant à relancer ses racines communes. Ma préoccupation est pleine de confiance. Il faut insister sur la subsidiarité, sur une nouvelle définition des compétences. Il faut plus de clarté dans les décisions, et moins de pouvoir bureaucratiques. Il faut renforcer le rôle politique national et éclaircir les politiques communautaires. Tout ça est et sera possible dans le nouveau Parlement européen, aussi grâce à la présence des nouveaux partis qui obligeront les familles politiques traditionnelles à changer leur mentalité, à donner enfin à l’Europe une perspective et une tâche pour l’avenir.
Jean Herbottin :La sécularisation est un processus européen, qui se traduit bien souvent par un laïcisme antichrétien. Dans un tel contexte, quelle place pour la démocratie chrétienne, et plus largement, pour la foi dans les décisions politiques ? En définitive, la question que je vais poser est à dessin polémique. Est-il possible d’être chrétien et homme politique, sans devoir faire des compromissions entre l’exigence de la vie évangélique et le monde sécularisé ?
Luca Volontè : Je n’aime pas l’idée de sécularisation, pas même celle qui définit l’époque actuelle de « post-moderne ». Ce sont des concepts rétrogrades ! Nous devons être clairs, beaucoup de faits nous disent clairement que nous sommes à l’aube d’une nouvelle vague des barbaries. Comment pourrait-on expliquer autrement les décisions sur l’euthanasie infantile et pour les personnes âgées, la pédophilie légalisée, l’exaltation de l’idéologie totalitaire du Gender, l’esclavage oppressif imposé pas les spéculateurs financiers, le nouveau colonialisme occidental et le nouvel esclavage des peuples entiers sur femmes « en location » et les odieux trafics d’organes humains ?
Face à cette nouvelle barbarie il est indispensable que les chrétiens se mettent en jeu, qu’ils aient le courage de l’engagement public de la vie sainte. Tout ça selon deux manières, l’engagement direct dans les institutions et celui de la « politique antipolitique » suggéré par l’expérience de Vaclav Havel et des ex pays communistes.
Est-il possible d’être chrétien et homme politique ? Pourquoi ne devrait-ce pas être possible ? S’il est possible d’être esclaves du Gender ou du socialisme ou du nouveau conservatisme, alors il est possible aussi d’être pleinement chrétiens et protagonistes dans la vie politique institutionnelle. L’exemple du Serviteur de Dieu Robert Schuman devrait être médité en France. Mais on pourrait faire beaucoup d’autres exemples. Le chrétien veut la sainteté parce qu’il est pleinement heureux et sûr de la bonté de sa vie, et ce faisant il a le devoir de proposer aux autres la même rencontre avec Jésus-Christ qui a changé sa vie. Donc sa ferme adhésion aux « principes non-négociables » n’est pas une utopie naïve, mais c’est une proposition convaincante et riche de sens et de compétence au service du bien commun de la cité. Chacun peut et doit choisir de vivre sa propre expérience politique dans un parti chrétien ou dans un autre parti modéré. Le lieu de l’engagement est secondaire, ce qui est important, c’est la conscience de la tâche que nous avons devant nous. Nous voulons changer le monde actuel, proposer une expérience qui ravive la société et la démocratie, donc nous savons qu’il y aura la barbarie, le préjugé et la dérision comme opposés. Nous sommes une minorité créative et combative, maintenant c’est l’heure de reprendre notre place.
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