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R&N : Comment avez-vous préparé l’écriture de Guerilla ? Quel est le type de travail préparatoire pour un tel roman ?
Laurent Obertone : Il y a d’abord la collecte de données et de témoignages, qui m’est automatique depuis plusieurs années. Une fois que le sujet est arrêté, grâce notamment aux fuites du renseignement français, et à la pression de l’actualité, il faut trier ces données, les rassembler, les actualiser, les recouper, les organiser autour d’un scénario global et des personnages. Il n’y a pas moins de travail que pour un essai, même si ça se ressent sans doute moins à la lecture.
R&N : Peu de personnages semblent trouver grâce à vos yeux. On relève la jeune mère, l’officier catholique et ses hommes, le chasseur et le flic par lequel tout commence, ... Qu’est ce qui les distingue des autres ?
Laurent Obertone : Pour reprendre une expression du roman, je dirais qu’ils ont en eux quelque chose de pas tout à fait soumis… Ils ne sont pas affligés de la même résignation qui frappe les autres personnages. Sans même en avoir conscience, ils ont une vision transcendantale des choses. Ils refusent d’arrêter leur sort à celui de la morale dominante, celle de l’acceptation, de la soumission, de la dépendance. Quelque chose en eux a survécu… Un restant d’honneur, d’instinct maternel, de foi, d’auto-défense, de conscience du clan… Ce sont des valeurs assez "révolutionnaires", dans le contexte actuel.
R&N : La mort de certains personnages donne l’impression que l’écriture de ces passages a été assez jouissive pour vous. Est-ce le cas ?
Laurent Obertone : La lecture peut donner cette impression, mais ce n’est pas le cas de l’écriture. À partir du moment où des individus nient une réalité qui les corrige sans cesse, leur simple description revêt une féroce ironie. Je trouve que cette ironie est visible tous les jours dans l’actualité. Dans un contexte de guerre civile, elle sera omniprésente, et bien plus cruelle, car nul ne pourra y échapper.
R&N : L’homme occidental, individualiste, a-t-il perdu tout esprit de clan ou de meute ?
Laurent Obertone : C’est assez largement le cas, en effet. Nous vivons dans une réalité fictive, une course à la consommation et à la communication, dans une situation de confort, de dépendance, d’irresponsabilité extrême. Il n’existe plus de structures transcendantales susceptibles de lier les occidentaux entre eux. À peine se soumettent-ils à la morale dominante, qui fait peur, parce qu’elle prétend exclure. Un contexte de guerre peut ramener l’homme à sa réalité, aux siens, à un tout autre sens des valeurs.
R&N : La guerre civile signe-t-elle la disparition de toute morale ?
Laurent Obertone : La morale hors-sol cessera en tout cas d’être gratuite : on voit dans le livre que la nuance prend fin, et que celui qui choisit la morale plutôt que la réalité va en payer les conséquences. De nos jours, une posture morale est l’équivalent d’une identité… Certains préféreront mourir plutôt que d’y renoncer.
R&N : Ce live sonne comme un avertissement. C’est d’ailleurs ce que laisse penser la dédicace « à ceux qui n’ont pas compris ». Qu’attendez-vous de vos lecteurs ?
Laurent Obertone : Qu’ils prennent conscience de ce risque, mais aussi que leur souveraineté est devenue une fable, et que leur société, leur civilisation, n’a rien d’un acquis. Qu’ils propagent cette prise de conscience. Pour beaucoup d’entre eux, je sais que c’est déjà le cas.
R&N : Comment les simples citoyens peuvent-ils se préparer au chaos ou du moins réagir s’il advient ?
Laurent Obertone : Peut-être en prenant conscience du formidable réseau de dépendances qui nous clouera au sol le jour où le système tombera en panne… Sans électricité, quantité de Français ne seront plus personne… Et sans informations, qui sera capable de se bricoler de quoi survivre ? Il faut s’habituer simplement à ne plus tout attendre du maître-État, à réfléchir davantage au sens de l’existence, à gérer son existence de manière moins virtuelle.
R&N : Et après ? Que se passe-t-il après les trois premiers jours ?
Laurent Obertone : C’est une excellente question ! Le principe du chaos est d’être imprévisible. Guerilla décrit un futur qui est déjà là ; la suite, ce serait de l’anticipation pure. Un travail bien plus aléatoire…
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