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R&N : Comment expliquez-vous l’ascendant contemporain du capital sur le travail ?
JOSEPH THOUVENEL : Tout simplement par la cupidité, vouloir toujours plus d’argent, plus de profits, en faire un but. Le capital est une ressource utile tant qu’il reste au service du bien commun, du développement humain intégral.
La domination matérialiste sur le travail n’est pas nouvelle, il suffit de regarder la condition ouvrière au XIXe siècle pour s’en convaincre. Ce qui est nouveau, c’est la financiarisation de l’économie qui nourrit sa propre bulle, loin de l’économie réelle.
Ce qui compte pour ces financiers, c’est le retour sur investissement le plus élevé et le plus rapide, pas ce qu’ils financent, l’œuvre à laquelle ils pourraient contribuer.
Cette financiarisation est facilitée par les nouvelles technologies utilisées par les fonds de pensions. Ceux-ci font pression sur les entreprises via les marchés financiers et dirigent l’épargne vers la spéculation plutôt que vers les projets industriels ou de développement. Le salarié américain qui s’appuie sur la capitalisation pour financer sa retraite, est indirectement et sans en avoir conscience, une des causes de cette dérive. Voulant légitimement améliorer sa retraite, il recherche le fonds de pension le plus performant, c’est-à-dire celui qui exige des entreprises la plus grande rentabilité. Voilà comment des travailleurs participent à la destruction de la valeur travail.
R&N : Le travail est-il devenu une idole ?
JOSEPH THOUVENEL : Tout dépend de ce que l’on entend par travail. Pour le social-chrétien travailler, c’est participer à l’œuvre commune ; par mon travail je me réalise, j’effectue un acte social, je travaille avec les autres et pour les autres, j’acquiers mon indépendance.
Je suis co-créateur, c’est-à-dire que je participe à l’œuvre de la création voulue par Dieu, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas rien.
C’est quand le travail est dénaturé qu’il devient une idole. Quand il fait perdre le sens des priorités, quand est oublié ou nié le repos du 7e jour, ce que le compendium de la doctrine sociale de l’Église qualifie de « sommet de l’enseignement biblique sur le travail ».
Cette coupure dans l’enchaînement production, consommation, libère l’Homme des enfermements que peut générer le travail humain, elle lui permet de s’accomplir pleinement.
Quand le consumérisme omnipotent tue le repos dominical, c’est l’adoration du veau d’or qui ressurgit.
R&N : Peut-on imaginer un équilibre entre le capital et le travail ?
JOSEPH THOUVENEL : Il ne faut pas l’imaginer mais le bâtir. Equilibre ne voulant pas dire mettre sur le même pied.
Le travail, parce qu’il est une prérogative humaine, est bien supérieur au capital ; sans travail et sans travailleur le capital n’est rien. Pour vous en convaincre, déposez un billet de 10€ devant vous et attendez ; il ne se passera rien. Sans activité humaine, le capital n’est d’aucune utilité. Le bon équilibre, c’est de remettre le capital à sa place, celle d’une ressource au service des Hommes.
R&N : Est-ce envisageable de penser le rapport Capital/Travail sans la perspective du bien commun ?
JOSEPH THOUVENEL : L’on peut tout envisager, même les systèmes les plus destructeurs comme le capitalisme sans régulation ou le communisme. Dans les deux cas, c’est une vision matérialiste de l’Homme et de la société qui l’emporte, c’est-à-dire une vision tronquée de notre humanité et de la société.
Le bien commun exige le respect et la promotion intégrale de la personne et de ses droits fondamentaux qui n’est pas la somme des intérêts particuliers de chacun, mais est l’affirmation de la dimension sociale individuelle et collective du bien moral.
Peut-on bâtir une cité d’harmonie, de paix et de justice sans que nos choix de société soient pesés à l’aune du bien commun ? L’histoire nous montre que plus on s’éloigne de cet objectif, plus tyrannie et barbarie progressent.
R&N : Quelles sont les propositions concrètes du syndicat que vous dirigiez (la CFTC) sur la question du rapport Capital/Travail ?
JOSEPH THOUVENEL : D’abord je n’ai pas dirigé la CFTC, je suis l’un des dirigeants du moment de cette honorable dame de plus de 100 ans. Je ferais deux propositions.
La première, et elle est centrale, est d’associer réellement dans les entreprises les représentants du capital et ceux du travail. C’est-à-dire d’associer, à parité, salariés et actionnaires dans les conseils d’administration et de surveillance. Il ne s’agit pas d’autogestion, mais de cogestion.
En quoi est-il choquant d’unir représentants des salariés et des actionnaires pour réfléchir et bâtir l’avenir commun au sein de l’entreprise ?
Si l’actionnaire a tendance à insister sur la rentabilité et le retour sur investissement, le salarié lui, porte une vision plus pérenne de son outil de travail. Cet équilibre me semble dès lors plus positif.
Un grand patron social, Léon Harmel l’avait compris dès le XIXe siècle. Il entreprit de faire de son usine une communauté de travail en faisant participer les salariés à la direction de l’entreprise. Ce seront les conseils d’usine, composés d’ouvriers élus. Cela ne nuira pas à la compétitivité de l’entreprise, bien au contraire.
Aujourd’hui en Allemagne, dans les entreprises de plus de 3000 salariés, la moitié du conseil d’administration ou de surveillance est composée de syndicalistes ; un tiers pour les entreprises de plus de 300 salariés ; l’industrie allemande est-elle moins performante que l’industrie française ?
La seconde proposition est essentielle dans le cadre de la mondialisation. Puisque le terrain de jeux est planétaire, les règles du jeu doivent être harmonisées pour l’ensemble des pays notamment en matière fiscale.
Aujourd’hui, une entreprise liée au territoire national subit une pression fiscale beaucoup plus importante que celle qui surfe sur les réglementations nationales.
Quand Apple, du fait de son siège installé en Irlande, ne payait que 0,005% d’impôt sur les bénéfices jusqu’à une date récente, la compétition était-elle juste ?
Et, je n’ose évoquer le cas chinois avec des entreprises qui ignorent ce que social veut dire, tout en se gavant des subventions d’Etat, ce qui est interdit par Bruxelles dans nos contrées.
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