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Joëlle Garriaud-Maylam : « L’action diplomatique pour favoriser le maintien des Chrétiens d’Orient sur leurs terres est peu tangible »

Joëlle Garriaud-Maylam est Sénateur représentant les Français établis hors de France. Elle a bien voulu répondre aux questions du Rouge & le Noir.

R&N : Quel est le rôle d’un sénateur représentant les Français établis hors de France ? En quoi se distingue-t-il de celui des autres sénateurs ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Un sénateur représentant les Français établis hors de France est avant tout l’un des 348 sénateurs de la République. En cela, comme ses pairs, il vote et amende la loi et contrôle l’action du gouvernement. En cela, même s’il représente les Français de l’étranger, il a le devoir de s’intéresser aux dossiers nationaux autant que les autres sénateurs. Notre spécificité de représentants des Français établis hors de France est d’abord visible dans notre quotidien : impossible de faire chaque semaine un aller-retour en circonscription... d’autant que, contrairement aux députés qui représentent une zone géographique bien délimitée, les sénateurs des Français de l’étranger représentent nos concitoyens vivant sur tous les continents. Nous avons donc un équilibre subtil à trouver entre l’implication dans le travail parlementaire à Paris et les nécessaires déplacements en circonscription. Ces derniers permettent de connaître les besoins locaux — notamment par l’intermédiaire des élus locaux, les conseillers et délégués consulaires — et de permettre qu’ils soient pris en compte par les autorités françaises. Mais ils peuvent aussi — et, en tant que membre de la commission des affaires étrangères, j’y tiens beaucoup — contribuer à la diplomatie parlementaire, de par les rencontres formelles et informelles avec les autorités locales. Enfin, je dois dire que les progrès des technologies de l’information sont une véritable aubaine dans l’exercice du mandat des élus des Français de l’étranger.

R&N : Les Français établis hors de France ne sont plus assujettis à l’impôt en France. Est-il justifié qu’ils participent, par le truchement de représentants élus au Parlement, — et même en cas d’absence prolongée, — à l’élaboration de la loi et notamment de la loi de finances ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Il est inexact d’écrire que les Français de l’étranger ne paient plus d’impôts en France, puisqu’ils continuent à s’en acquitter sur tous leurs revenus de source française. Par ailleurs, ce lien entre impôt et droits civiques me semble assez dangereux — voulons-nous un retour au suffrage censitaire ? La France a été un pays pionnier dans l’octroi de droits civiques à ses expatriés et de nombreuses nations nous ont ensuite emboîté le pas, dont certaines tout récemment, dans les années 2000. Dans un monde de plus en plus mobile, il est essentiel de préserver le lien entre une Nation et ses expatriés, d’autant que nombre d’entre eux continuent à chérir leurs racines et reviennent un jour dans l’hexagone. Les expatriés sont nos meilleurs ambassadeurs dans le monde, tant sur le plan économique que culturel. Par ailleurs, le regard qu’ils portent sur nos institutions et notre fonctionnement politique, de par son décentrement, peut être particulièrement précieux pour la France.

R&N : Quel regard avez-vous personnellement porté sur le résultat du référendum britannique sur le Brexit ? Et sur l’opportunité d’y recourir ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Ancienne élue des Français du Royaume-Uni et d’Irlande, j’ai suivi avec beaucoup d’attention la campagne. Je suis par ailleurs membre du groupe de travail du Sénat sur le suivi des conséquences du Brexit. Cette consultation comportait un risque énorme et l’Europe a hélas été la victime collatérale du mécontentement populaire. Au passage, cette élection montre l’importance de la citoyenneté des expatriés : seul un million de voix a scellé le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne… et l’issue du scrutin aurait sans doute été différente si les Européens résidant en Grande-Bretagne et les Britanniques installés dans des pays tiers de l’Union européenne, tous concernés en premier chef par la défense des acquis communautaires, avaient été autorisés à voter. Cela étant, il n’est plus temps de se morfondre sur le résultat. Il faut d’urgence anticiper et pallier les conséquences du Brexit pour les citoyens, les entreprises et l’Europe.

R&N : La France est-elle à l’abri d’un mouvement identique au Brexit ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Nul pays n’est à l’abri du populisme et du repli nationaliste. L’élection surprise de Donald Trump aux États-Unis en est une preuve supplémentaire. L’Europe prête facilement le flan à la critique avec ses institutions technocratiques, son opacité, sa tendance à se mêler de dossiers « locaux » et sa difficulté à s’entendre sur les vrais sujets. Nous n’avons pas tiré toutes les leçons du « non » français de 2005 à la Constitution européenne. Si nous ne voulons pas que les Français se détournent durablement du magnifique projet de paix et de liberté qu’a incarné l’Union européenne à ses débuts, il faut d’urgence la réformer.

R&N : Vous rencontrez régulièrement lors de vos déplacement des élus et des diplomates étrangers. De fait, un sénateur représentant les Français établis hors de France a-t-il une certaine importance diplomatique ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Effectivement, lors de tous mes déplacements, qu’il s’agisse de rencontrer les Français de l’étranger ou de participer aux travaux d’organisations internationales ou à des colloques, je veille toujours à favoriser le contact avec mes homologues étrangers ou avec des membres du gouvernement. Mais moins en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France — il est essentiel de respecter la souveraineté des États étrangers et à ce titre nous nous contentons de représenter les Français du pays, sans prétendre nous immiscer dans la politique locale — qu’en tant que membre de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense, ou bien au titre de mon mandat de représentante du Sénat à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Sans aller jusqu’à évoquer une « importance diplomatique », je dirais que nous contribuons, modestement et discrètement, à la richesse et à la diversité de notre écosystème diplomatique.

R&N : Vous étiez présente à Rome le 16 octobre dernier pour la canonisation de sept saints dont deux Français. Pourquoi avoir choisi de vous y rendre ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Le Pape a une véritable importance géopolitique et je tenais à utiliser cette occasion pour l’alerter sur la situation en Haïti — qui venait d’être frappée par une nouvelle catastrophe naturelle — et la nécessité qu’il y programme un déplacement. Par ailleurs, en tant que fondatrice du Prix du Rayonnement français, je suis particulièrement attentive à la mise en valeur à l’international des parcours de Français « modèles ». Très attachée a la laïcité, je suis néanmoins convaincue que notre monde a, plus que jamais, besoin de repères spirituels et moraux pour relever les défis de notre temps et le Pape François est l’un des tout premiers d’entre eux.

R&N : De manière plus générale, que pensez-vous de l’état des relations entre le Saint Siège et les différents représentants de la France ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Je salue la nomination récente d’un Ambassadeur auprès du Saint-Siège, qui me semble en mesure de clore l’inutile récent épisode de tensions.

R&N : Votre engagement en faveur des chrétiens d’Orient est-il entendu par le gouvernement français actuel ? Pensez-vous que l’arrivée d’un gouvernement de droite en 2017 fasse évoluer la situation ?

Joëlle Garriaud-Maylam : Force est de constater que le gouvernement français actuel n’a pas démontré de réel empressement à venir en aide aux Chrétiens d’Orient, malgré l’appel parlementaire que j’avais lancé en 2014. L’asile aux réfugiés chrétiens demeure accordé au compte-goutte. Et l’action diplomatique pour favoriser le maintien des Chrétiens d’Orient sur leurs terres est peu tangible. Anecdote révélatrice : en réponse à ma question écrite appelant la France à s’engager pour que la Cour Pénale Internationale soit saisie des crimes perpétrés par Daech en Irak et en Syrie, notamment à l’encontre des minorités chrétiennes, Laurent Fabius a suggéré une saisine de la CPI... contre Bachar Al Assad ! Une manière de répondre à côté révélatrice — hélas — du faible niveau de priorité accordé à ce dossier. Un gouvernement de droite — et François Fillon a déjà évoqué la question au cours de sa campagne — aurait forcément un positionnement différent.

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