L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Cet entretien est divisé en trois parties :
R&N : Vous avez préfacé la réédition de plusieurs de ses ouvrages et publié dans la Revue Thomiste un long article sur son engagement politique. Vous participez par ailleurs à la publication de ses œuvres complètes aux Éditions J. Vrin. Comment et pourquoi vous êtes-vous intéressé à Étienne Gilson ?
Fr. Thierry-Dominique Humbrecht : C’est assez ancien mais ce n’est pas par lui que j’ai découvert saint Thomas. Je crois avoir manqué, lorsque j’étais en terminale, une occasion initiale de le découvrir : un prêtre me le conseillait mais ça ne me disait rien, et je ne l’ai pas lu à l’époque. Erreur. J’ai tâtonné dans certains traités de morale dans la Somme de théologie. C’est après plusieurs années d’études de philosophie et de saint Thomas que, étant par la suite devenu jeune dominicain, j’ai, dans la bibliothèque du couvent, fini par me rendre compte que Gilson existait et qu’il avait traité de sujets importants que je n’avais pas suffisamment abordés, la métaphysique surtout. C’est donc un peu sur le tas et sur le tard, que j’ai rencontré Gilson, avec la surprise inquiète d’avoir manqué quelque chose. À force de découvrir ses œuvres, j’ai compris son importance. Ce qui m’a été alors confirmé par le témoignage de telle ou telle personne et m’a conforté.
Petit à petit, Gilson est devenu, dans les matières qui me sont proches et qui tournent autour de la métaphysique, comme un maître. Il n’y en a pas beaucoup et j’en cherchais justement un qui fût capable de parler de saint Thomas de manière exceptionnelle sur ces sujets-là. Cette espèce de mélange chez Gilson de précision historique, de vigueur spéculative, de largeur de vues, de santé intellectuelle en somme, avec un style très français, précis et insolent, me transportait. Je me suis aperçu par la suite qu’il ne s’usait pas à être relu, ce que d’autres auteurs subissent sans le vouloir. Il ne se démode pas et l’on y trouve toujours quelque chose. Par exemple, lorsque j’ai enfin lu entier, beaucoup plus tard, L’esprit de la philosophie médiévale le crayon à la main, j’ai eu une impression de sevrage : j’étais non seulement instruit et très heureux d’avoir tout lu tranquillement d’un coup, mais aussi nourri. Alors que du point de vue de la matière, je n’y allais plus pour apprendre grand-chose, il y a eu cet effet nourrissant. Je ne le dirai pas de tous les autres auteurs. C’est donc un maître dans lequel je me suis assez vite retrouvé, avec lequel j’ai persévéré à cause des matières qui sont les miennes, et qui désormais m’accompagne. Il me guide, sans m’empêcher de marcher de côté. Ce n’est pas s’abaisser que de reconnaître la grandeur des autres, et l’admiration est une des plus hautes formes de l’amour, me semble-t-il.
Un autre point important est que Gilson est par surcroît un des seuls passeurs, de mon point de vue en tout cas, grâce auquel on peut faire entrer (je ne dis pas imposer) saint Thomas à l’Université en philosophie.
R&N : Vous pensez donc que Gilson est encore étudié en philosophie à l’Université ?
Fr. Humbrecht : Je ne dis pas qu’il y est étudié, je dis que lorsqu’il l’est, il rend Thomas convaincant. Il a lui-même un pedigree universitaire impeccable, une sorte de grand chelem, sauf curieusement Normale Sup qu’il n’a pas tentée, ce qui est assez inexplicable. Florian Michel (le biographe de Gilson) et moi n’avons pas compris pourquoi il n’avait pas fait de classes préparatoires puis Normale Sup, ce qui concordait très bien avec ses talents en français, en langues, en philosophie et en histoire, ainsi qu’avec sa tradition républicaine… Mais passons.
L’ombre de son autorité plane sur les médiévistes. Il a une réputation que n’a pas de la même façon Maritain, qui n’est pas accepté par l’université parce qu’il n’a pas accepté de suivre ce parcours. Si l’on veut parler de Thomas d’Aquin en philosophie (en théologie, c’est un peu différent) à des étudiants ou à des jeunes universitaires qui n’ont pas eu l’occasion de le rencontrer, Gilson est, je crois, en tête de liste pour éblouir et le faire passer. Gilson est donc devenu pour moi, à ce second degré-là aussi, ce que l’on pourrait appeler une cause apostolique, universitairement militante. Et je m’aperçois, avec les colloques et publications qui entourent le 40e anniversaire de sa mort (1978-2018), que Gilson exerce encore une autorité auprès des lecteurs. Malgré tout, on peut espérer que sa figure un peu oubliée soit désormais mieux connue.
R&N : C’est un peu paradoxal. Vous dites que Gilson a eu un parcours universitaire éclatant, que ce soit en France ou en Amérique du Nord. Il est présenté comme un monument en philosophie médiévale, mais en-dehors de ses ouvrages, il n’a pas réussi à transmettre. Il a eu des élèves mais très peu de disciples tandis que Maritain en a peut-être eu plus. D’un autre coté, il est tout de même critiqué par les médiévistes actuels : Alain de Libera, par exemple, conteste son approche de la philosophie médiévale. Un autre aspect enfin qui me surprend est que la publication des œuvres complètes de Maritain a commencée dans les années 80 et s’est terminée dans les années 2000. Alors que pour Gilson, l’entreprise vient seulement de commencer.
Fr. Humbrecht : Concernant leurs disciples, Maritain et Gilson furent probablement à part égale aux États-Unis et au Canada mais c’est désormais plutôt ténu. Maritain avait une sorte de famille qui a perduré plus longtemps, et quelques-uns en France et en Suisse ont pu en effet s’occuper de ses œuvres complètes à temps, parce qu’il avait peut-être aussi une filiation spirituelle au moins autant qu’intellectuelle, et qu’il y avait d’une certaine façon deux raisons de s’attacher à lui. On ne peut pas dire en revanche que Gilson ait eu une filiation spirituelle, au sens mystique du terme. Et il n’y a eu personne pour s’occuper de ses œuvres complètes jusqu’à maintenant. Mais l’un et l’autre ont pâti des années 60 jusqu’à 2000, c’est-à-dire d’abord du triomphe du marxisme, qui a détourné tout le monde de la philosophie chrétienne dans un premier temps mais aussi du structuralisme, des modes intellectuelles, de la perte du thomisme en général et des références chrétiennes.
Gilson apparaît aujourd’hui comme trop catholique pour l’Université, comme trop intellectuel pour l’Église, et comme trop thomiste pour les deux. Comme on ne veut plus guère de saint Thomas (mais la situation commence à s’améliorer), ceux qui s’occupent de lui ne sont pas considérés comme intéressants. Mais si Gilson a été mis en sommeil, son œuvre (au moins l’essentiel) a toujours été publiée et rééditée, chez Vrin, qui est pourtant un éditeur spécialisé et élitiste. Certaines de ses petites œuvres qui ne l’étaient plus ont été rééditées récemment. Les grandes œuvres ont continué à l’être sans discontinuer, L’être et l’essence, Le thomisme, etc., et elles continuent à être étudiées, mais sans revendication particulière. Bien des universitaires savent que l’on trouve chez lui du sérieux, et j’ai rencontré naguère, ce qui m’avait frappé à l’époque, des universitaires, ni chrétiens ni thomistes, peu versés dans ces choses-là, qui, si un jour leur métier les obligeait à s’occuper de Thomas, lisaient Gilson, parce qu’ils savaient que c’était ce par quoi il fallait commencer.
R&N : On a l’impression que Gilson (et le thomisme en général) n’a pas réussi à prendre le virage des années 60 et qu’il se concentre ensuite sur des ouvrages plus rétrospectifs.
Fr. Humbrecht : Il y a eu une sorte d’éclipse quant à sa personne, bien sûr, mais il ne faut pas oublier qu’en 1964 Gilson a 80 ans. Maritain a deux ans de plus. Gilson a pris sa retraite en 1950 et il meurt en 1978, c’est un vieux monsieur qui continue à publier de grandes œuvres savantes, mais dont l’impact public est réduit, à une époque où en plus ces voix-là ne sont plus écoutées. Il n’a semble-t-il jamais eu, d’après Florian Michel, de fibre médiatique, mais en toute hypothèse, il est trop âgé lors des événements des années 60-70 pour intervenir comme auparavant. Il a longtemps publié dans le Monde mais il ne serait pas passé à la télévision. C’est un homme de l’écrit, un homme âgé et un homme d’une autre époque, qui a traversé les deux guerres mondiales. Dans les années 60, à une époque où l’étoile de la philosophie chrétienne pâlit, il n’a pas de quoi ressurgir publiquement autrement qu’en publiant la 6e édition du Thomisme en 1965 ainsi que d’autres grands livres ou bien petits et pertinents, mais pas comme l’acteur qu’il aurait été comme professeur. Il est déjà à la retraite depuis quinze ans, ce qui crée un éloignement.
Il aurait fallu à ce moment-là des disciples ou des élèves. En philosophie, sous le rapport du thomisme, en France, pour revenir à votre question précédente, il n’en a jamais vraiment eu, en tout cas pas à l’université, parce que son principal élève, Henri Gouhier, a été plus franchement historien de la philosophie du XVIIe siècle. Paul Vignaux a été sa vraie succession, il est le chaînon manquant vers les Médiévistes contemporains. Mais il a fait l’inverse : Gilson a théologisé la philosophie, Vignaux a fait le contraire. De plus, il a évolué vers les catholiques de gauche et a été très impliqué dans l’évolution de la CFDT. C’est vraiment une autre génération qui a voulu, car il y a de cela aussi, rompre avec l’enracinement trop catholique romain de Gilson.
Nombre de médiévistes sont des successeurs respectueux mais quelque peu inversés de Gilson. L’ombre de Gilson est tellement écrasante, que si les médiévistes veulent trouver des voies, ils sont un peu tenus, ou bien de poursuivre certaines des intuitions que l’on trouve en fait chez Gilson (la translatio studiorum, le déplacement des centres d’études dans l’Europe est une idée de Gilson par exemple) ou bien d’inverser la vapeur, ou d’obliquer. Dans une période plus sécularisée, comme les plus jeunes l’ont traversée, peut-être plus distante par rapport à la catholicité romaine aussi, ils préfèrent laïciser Gilson. Il a théologisé la philosophie, ils vont rendre à la philosophie son autonomie, vraiment philosophante. Ils sont plutôt des gilsoniens anti-gilsoniens : la plupart de nos médiévistes le connaissent à fond. Gilson est le maître avec lequel ils ont une relation complexe mais incontestable. En outre, un universitaire n’aime pas sembler suivre un seul maître, quel qu’il soit, ce qui est légitime. Gilson lui-même en eût été offusqué.
R&N : Vous dites que Gilson est trop catholique pour l’université, trop intellectuel pour l’Église et trop thomiste pour les deux. Y-a-t-il un renouveau gilsonien dans certains milieux catholiques ? Je pense par exemple aux dominicains de la province de Toulouse, qui reste un bastion vivant du thomisme.
Fr. Humbrecht : La province de Toulouse est vivante mais n’est pas un bastion, loin de là, mais il y a une volonté de fidélité à saint Thomas dans nos études et dans nos productions. Gilson fait partie des personnages respectés, mais les frères qui parmi nous sont adonnés aux études sont plus théologiens que philosophes. Peu enseignent la philosophie chez nous, par la force des choses, parce qu’ils se sont plus spontanément tournés vers la théologie… Je passe un peu là-bas pour le gilsonien forcené, et tout le monde s’en amuse, mais tous sont sympathisants parce qu’ils savent que c’est de son côté qu’il faut aller, même si n’est pas leur domaine d’étude : s’ils sont spécialistes du Christ ou de la Trinité, Gilson reste tout de même loin. Maritain sera revendiqué aussi en philosophie. Les frères qui enseignent saint Thomas et sont plus tournés vers la philosophie sont volontiers gilsoniens. Je pense qu’il nous manque encore par ailleurs, et pour des raisons tout à fait accidentelles, suffisamment de philosophes de métier.
Mais il n’y a pas tant de milieux que cela qui s’intéressent à Gilson, peut-être parce qu’il faudrait d’abord tout simplement s’intéresser à la philosophie en la poussant un peu. Grâces soient rendues à l’abbaye de Fontgombault, dont un moine mène ce travail austère et magnifique de traduire le Gilson anglais, qui permet de découvrir une partie importante de son œuvre. Ensuite, ce sont des individus, et j’espère les voir se constituer en réseau. Nous sommes, je crois, au seuil d’une relance : Il y a ces traductions, les réimpressions, les œuvres complètes sont en route depuis quelques années de manière sérieuse et les premiers volumes devraient bientôt paraître (début 2019).
Il y a tout de même eu plusieurs manifestations autour du 40e anniversaire de la mort de Gilson, (au Collège de France, à la Sorbonne/EPHE, une autre à Lyon devant un important public de jeunes). Elles ont cette année fait ma joie. Le but serait de susciter des vocations, qu’il y ait une découverte chez des étudiants, ou de Gilson parce qu’ils sont déjà dans Thomas, ou de Thomas par Gilson (j’en connais quelques-uns) ; ou bien, dans le milieu ecclésiastique, de revenir à Thomas par ce biais, dans les séminaires ou les monastères, chez des religieux, chez des jeunes prêtres. Lorsque des personnes qui voudraient s’approcher de saint Thomas me demandent comment faire quand on est tout seul, je réponds que je ne connais pas de maître vivant, mais que j’en connais un mort qui se porte très bien.
R&N : Le thomisme dans les publications est moins visible que d’autres courants ecclésiaux. Pourquoi ?
Fr. Humbrecht : Il y a d’un coté le problème des moyens, éditoriaux notamment, qui sont malheureusement faibles. Sur la différence de traitement entre les écoles, c’est évident aussi, le thomisme est quand même marginalisé dans l’institution concrète de l’Église aujourd’hui, c’est-à-dire dans les institutions qui lisent des livres. Ce n’est pas une nouveauté. On en paie le prix, on le sait. En même temps, on sait aussi que la plupart des forces vives de l’Église qui recrute et de l’Église qui forme les futurs théologiens sont plutôt de ce côté. On s’en aperçoit dans nos colloques : y vient une jeunesse ecclésiastique absente d’autres colloques, et c’est peu connu. Se produit à moyen terme un renversement de perspective dont les gens ne sont guère conscients, un peu comme il y a vingt ans personne ne voyait venir le changement de ce que sont les jeunes prêtres aujourd’hui. Mais il y en a qui n’ont pas la possibilité d’étudier sérieusement saint Thomas au séminaire : il sera abordé tout de même, mais noyé parmi d’autres. Le prendre comme auteur préférentiel voire principal, comme un maître pour les grands traités, ou bien comme sujet de thèse ou de mémoire, c’est une chose qui ne se fait pas. La chose reste délicate, et reste encore plus délicat le droit de le dire. C’est très intéressant.
R&N : Vous parlez beaucoup de Gilson par et pour saint Thomas, mais la plus grosse partie de son œuvre n’est pourtant pas thomiste.
Fr. Humbrecht : C’est une bonne remarque. En effet, il n’est pas d’abord thomiste, ni chronologiquement, ni quant à l’essentiel de ses œuvres. Il fut d’abord un généraliste en philosophie médiévale et c’est de l’intérieur qu’il a découvert saint Thomas. Je le trouve précieux pour Thomas car il en est l’un de ses meilleurs ambassadeurs, mais ce serait injuste envers lui que de le réduire à sa figure thomiste. C’est vrai et il faut le dire, car il est aussi très bon pour les Médiévaux en général, même pour des auteurs qui ne sont pas médiévaux. Que des études historiques, quatre-vingt ans après, soient toujours actuelles, montre l’excellence du personnage, même si, sur tel ou tel point, les études cartésiennes par exemple, ont évolué. C’est normal. Mais si un jeune universitaire veut acquérir du galon et se faire une carrière, il commencera volontiers sa conférence un jour de colloque en disant « Sur cette question, nous avons le témoignage d’Étienne Gilson, je le cite, mais moi je vais vous prouver le contraire ». C’est s’asseoir nain sur les épaules d’un géant, c’est de bonne guerre, et si l’impétrant le critique, il n’empêche que c’est lui qu’il a cité. Mais en effet, Gilson n’est pas d’abord ni exclusivement thomiste, mais c’est un médiéviste et aussi, outre ses études sur Descartes, un philosophe tout court à partir au moins de L’être et l’essence en 1948, lorsqu’il a fait une grande relecture de la métaphysique occidentale, à la manière de Heidegger, d’une manière assez parallèle, pour aboutir à l’idée que tous ont étudié l’être et que tous l’ont manqué, au profit de la saisie et de la maîtrise des seules essences, c’est-à-dire de ce que l’esprit pouvait maîtriser de l’être, sauf Thomas. L’exception thomasienne est la différence de Gilson avec Heidegger. De ce point de vue, il se fait vrai philosophe, c’est ce qui a été noté à l’époque : il s’est imposé avec L’être et l’essence comme un philosophe et plus seulement comme un historien. Il n’était pas un thomiste natif et il ne l’était pas exclusivement non plus, c’est aussi ce qui lui donne une certaine largeur de vues et fait qu’il est mieux accepté que Maritain. Gilson n’est pas thomiste d’appartenance corporatiste, ecclésiale, encore moins ecclésiastique, il l’est par découverte de son excellence et il peut le faire par confrontation avec d’autres philosophes qu’il maîtrise tout aussi bien.
R&N : Que conseilleriez-vous comme œuvre de Gilson à quelqu’un qui ne le connaît pas encore ?
Fr. Humbrecht : Tout dépend par quel bout ce commençant se présente. Est-ce par saint Thomas lui-même ? S’il veut étudier Thomas en philosophie, qu’il est très bon et déjà instruit, de sorte qu’il n’apprendrait pas les rudiments de la philosophie par ce biais, Le thomisme lui irait très bien, ce serait l’ouvrage à lire. En revanche, c’est tout de même un ouvrage serré pour quelqu’un d’un peu plus jeune ou de moins formé, donc peut-être un peu difficile. À ce moment-là, L’introduction à la philosophie chrétienne serait préférable. Pour quelqu’un de plus avancé, qui serait en licence de philosophie et qui aime ça, qui veut enfin faire quelque chose de profond parce qu’il s’aperçoit que ce n’est pas ce qu’on lui a donné jusqu’à présent, Le Thomisme, L’Être et l’essence, et L’esprit de la philosophie médiévale sont les trois grandes œuvres, la colonne vertébrale qui lui permettrait vraiment de se former, de se nourrir et de s’instruire tout à la fois. Le philosophe et la théologie est facile à lire mais suppose, pour le trouver jaillissant, que l’on soit déjà dedans et que l’on ait le désir d’y revenir ; c’est aussi autobiographique et l’on n’a pas forcément envie de savoir quel professeur il a eu si on ne le connaît pas par ailleurs.
Pour un philosophe qui arriverait par un autre biais, celui de de la philosophie médiévale, en étant presque prévenu contre une préférence exagérée à l’égard de Thomas d’Aquin, et s’il a envie d’en découdre avec un médiéviste et veut qu’on lui montre qu’il est possible d’être catholique et intelligent, alors pourquoi pas les Saint Bonaventure, Jean Duns Scot ou Dante. Le Saint Augustin de Gilson est toujours cité en bonne part, même si l’on traiterait maintenant de certains points différemment. Il reste une référence et un grand livre.
Pour des gens qui afficheraient une sorte de distance par rapport à Thomas, très bien, qu’ils viennent par d’autres auteurs, ce n’est pas un problème. J’imagine qu’un spécialiste de Descartes ne commencera pas par la thèse de Gilson, il y en a de plus actuelles, mais il y viendra par la suite. Un lubacien peut venir à Gilson par leur correspondance mutuelle. La correspondance avec Maritain supposerait en revanche que l’on baigne déjà un peu dans le jus thomiste. Pour quiconque viendrait du monde ecclésiastique ou monastique, alors pourquoi pas son Saint Bernard, qui est quand même philosophique (il y a chez Bernard beaucoup de néo-platonisme) mais qui reste, tel quel, un beau livre spirituel, de par les matières même qu’il aborde ; pour quelqu’un qui commencerait par ce biais-là, c’est un livre élevant. Pourquoi pas aussi le petit Héloïse et Abélard tant qu’on y est ? C’est une sorte de roman de cape et d’épée médiéval…
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