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R&N : Alexandre Latsa bonjour, vous êtes parti vivre en Russie en 2008. Pourquoi avoir quitté la France ?
A. Latsa : Je suis parti vivre en Russie pour un ensemble de raisons, avant tout personnelles et professionnelles. On pourrait citer l’opportunité de m’y installer, la volonté de rejoindre un marché en croissance ou plus simplement la nécessité morale de fuir la France occupée, comme du reste l’illustre général De Gaulle l’avait fait bien avant moi.
Ces choix personnels sont ceux d’un français trentenaire moyen patriote pour qui la vie au Poutinistan de 2014 est bien plus cohérente et logique que celle au sein de la France d’aujourd’hui, défigurée par quarante ans de destruction organisée comme vient de parfaitement le synthétiser Éric Zemmour dans son dernier ouvrage. Et ce même si la vie en Russie présente des difficultés réelles pour un étranger, administratives ou climatiques par exemple.
Mon cas n’est pas unique et je ne suis qu’une statistique, partie d’une évolution sociologique de plus grande ampleur assez facile à vérifier si l’on étudie les chiffres de l’émigration française hors de France au cours de ces dernières années. Cette hémorragie qui ne fait que commencer d’après moi est due aux raisons que l’on connait tous : destruction organisée de l’économie et de l’État, dilution de la nation au sein du grand magma Bruxellois, anéantissement du vivre-ensemble par un remplacement de population et l’arrêt autoritaire de l’assimilation, mise en place d’un cadre sociétal totalement américanisé ayant permis la prise de pouvoir des minorités sur la majorité etc.
Ces processus ne sont pas hasardeux mais volontaires. La situation que nous connaissons résulte de choix politiques conscients fait par des élites politiques dont la médiocrité n’est égalée historiquement que par leur incompétence et leur lâcheté. La fin de la raison d’État, pour citer un de mes amis, aura probablement pour corolaire historique la fin de la France telle que nous la connaissons. A moins d’un miracle et qu’une Jeanne d’Arc 2.0 ne survienne de nouveau pour sauver notre nation.
R&N : Athée mais de culture catholique, vous vous êtes converti à l’orthodoxie. Pouvez-vous nous expliquer votre cheminement spirituel ?
A. Latsa : Oui il est fondé sur un axiome simple que Benoît XVI a parfaitement résumé « La rationalité est l’amie de Dieu ». Mon rejet personnel et instinctif de la décadence environnante que je qualifie de moderno-consumériste (au cœur du processus d’occidentisme totalitaire de la France des années 90) ne s’est pas traduit chez moi par une conversion à l’Islam et un engagement militaire au sud de la Méditerranée mais plutôt par un attrait vers les antimodernes européens, les Serbes d’abord, puis logiquement les Russes ensuite, et donc, au centre spirituel de ces territoires, l’orthodoxie.
R&N : Quel est le regard porté par les Russes sur l’Europe et l’Union Européenne ? La France est-elle en train de sacrifier ses relations avec la Russie pour des intérêts qui ne la concernent pas ?
A. Latsa : Il ne fait aucun doute que l’avenir de l’humanité ne se jouera pas à Paris ou Berlin et surtout pas tant que ces pays, comme 26 autres, seront écrasés dans la matrice bruxelloise.
Par ailleurs, le grand basculement du monde vers l’Asie est quasiment inévitable (pour des raisons démographiques, politiques, économiques, morales…) et à ce titre, la question de l’orientation Ouest ou Est pour la France et les nations Européennes est bien plus fondamentale que nos médiocres élites, nos analystes de pacotille et autres journalistes vendus ne veulent bien l’expliquer. Soit, peut être, qu’ils ne puissent tout simplement le comprendre, soient qu’ils soient payés pour ne pas le faire.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que si Bruxelles tend à pousser les nations européennes vers l’Ouest et l’Occident en décomposition morale, politique et économique, la réalpolitique et le bon pragmatisme voudrait qu’au contraire ces mêmes nations se tournent vers l’Est. Une fois de plus Bruxelles et l’UE vont à l’encontre de l’histoire et des intérêts réels de l’Europe, de ses nations et de ses peuples.
Je note que si l’on devait envisager ce basculement fondamental vers Moscou, Shanghai ou New-Dehli, alors l’Europe ne survivrait pas sans la Russie car entre l’Europe et l’Asie existe un monde bien méconnu des Français et qui s‘appelle l’Eurasie. Cet espace russo-centré est du reste en train de se structurer (autour de Moscou) tant sur le plan politique qu’économique que sur un axe religieux très majoritairement orthodoxo-musulman.
Comme on peut parfaitement le comprendre, la Russie est le seul pont économique, civilisationnel et géographique de l’Europe vers l’Asie puisqu’elle est à la fois européenne et à la fois asiatique. D’un point de vue civilisationnel enfin, la Russie a, à elle seule, beaucoup à apporter à l’Europe et ses nations épuisées, et en premier lieu lui remémorer ce qu’elle devrait être puisque la Russie se doit selon le ministre de la culture russe de renforcer son statut de : « gardienne de la culture européenne, des valeurs chrétiennes et de la civilisation authentiquement européenne », valeurs mises à mal par l’occidentalisation et un certain athéisme totalitaire. La Russie est clairement un réservoir de valeurs et plausiblement en train d’émerger en tant que modèle pour une Europe malade.
R&N : Quel sont les impacts économiques et politiques des sanctions actuelles contre la Russie ? La France n’est-elle pas finalement celle qui a le plus à souffrir économiquement de la dégradation des relations avec la Russie ?
A. Latsa : Ce qui pénalise la Russie aujourd’hui est la baisse du cours du pétrole qui influe directement sur sa monnaie, le rouble. L’impact des sanctions est, lui, plutôt faible. Comme je l’ai récemment rappelé dans une conférence organisée au siège de l’UMP par la Droite Populaire, les russes ont rapidement remplacé les fournisseurs européens dans le domaine alimentaire en trouvant des solutions en Asie, en Amérique du sud, en Israël, en Turquie, en Égypte etc…
Si l’on devait passer à de nouvelles sanctions concernant les équipements industriels ou technologiques européens, alors ce serait provisoirement plus difficile pour la Russie mais des sociétés coréennes ou chinoises seraient sans aucun doute à moyen terme en mesure de remplacer le “Made In Germany”.
La France qui est un fournisseur de matériel sensible dans le domaine militaire ou aérospatial a en effet beaucoup à perdre. C’est également valable dans les domaines du luxe ou encore pour l’agriculture La vassalisation politique qui frappe notre pays, vassalisation a l’égard de l’Amérique, va sans doute énormément pénaliser la France et son économie dans les prochaines années. C’est le prix à payer pour avoir depuis des décennies d’aussi médiocres élites.
R&N : Poutine déclarait pourtant en octobre 2014 : "Certains disent aujourd’hui que la Russie tournerait le dos à l’Europe et rechercherait de nouveaux partenaires commerciaux, surtout en Asie. Permettez-moi de dire que ce n’est absolument pas le cas." Qu’en est-il vraiment ?
A. Latsa : La Russie reste froidement et pragmatiquement ouverte à toute coopération mais l’émotion affective pro-occidentale et surtout pro-européenne est, il me semble, passée. Les Russes viennent de nouveau de se rendre compte qu’ils sont encore et toujours sans alliés à l’ouest et que par conséquent face aux pressions de l’axe Washington-Bruxelles il leur fallait impérativement rééquilibrer leur politique extérieure et stratégique afin de ne pas rester économiquement dépendants d’un ensemble politique qui leur était politiquement hostile.
Le virage vers l’Est de la Russie n’est donc pas spécialement civilisationnel ou même rêvé par les russes mais reste un choix purement pragmatique et rationnel, plus économique du reste que civilisationnel. Mais ce faisant, la désoccidentalisation de la Russie devrait s’accélérer et par conséquent éloigner encore plus une Russie en pleine mutation d’une Union Européenne elle en pleine occidentalisation. La première se continentalise et s’eurasianise tandis que la seconde s’atlantise et s’occidentalise et ces deux tendances sont totalement contradictoires, il faut bien en être conscient.
Je pense que nous rentrons dans un moment historique assez unique dans l’histoire récente russe qui va voir la Russie cesser de systématiquement lier son destin avec l’Ouest au cours des prochaines décennies.
R&N : Poutine est-il, pour reprendre l’interrogation de Frédéric Pons, « un politicien cynique et brutal, assoiffé de pouvoir et d’argent, ou un patriote sincère, attaché à défendre les intérêts de son pays ? »
A. Latsa : On aurait surtout attendu de Fréderic Pons qu’il apporte la question à la réponse ou donne au moins son opinion.
Je pense que Vladimir Poutine n’est à la fois ni l’un ni l’autre et à la fois les deux en même temps. La gestion des affaires russes n’est pas du même calibre (du même calme) que la gestion des affaires suisses ou du Luxembourg. Ce pays a toujours été dirigé d’une main de fer et de façon autocratique, verticale et autoritaire.
Je crois que Poutine est une nouvelle variante de la gouvernance russe moderne, mélange de réformateur et de conservateur tout en essayant sincèrement de démocratiser dans les limites du possible la Russie. Quand je parle des limites du possible, je parle des limites que définissent par exemple la population, la taille du territoire ou les nombreuses difficultés systémiques propre à la Russie, climatiques, administratives, mentales etc.
R&N : Comment se prévoit l’après-Poutine ? Il n’a pas de successeur visible pour le moment et la pression des nationalistes d’un côté, des communistes de l’autre, sur Russie Unie semblent croissantes.
A. Latsa : Il y a en réalité de nombreuses personnalités qui ont émergé au côté du président au cours des dernières années. Des clans, des visages, des hommes. Cependant il est sans doute trop tôt pour désigner un visage. On peut imaginer que Vladimir Poutine rempile pour un dernier mandat de 2018 à 2024, mais en même temps 2018 est encore loin…
L’histoire jugera sans doute Vladimir Poutine également à sa capacité de faire effectuer une transition politique sage pour la Russie de demain, celle de l’après-Poutine,
R&N : Ce 4 décembre, Vladimir Poutine s’est adressé comme chaque année à l’Assemblée fédérale de Russie. "Une famille saine, les valeurs traditionnelles ancestrales, la stabilité comme condition du progrès, le respect des autres peuples et États, telles sont les priorités de la Russie" a-t-il déclaré, provoquant des remous dans les médias occidentaux. Que faut-il comprendre par "famille traditionnelle" ? Où en est la démographie russe que les médias occidentaux présentent comme déficitaire ?
A. Latsa : En Russie la famille traditionnelle est composée d’un homme et d’une femme. C’est la famille dite orthodoxe par opposition aux alliances et/ou sexualités qualifiées de non-orthodoxes. Cette famille traditionnelle est vue comme la pierre angulaire de la reconstruction humaine et sociétale russe. On a toujours du mal à comprendre ce qu’il y a de choquant en cela et pourquoi les journalistes français ne comprennent pas ce point de vue.
Cette mesure doit être envisagée dans le cadre historique récent qui est celui de la Russie, qui s’est vue traverser une crise humaine, morale, sanitaire et démographique totale au cours des années 90. La démographie russe va beaucoup mieux. Après le terrible effondrement de la période 1991-2005, au cours de laquelle la Russie a perdu entre 700 et 900.000 habitants par an, la situation s’est lentement améliorée sur la dernière décennie.
Le retour en force de l’État, les mesures de soutien à la natalité, la forte propagande pro-famille ont eu des résultats assez exceptionnels. Le nombre de naissances est passé de 1,2 millions à 1,9 millions en 2013 tandis que le nombre de décès est passé dans la même période de 2,3 millions à 1,85 millions. Depuis 2009 la population russe ne baisse plus et depuis 2012 elle augmente naturellement, le nombre de naissances ayant dépassé celui des décès. Le nombre d’avortements a quant à lui diminué de près de 60%.
Certes l’avenir sera difficile, car le manque de jeunes femmes en âge de procréer (pas nées entre 1995 et 2005) se fera sentir entre 2020 et 2035 mais la situation ne sera pas aussi catastrophique que nombre de soi-disant experts l’ont prévu bien loin de là.
Les lecteurs souhaitant se plonger dans les chiffres et en savoir plus peuvent se référer à cette analyse que j’ai écrite pour l’excellent site STRATPOL.
R&N : L’Église orthodoxe connaît un fort développement avec plus de 13 000 églises construites depuis la chute du communisme et des séminaires pleins. Y a-t-il un véritable renouveau spirituel de la Russie ou s’agit-il d’une instrumentalisation de l’Église par le pouvoir ? Comment expliquez-vous ce retour du religieux et du sacré en Russie, à inverse de l’Europe qui sombre actuellement dans un athéisme forcené ?
A. Latsa : De 2000 à 2014, le pouvoir russe a ouvert 25.000 églises et plus de 800 monastères. Le renouveau spirituel est authentique et profond et le pouvoir n’y échappe pas car la majorité des élites appartiennent charnellement au monde orthodoxe.
Ce renouveau spirituel me semble explicable tout d’abord car les élites politiques ne le freinent pas mais l’encouragent à l’inverse de ce qui se passe en France. Ensuite il me semble que le peuple russe est fondamentalement spirituel et par conséquent le communisme n’a pas réussi à détruire la foi orthodoxe.
Le retour du religieux est enfin utile pour le pouvoir politique russe afin de lui permettre de maitriser, structurer et encadrer une société russe en gros manque de repères après la chute du mur et l’anarchie libérale des années 90. Enfin le retour de la religion permet à l’État d’atteindre ses objectifs démographiques, enjeu stratégique fondamental dont les élites russes ont parfaitement conscience.
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