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R&N : Votre nom, Monsieur l’abbé, est souvent associé à votre conférence « Aimer en vérité », dont vous avez fait un livre il y a quelques mois. Pouvez-vous nous présenter la genèse de cette conférence ? Pourquoi et comment traiter de ce sujet de l’éducation à l’amour chez les jeunes ?
Abbé Grosjean : Tout a commencé il y a un peu plus de 10 ans par une conférence donnée de façon un peu improvisée lors d’un week end pour étudiants sur ce thème de l’amour. Elle fut enregistrée et mise par écrit. Ce papier a circulé sur internet… suscitant de nouvelles et nombreuses demandes d’intervention, pour les paroisses ou dans des lycées. Pendant ces 10 années de ministère auprès des jeunes en particulier, mes intuitions se sont affinées, ajustées… Elles ont mûri, nourries par l’expérience de l’accompagnement, de la confession, de la préparation au mariage. Le prêtre est à la croisée de multiples confidences, et s’il n’a pas lui même l’expérience de l’amour conjugal, il acquiert peu à peu une expérience réelle de ce que vivent les uns et les autres. L’Eglise a ainsi une véritable sagesse après 2000 ans d’expérience d’accompagnement : elle sait ce qu’est le cœur de l’homme et de la femme. Elle connaît l’être humain, dans ses grands désirs et ses fragilités.
Plusieurs m’encourageaient à mettre par écrit tout cela. J’ai enfin réussi à le faire et ce livre est sorti en avril dernier, aux éditions Artège. Son succès prouve qu’il y a une vraie attente chez beaucoup d’un discours franc et vrai, profondément positif, qui explique le message de l’Eglise sur l’amour, la sexualité, la vie affective en dépassant les caricatures qu’on en fait souvent, et en en montrant surtout toute la beauté.
Ce message n’est pas un carcan ni un simple code de la route. Si on le reçoit ainsi, comme une longue liste d’interdits, il sera pénible et ennuyeux, et cela ne tiendra pas. Ce message est d’abord au service de notre joie. L’exigence de l’Eglise est une exigence qui n’est pas écrasante mais encourageante. Elle parle à ce qu’il y a de meilleur dans le cœur de l’homme et de la femme. Cette exigence est toujours au service d’une joie vraie, elle nous fait grandir. Voilà ce qu’il faut rappeler, même aux catholiques, trop souvent découragés.
R&N : « Aimer en vérité » : on croit parfois connaître ce thème, qui demeure pourtant souvent tabou. Avez-vous vu le regard des catholiques (jeunes, groupes scouts, parents, responsables) évoluer sur cette question de l’amour vrai, au fil des conférences et depuis la publication de votre ouvrage ?
Abbé Grosjean : Je suis très touché des nombreux courriers que je reçois suite à la sortie de ce livre, et des réactions après les conférences : j’entends combien ont besoin d’être encouragés. Beaucoup en effet – à cause d’erreurs passées, ou de leurs faiblesses – finissent par se dire « c’est beau, mais c’est trop tard pour moi. » ou encore : « c’est beau, mais c’est trop dur, c’est impossible de nos jours, je suis le seul à y croire parmi mes amis… ». Quelle joie quand je vois des jeunes qui retrouvent l’audace et le courage de croire que ce chemin de l’amour vrai est possible, et qu’il est fait pour eux ! L’important au fond n’est pas de ne jamais être tombé, ni d’avoir aucune faiblesse. Qui n’a pas de combats dans ce domaine ? L’Eglise le sait, et elle parle pour nous, pauvres, tels que nous sommes ! L’important, c’est d’être vrai : savoir se connaître, se laisser encourager, se relever et ne jamais renoncer. Il n’est jamais trop tard pour apprendre à aimer. Comment ne pas évoquer ici les bienfaits de la confession et de l’accompagnement spirituel ? Comme prêtres, nous avons donné notre vie pour cela : non pour juger, ni condamner, mais pour encourager, relever et accompagner. C’est notre joie ! Le pardon de Dieu est aussi une guérison et une libération, dont beaucoup ont besoin sur ce chemin.
Beaucoup m’ont dit aussi combien ils avaient besoin que l’Eglise mette ainsi des mots sur ce qu’ils voulaient vivre, sans savoir toujours l’expliquer à leurs amis, parfois moqueurs ou qui ne comprenaient pas. Certains ont besoin ainsi d’être rassurés : ils ne sont pas les seuls à vouloir se garder, à vivre cet exigence de vérité dans les gestes et les paroles de l’amour. Non, ce n’est ni ringard ni impossible ! Oui, tu as raison d’y croire !
Enfin, je vois qu’au delà des catholiques, ce message suscite souvent de l’intérêt et même de l’enthousiasme parfois. Les jeunes sont abreuvés d’images, de conseils techniques sur la sexualité. Beaucoup ont tout fait, tout essayé… mais il manque quelque chose. Qu’on leur parle justement de la signification de ce don de soi, de sa finalité et de sa beauté. Qui d’autres que l’Eglise ose une parole sur ce sujet et propose une cohérence qui fait grandir ? Qui s’adresse à ces jeunes sans chercher à leur plaire, mais en les croyant capables du meilleur ? Au fond, c’est bien l’Eglise qui fait confiance aux jeunes, en leur proposant un idéal qui parle à ce qu’ils ont de meilleur en eux-mêmes.
R&N : Quels sont les obstacles les plus redoutables au developpement d’un amour conjugal authentique et d’un engagement chrétien digne de ce nom ?
Abbé Grosjean : Il me semble qu’un obstacle serait de penser que je peux vivre ces années entre 15 et 25 ans dans l’insouciance à ce niveau là, sans penser aux conséquences sur la suite. Or on ne se prépare pas au mariage la veille de celui-ci. Ce que je vis entre 15 et 25 ans prépare déjà l’époux, l’épouse que je serai un jour. Cela ne veut pas dire que si je fais une erreur à 20 ans, je suis foutu. La miséricorde de Dieu peut réparer beaucoup de choses, et soigner bien des blessures. Mais il n’empêche : ce que je vis m’engage. Rien n’est anodin. Il ne faut ni dramatiser, ni relativiser.
Aussi je crois que savoir cela est un moteur enthousiasmant. Si à 15-20 ans, j’apprends à être libre par rapport à ce qui est trop facile, à attendre, à ne pas me donner facilement, à respecter la vérité des gestes de l’amour… C’est pour mieux dire « oui » un jour, c’est pour être capable d’aimer vraiment celle, celui que je choisirai. C’est pour elle, pour lui qu’il faut se battre, pour être prêt le jour venu… Les efforts d’aujourd’hui préparent la joie de demain. Voilà ce qu’il faut graver en lettres d’or dans le cœur de chaque jeune ! Et voilà la question que l’Eglise pose aux jeunes de cet âge : « de quelle joie veux tu être capable demain ? Quelle joie veux tu offrir demain à celui, celle que tu aimeras ? ». Ne t’inquiète pas des combats que tu peux connaître à cet âge là. Comprends au contraire combien ils sont précieux à mener, car ta persévérance prépare ta capacité d’aimer. Voilà de quoi donner du souffle, du courage et de la confiance à des jeunes généreux, même si cela les met souvent à contre-courant ! L’Eglise est là ensuite pour aider chacun à avancer, à discerner, à construire.
R&N : La jeunesse à laquelle vous vous adressez, vous la côtoyez largement ; vous la connaissez intimement. On a beaucoup glosé sur cette génération « JMJ » révélée lors des Manifs pour tous. Avez-vous senti un « réveil » et un sursaut de l’engagement chez ces jeunes depuis le printemps 2013 ?
Abbé Grosjean : Il y aura une fécondité à cette grande mobilisation, au delà des victoires ou des échecs politiques. Beaucoup ont pris conscience que le modèle de société auquel nous sommes attachés n’est plus évident pour tous. Il nous faut le promouvoir, l’expliquer, le transmettre et le défendre. Impossible pour les chrétiens de se désintéresser ou de s’exiler : on ne peut plus regarder la partie se jouer sans nous, et rester sur le banc de touche à commenter ou pire, à se plaindre sans cesse. Il faut rentrer dans le jeu, et y aller pleinement, avec nos talents et la force intérieure que nous donne notre espérance. Chacun doit discerner à quel engagement il se sent appelé, avec ce qu’il a reçu. Mais que personne n’oublie ce que disait Benoît XVI : « ce sont les minorités créatives qui déterminent l’avenir. » Dans ce monde tel qu’il est, et non tel que nous le rêvons, un catholique ne peut être ni résigné, ni défaitiste, ni déserteur…
R&N : D’aucuns craignent, dans le cadre du Synode sur la famille, que la doctrine sur les divorcés-remariés et l’accès à la Sainte Communion ne soit modifiée. Que répondez-vous à ceux qui ressentent cette angoisse ?
Abbé Grosjean : Ne réduisons pas le synode à ces questions. Il y a tellement d’enjeux essentiels pour la famille aujourd’hui dans le monde ! Le synode n’a en aucun cas le pouvoir de changer la doctrine, ce n’est pas son rôle d’ailleurs : c’est une instance pastorale, qui aide le Pape à refléchir justement comment mieux proposer cette doctrine et aider les fidèles à la vivre.
J’ai confiance dans l’Eglise. Au delà des manipulations, des clans, des filouteries ou des trahisons habituelles depuis 2000 ans car l’Eglise est composée d’hommes pécheurs, je crois que le Seigneur n’abandonnera jamais son Eglise, et qu’elle ne pourra jamais nous enseigner d’erreurs. Quand nous sommes troublés par les déclarations de tel ou tel, revenons au cœur de la foi, et retrouvons la confiance, à la suite du successeur de Pierre.
R&N : Un message à l’intention de nos jeunes lecteurs, en ce temps de Pâques ?
Abbé Grosjean : Pâques est la certitude de la victoire du Christ. Dans notre vie, si nous la vivons avec Lui, aucune épreuve, aucune faiblesse, aucun péché, aucun drame… Pas même la mort… n’auront le dernier mot ! Le dernier mot appartient à Dieu, et ce sera pour m’appeler à la Vie.
Voilà la source de notre paix : oui, nos engagements, notre Foi, notre vie peuvent connaître des tempêtes, et parfois même de rudes épreuves ou combats. Il y aura dans nos vies des vendredis saints. Nous savons désormais qu’il y aura toujours aussi un matin de Pâques. Voilà notre Espérance ! Sachant cela, que notre joie demeure…
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