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Abbé de Servigny : « Il faut maintenant passer à la retraite de Saint Ignace pour tous et à l’engagement intellectuel et culturel pour tous ! »

Prêtre du diocèse de Versailles, l’abbé Gérald de Servigny vient de publier Les cathos sont-ils de retour ? aux éditions Artège (avril 2017, 168 pages). Il a bien voulu répondre aux questions du Rouge & le Noir.

R&N : Vous analysez dans votre livre l’évolution du catholicisme en France. Quelles grandes tendances observez-vous sur ces dernières décennies ?

Abbé de Servigny : Si le XIXe siècle a été florissant pour l’Église de la France post-révolutionnaire, le XXe est marqué par une sorte de coup d’arrêt à ce temps de reconstruction. Coup d’arrêt en plusieurs étapes : il y eut d’abord la Séparation de l’Église et de l’État puis l’exil des Congrégations religieuses. Mais c’est surtout après la seconde guerre mondiale que cette tendance baissière fut la plus nette. Les années 60 verront l’accélération de ce phénomène qui ne semble jamais finir : ce rétrécissement du catholicisme est aujourd’hui partout visible.

R&N : En quoi ces dernières années ont-elles été différentes ? Quelles sont les diverses formes d’engagement des jeunes catholiques ou de renouvellement de l’Église que l’on peut y voir ?

Abbé de Servigny : Je ne crois pas qu’elles ont été différentes, mais face à l’effondrement de pans entiers de l’Église, la frange plus conservatrice s’est rendue, depuis quelques années, plus visible (notamment grâce aux nouveaux médias). Je pense au renouveau constitué par des familles (plutôt nombreuses), les mouvements scouts, les écoles (hors contrat notamment) qui essayent, dans des conditions pas faciles, de transmettre la foi et une culture chrétienne. Un monde jeune et dynamique qui s’est rendu visible lors des Manifs pour tous, dont il constituait l’épine dorsale ! Enracinés dans une culture de résistance, ces familles ont été moins perméables à la déconstruction post-moderne.

R&N : Le père Humbrecht emploie pour parler des jeunes catholiques cette formule acide : les « intermittents du réveil ». Comment faire pour que, et surtout après cette élection présidentielle qui a été perçue comme une défaite, les jeunes catholiques qui se sont engagés suite à la Manif pour tous dans différents mouvements mais aussi en politique (Sens Commun, FN…) ne retournent pas à leur sommeil et que cet engagement se fasse et porte des fruits sur le long terme ?

Abbé de Servigny : Je crois que si ces engagements politiques à la suite des « Manifs pour tous » ne s’enracinent pas dans une vie spirituelle authentique et une résistance culturelle durable, ils ne servent à rien ! Après la « manif pour tous », il faut maintenant passer à la « retraite de Saint Ignace pour tous » (peut-être que mon confrère dominicain ne serait ici pas tout à fait d’accord), le « travail de formation pour tous » et « l’engagement intellectuel et culturel pour tous » !

R&N : Quels sont les fondements culturels du catholicisme en France ?

Abbé de Servigny : Le catholicisme français qui se découvre minoritaire a pourtant une longue histoire, un enracinement qui en fait la mémoire de notre pays. C’est pourquoi, dans ce livre, nous sommes partis explorer ce riche passé, à la recherche de quelques « murs porteurs » (comme dirait Philippe de Villiers) de notre civilisation, en mettant à jour la dialectique entre la doctrine de Pélage et la réponse de saint Augustin, initiée dès la fin du IVe siècle, qui se prolonge et constitue la grande querelle théologique puis culturelle de l’Occident chrétien. Elle est une matrice de la civilisation occidentale. Elle est aussi une clef de lecture de l’histoire de l’Église et du monde contemporain. Cette grille de lecture fait mieux comprendre, à la lumière du retournement vers un néo-augustinisme balbutiant, les inflexions nouvelles du catholicisme d’aujourd’hui et de demain.

R&N : On parle beaucoup d’une approche « identitaire » du christianisme qu’ont une partie des Français. Faut-il s’en réjouir ou s’en méfier ? Comment faire pour qu’une telle approche se transforme et s’enracine dans une véritable pratique vivante de la foi et ne reste pas qu’un simple verni culturel ?

Abbé de Servigny : Plus que la question de l’identité – qui est un mot piégé en raison de l’usage politique qui en est fait –, c’est la question de la culture et de son rapport au christianisme qui est au centre de toutes les interrogations. Nous étions, jusqu’il y a une quarantaine d’années dans un schéma assez simple : en face de la modernité – qui concevait l’homme comme un être raisonnable dans une société en progrès – le chrétien pouvait plus ou moins s’opposer, selon son degré « d’ouverture au Monde », à cette culture moderne : ce furent les débats sur l’humanisme, la justice sociale, la chrétienté, etc. Mais avec l’avènement de la modernité déconstruite – appelée post-modernité – c’est toute une culture (d’aucuns parleront de contre-culture ou de culture alternative) qui est à réinventer : une nouvelle culture chrétienne. Et il faut bien l’avouer, les « cathos » ont été ici un peu pris de cours… Et pourtant la survie du catholicisme est à ce prix ! Pour ma part je ne fais que donner quelques pistes pour approfondir cette « nouvelle culture chrétienne » : un esprit de résistance (à la déconstruction morale, à l’invasion des écrans…), un enracinement culturel par un investissement éducatif de tous (parents, grands-parents), un engagement accru dans les métiers de la transmission, etc.

R&N : Une brève étude démographique du clergé montre que le problème des déserts religieux va s’aggraver dans les années à venir. L’Église doit-elle changer de modèle d’organisation ou accepter d’abandonner certains territoires ?

Abbé de Servigny : La question des structures et de l’organisation ? Je crois que l’Église en France s’en est beaucoup occupée… et qu’il n’y a finalement pas de solution déterminante à y apporter. Je crois surtout qu’il ne faut pas y chercher là ni les réponses, ni les remèdes à la question du rétrécissement du catholicisme en France.

R&N : Dans un monde de plus en plus hostile ou indifférent et devant la création de ces véritables déserts religieux, faut-il encourager la formation d’un certain communautarisme catholique qui permettrait un ré-enracinement culturel ?

Abbé de Servigny : Je vois bien ce qu’il y pourrait y avoir, dans ce genre d’Oasis, de tentant pour des familles à la peine dans un univers culturel agressif… Mais je crois qu’un communautarisme, rassurant à certains égards, favorise inévitablement une sorte d’affadissement dans la vie chrétienne. Et notre vocation est celle d’être le sel de la terre… ! Je conçois bien que cela puisse constituer un « relais-étape » dans la vie d’une famille, mais non un modèle à favoriser coûte que coûte.

R&N : L’évolution actuelle et le dynamisme d’autres religions (les évangéliques, l’islam…) pousse à certain pessimisme. Quelle place donner à la grâce et à l’espérance devant un tel constat ?

Abbé de Servigny : Voici les mots de conclusion du livre : « Quant à l’Islam qui occupe très largement les esprits ces derniers temps, viendra-t-il hâter ce mouvement de déchristianisation et recueillir le dernier souffle de l’Occident fatigué et amnésique qui a même oublié qu’il fut chrétien (cf. la question des racines chrétiennes de l’Europe) ou bien va-t-il au contraire favoriser le réveil des occidentaux qui auront enfin le souci de redécouvrir leur identité, leurs racines et leur histoire ? Assiste-t-on aujourd’hui au grand réveil des catholiques, comme on l’entend quelquefois ?

Le catholicisme, comme matrice culturelle, suscite incontestablement un attrait qui dépasse largement le cercle des pratiquants. On est surpris de voir l’engouement soudain pour la crèche de Noël chez des gens qui n’ont sans doute pas été à la messe de minuit depuis longtemps…

Effondrement numérique, mutation anthropologique, regain d’intérêt culturel, quête identitaire : l’Église catholique en France est soumise à des tendances contraires. Il est difficile de dire quels en seront les effets. Mais n’oublions pas que si l’avenir de notre civilisation chrétienne dépend un peu de ces courants passagers et davantage de chacun d’entre nous, il appartient d’abord, mystérieusement, à la Providence divine. » (p.156-157).

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