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Le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France tenait ce 1er novembre 2015 son sixième congrès international : mille quatre cents inscrits, soit deux fois plus que l’année passée, le Président du groupe, Roger Cukierman, s’avoue fier : avec ses représentants politiques (Jérôme Guedj, Claude Goasguen, Valérie Pécresse,…), journalistiques (Dominique Rizet, Guillaume Durand, Frédéric Haziza, …), jusqu’au vulgum pecus, le « nombre de participants est bien plus élevé qu’au dîner du CRIF » , ironise-t-il. Après les événements dramatiques de janvier, la ratification de l’accord nucléaire iranien l’inquiétude est également au rendez-vous. Pour autant, le représentant officiel indique que l’heure n’est plus à l’adhésion : « nous voulons favoriser le débat critique, dans une perspective de compréhension, de rencontre avec l’autre » ; louable acception, dont votre serviteur dépêché sur les lieux s’est enquis de percevoir les tenants et aboutissants à l’issue des différentes conférences auxquelles il a pu participer.
Soulignant une intolérance à l’égard des Juifs, essentiellement située au sein de la communauté musulmane, Pierre Lellouche (ancien Ministre, membre du parti Les Républicains) ouvre le « débat critique » : danger de la montée du Salafisme en France, d’un flux migratoire infiltré par des fanatiques islamistes - 18 000 européens seraient partis en Syrie : voilà la véritable menace planant au-dessus de nos têtes. Pour pallier cette périlleuse situation, un remède : faire plier l’Islam aux principes de la République, comme l’Eglise a été soumise [1] à son principe laïc. En somme, embourgeoiser la religion musulmane, soumettre un absolu religieux à l’état séculaire et le bercer dans son confort pour l’enjoindre à l’inaction. « Certains quartiers, désertés par l’Etat, sont soumis à l’intégrisme », renchérit Gilles Clavreul, préfet délégué interministériel à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. L’ancien conseiller du Cabinet de François Hollande [2] concède que l’antisémitisme latent de certains membres de la communauté musulmane constitue un fait inquiétant. Étrange discours de ces « citoyens du monde » accoutumés, généralement si prompts à défendre l’islam et ses capacités d’adaptation ; les qualificatifs « intégristes », « salafistes » rassurent l’auditoire : les aptitudes de l’islam à s’assimiler à l’universalité du « vivre-ensemble » ne sont pas remises en question. Seule une frange de cette communauté est visée.
Subtilité rhétorique : la « radicalité de l’islamisme » devient seule cause de l’éviction des Chrétiens d’Orient. Meyer Habib (député des Français de l’étranger - et notamment du Vatican) raconte ainsi comment, à l’issue de sa visite à Bethléem en compagnie du Pape « le muezzin a chanté durant toute la messe » afin d’envelopper la liturgie chrétienne d’un voile confessionnel. Et de déplorer le taux réduit (18%) de Chrétiens restant dans la ville - ils étaient 82% avant la ratification des accords d’Oslo. Si les velléités religieuses d’un islamisme combattant ne peuvent, de fait, être remises en question, garder à l’esprit que son émanation fût engendrée par l’expression d’un Occident conquérant (Irak, Libye, Afghanistan) ne doit pas être éludé. Après tout : « Qui possèdera la Syrie surveillera tout l’Islam », proférait le docte Edouard Herriot en son temps...Calcul bon marché repris à la dictée de la plume veule d’un Emmanuel Todd dépassé [3], cette catalisation de l’attention sur la communauté musulmane engendre une stratégie malsaine : la récupération de la faveur de certains Catholiques excédés par la présence de la communauté musulmane sur le territoire français.…Ainsi des dissonances pointent dans les différentes allocutions, au sein desquelles les Chrétiens, dont le cas est généralement balayé du plat de la main, font subrepticement des apparitions. Pierre Lellouche se risque à insinuer que les Catholiques peuvent se faire agresser dans les métros au seul motif du port d’une Croix autour du coup. Malek Boutih fait la moue, niant d’un signe de tête, mais le fait est là : même Clavreul l’a reconnu, « beaucoup de lieux publics sont menacées, tout comme les églises ». Quant aux plaidoyers en faveur du Pape François, ils sont nombreux : « Le Pape François … va plus loin que ses prédécesseurs. Il a même indiqué : ‘’Lorsque je récite les Psaumes, je le fais en juif’’ », déclare fièrement Bernard-Henri Lévy.
Les terroristes Salafistes ont cependant du souci à se faire ; certes, l’inquiétude ne viendra pas des centres de « déradicalisation » proposés par Manuel Valls [4]. Il pèse une menace plus profonde : un Front National visant à la légitimation, à l’échelle institutionnelle, de l’antisémitisme « caché sous le paravent de l’anti-sionisme » (G. Clavreul). Les révérences de Marine Le Pen n’auront pas suffi [5] : le parti politique n’est pas en faveur au CRIF. Jean-Philippe Moinet (directeur de Publication à la Revue Civique) alarme l’auditoire sur sa puissante influence sur l’opinion publique. L’ancien Président de l’Observatoire des extrémismes rappelle les sondages inquiétants menés auprès des français : à propos de la Shoah, 35 % des français penseraient que les Juifs se servent du l’Histoire du génocide en leur faveur ; parmi l’électorat de Marine Le Pen, il serait 62 % [6]. « L’hydre » que représente Internet a joué un rôle néfaste : faire de l’anti-sionisme un prétexte à l’antisémitisme latent. Quid des juifs radicalement opposés à la politique sioniste ? aurait-on pu répliquer. Mais enlisé dans un discours partisan - « Marine Le Pen avance avec ses troupes […] sa présidence serait une honte pour la France », Moinet n’en démord pas : les facilités avec lesquelles les « natio-populistes » sous-entendent que l’anti-racisme constitue une émanation de la sphère politico-médiatique bien-pensante est inconcevable. Pire encore : il se propage, dans les institutions de la droite et de la gauche classiques. Le point de consensus est tout trouvé : la défense des « valeurs républicaines » tant chéries.
Certes, le climat n’est pas celui des années trente. Bernard-Henri Lévy [7] comme Malek Boutih le concèdent : à l’inverse d’antan, l’Etat soutient la communauté juive. Aujourd’hui, « la République vient au dîner du Crif », interpelle le premier, ajoutant qu’il est possible de dire que « la France sans les juifs ne serait pas la France »… C’est désormais dans le combat pour la démocratie que doit s’incarner la lutte contre l’antisémitisme et le racisme ; en regard du défi que représente la montée du Salafisme, il faut « combattre sur le terrain » (Malek Boutih) sous toutes les formes possibles : culturellement, pédagogiquement, idéologiquement. Postulat brillant : au même titre que tous les « Charlie » avaient défilé le 11 janvier contre le terrorisme, quel argument plus fallacieux que celui de « combattre la haine » pour introduire au terme propice une idéologie déterminée ? Ancien Président d’SOS Racisme, Malek Boutih a fait ses états de service en termes de militantisme. Son combat ? Alimenter la virulente « fraternité de la tolérance », celle-là même qui s’est élevée après Charlie Hebdo, et « re-mélanger la population », car le rassemblement physique des musulmans et juifs dans les écoles apprendra, mieux que dans un livre, la notion de la tolérance. Boutih s’annonce optimiste : les moyens à disposition à l’échelle gouvernementale le lui permettent.
A de nombreuses reprises, les intervenants s’abandonnent à une prêche démocratique ; petit florilège : « il n’y a pas de meilleur modèle que la démocratie » (Meyer Habib), « il faut lutter contre les idéologues [ndlr. en l’occurrence les djihadistes] qui veulent remettre en cause notre modèle démocratique » (Claude Bartolone) ; « la liaison sécurité-démocratie est un progrès » (Alain Bauer). La République et la démocratie portées en étendard…et permettant la tenue de propos périlleux ; ainsi, Claude Bartolone et Alain Bauer [8] de faire l’apologie d’une loi renseignement dont on concède le caractère intrusif, jugé cependant utile en regard du contexte terroriste actuel. Après tout, si le Gouvernement baisse les bras, « le repli identitaire triomphera » (Claude Bartolone). Etrangement, seule la démocratie occidentale a voix au chapitre ; car la Russie, l’Iran ou le Gouvernement Syrien actuel ne peuvent étrangement prétendre s’assoir à côté des fervents défenseurs de la moraline républicaine pré-énoncée [9].
Le caractère démocratique de la politique de Benyamin Netanyahou n’est que peu discuté [10]. Discours relevant d’un deux poids deux mesures : diplomates et plateformes médiatiques français s’évertuent à contester le caractère légitime de certains Présidents du Proche-Orient, au titre que leur mandat électif n’est pas animé des valeurs correspondant à leurs idéaux. Mais Habib, ancien militant du Betar reconnaît son parti-pris : « Je défends Israël bec et ongles [car] Israël est le certificat-assurance-vie des juifs ». Pour lui, l’accord passé avec l’Iran sur le nucléaire est un scandale, du fait de la posture « négationniste » de l’État. Le discours de Marc Knobel va dans le même sens : démentant tout génocide de la population palestinienne - « à ce que je sache, il n’y a pas de camps d’extermination en Israël ! » - ‘’l’historien’’ souligne que les seuls à en avoir fait mention sont les ‘’pas trop démocrates’’ Fidel Castro et autres Khamenei…
De la légitimité d’office de la ‘’démocratie’’ israélienne à la posture non critiquable d’Israël, il n’y a qu’un pas. Jérôme Guedj (membre du bureau du Parti Socialiste, Conseiller départemental de l’Essonne) note un « attachement de plus en plus fort des juifs à Israël » ; soulignant la confusion engendrée par l’anti-sionisme, postulat sous-jacent à l’antisémitisme, il concède volontiers que la critique à l’égard d’Israël est devenue mono-maniaque. L’élu semble avoir soulevé la vindicte à son encontre, en soulignant notamment la politique discriminatoire du BDS à l’égard du boycott d’Israël. Parmi l’une des saillies huées par la salle, son allégation affirmant qu’il n’était pas spécialement en faveur du Gouvernement israélien actuel n’aura pas satisfait. Heureusement, Claude Goasguen (député, élu de Paris) monte au créneau : véritable tribun, le député assène un coup de hache sur la tête de son adversaire (qui avait pourtant tenu un discours assez similaire) en appuyant lourdement le propos : « Il faut avoir du respect pour la politique israélienne » ; « la légitimité du BDS est nulle : il est antisémite ! » ; « l’Etat d’Israël est en difficulté et l’anti-sionisme et l’antisémitisme contribuent à sa difficulté ; c’est le moment où les amis se manifestent, dans les moments difficiles, pas par les questions qui ne font qu’aggraver les difficultés »… Ovation de la salle, clin-d’oeil et pouce levé du Président Cukierman à l’intention de l’élu, le plaidoyer de Goasguen a remporté les suffrages. Shlomo Malka, modérateur de la table-ronde, l’avait souligné d’entrée : « les régionales approchent ».
Confrontation à un islam méprisé par les élites par l’intermédiaire grossier d’une récupération de « l’électorat chrétien » fondé sur une affliction superficielle à l’égard des Chrétiens d’Orient ; élaborations rhétoriques visant un discours unanime articulé autour du principe séculairement commun de la démocratie, jeu sémantique en faveur d’une politique israélienne militante… Il n’aura définitivement rien manqué à cette sixième édition du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France…
[1] Cet intervenant de la première table-ronde « Lutte contre le racisme et l’antisémitisme : prise de conscience … et actions » a toutefois la bonté de reconnaître que la soumission de l’Eglise catholique à la laïcité s’est opérée après des épisodes particulièrement douloureux pour l’Histoire de France.
[3] Dans Qui est Charlie ? (2015, Seuil), Emmanuel Todd pointe du doigt l’islamophobie consommé des catholiques, soulignant la posture bourgeoise de bon nombre d’entre eux, ignorant des fondements confessionnels à l’origine de l’islam. L’analyse, grossière, ne relève que de la vulgarisation facile.
[4] http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/la-deradicalisation-individualisee-pour-lutter-contre-le-terrorisme-rapport-702547
[5] http://www.europe-israel.org/2015/07/marine-le-pen-a-denonce-lantisemitisme-ainsi-que-le-mouvement-raciste-bds-elle-est-prete-a-expulser-les-frontistes-qui-soutiendraient-bds/
[6] L’auteur de cet article n’a pas réussi à retrouver les sources dudit sondage signalé par l’intervenant.
[7] BHL estime avec justesse (une fois n’est pas coutume) que les penseurs du pseudo anti-sionisme désormais confondu avec l’antisémitisme n’ont ni le génie de Céline ni le talent de Morand (!)
[8] Alain Bauer : criminologue, Grand Maître du Grand Orient de France de 2000 à 2003.
[9] Ainsi Claude Bartolone de concéder qu’il est difficile d’intervenir militairement en Syrie ; l’intervention russe n’impactant « on ne sait trop quelles cibles ».
[10] Il convient de noter la posture bien plus modérée de David Chemla, intervenant du Jcall, qui semblait moins en faveur de la politique israélienne et plus ouvert que ses confrères à la possibilité d’un Etat Palestinien. Habib, qui ne dénie pas la possibilité d’un Etat Palestinien, le conçoit comme possible mais ne semble pas s’interroger parallèlement sur la posture conquérante et (à lui en déplaire) coloniale de Netanyahou. Enfin, Diana Pinto (historienne) aura souligné les deux tendances d’Israël : l’une soucieuse de son voisin, l’autre messianique et affrontant ce dernier.
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