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Plaidoyer pour les lettres anciennes

Il ne sera pas dit dans ce réquisitoire que les sciences ont spolié sans merci le rôle suprême que devrait occuper l’étude des Lettres dans notre déclinante civilisation. Non, rien de si commun.

Il est vrai cependant que notre société reconnait bien plus volontiers les ingénieurs, médecins et scientifiques producteurs de remèdes et de vaccins, que les donneurs de vers et rimailleurs de prose. Mais puisqu’un plaidoyer défend sans besoin d’accuser, sachons vanter les Lettres et redorer leur blason sans dénigrer leurs compagnons faits de profane et d’utilitaire.

Notre bonne mère Littérature n’est pourtant pas avare en bienfaits, et il ne tient qu’à nous de puiser chacun d’eux en son sein nourricier : rigueur, culte des anciens, sagesse, idéal, exemple, assiduité, persévérance…

In illo tempore, l’étudiant penché sur son pupitre relisait cent fois son De Viris Illustribus, apprenant d’un même coup l’histoire antique, et forçant son esprit encore novice à se rendre familier de cette langue étrangère. La gymnastique de la version latine est une école de vie. Elle exige souplesse et réflexion : souplesse de l’esprit qui doit se plier à une culture qui n’est pas la sienne pour traduire fidèlement son texte, et réflexion pour adapter sa version à notre langue, sans trahir la pensée de son auteur. La version exige recul et proximité, l’un pour le fond, l’autre pour la forme.

La version grecque a son champ d’action également, quoiqu’elle partage les tranchées du monde latin. Il faut lui reconnaitre pourtant cela de plus qu’elle apprend à nuancer un jugement par la richesse inédite de son vocabulaire, mais surtout de sa syntaxe. Elle est plus rigoureuse qu’une identité remarquable, et plus chansonnière qu’un Clément Marot.

Qu’aurait-on gardé de nos anciens sans notre mère Littérature ? Elle est à la fois esclave et maitresse : Socrate fut sans nul doute un homme de bien, exemple impérissable du καλὸς κἀγαθός, philosophe, et non homme de littérature, mais sans la plume de Platon pour nous léguer son enseignement, tout son héritage aurait péri dans un verre de cigüe. Les Lettres sont mères de toute science et de toute foi.

Et si cela nous semble bien loin de la sainte universalité du langage mathématique, nous tombons dans un fourvoiement bien triste. Lui vouer un culte d’hyperdulie aux dépens de la littérature, c’est refuser de voir que les Lettres apportent à la compréhension de l’âme ce que les sciences apportent à la compréhension du monde physique.

Il serait bien aisé de blâmer les autorités en charge des programmes de nos écoles pour le manque d’engouement que subissent les études de Lettres. Pratiquer le « petit latin » ou le « petit grec » n’est pas un plaisir réservé à une poignée de khâgneux binoclards sans vie sociale. Feuilleter chaque jour une seule page d’un livre de latin, juxtaposer à celui-ci la traduction d’un connaisseur, et y goûter sans professeur et sans devoir la richesse et l’exotisme d’une langue méconnue n’est pas un privilège de lettreux.

Puisque le modernisme a laissé l’utilitaire prendre le pas sur le Beau, les sciences humaines sur la philosophie, et changé toute étude supérieur en cursus honorum, ramons comme nous savons le faire à contre-courant, et rendons sa place à notre aimée littérature, si ce ne n’est dans la société, dans nos esprits et nos lectures tout au moins.

Astyanax

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