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[Mariage ganymède] Du mariage « pour tous » et de la philosophie qui le fonde

N.B. : cet article ne parle pas des homosexuels mais bien des idées qui sous-tendent la revendication du mariage « pour tous ». Il ne rend par ailleurs aucun compte des sentiments que je peux éprouver à leur égard.

Le débat autour du mariage homo, gay ou « pour tous », selon les acceptions, revêt bien souvent les caractères d’un dialogue de sourd où le flirt avec le point Godwin, plus qu’un usage, est devenu une politesse. C’est un peu pour rendre au point Godwin son côté exotique et peut-être sa valeur, que j’entreprends cet article. C’est aussi et surtout parce que ce débat porte sur des enjeux bien plus profonds qu’il n’y paraît.

Mon esprit philosophe est en effet chagriné que la question épistémologique qui sous-tend cette revendication, ne soit pratiquement jamais abordée. Je crois que l’essentiel du débat se trouve là. Il ne s’agit plus de dire ce qu’est le mariage et de confronter indéfiniment nos opinions et nos expériences contradictoires, mais de dire comment, de dire la manière de définir de connaître ce qu’est le mariage en soi, et plus largement l’homme en temps qu’être sexué.

L’épistémologie est la "problématisation" sur le savoir et plus précisément sur la manière dont il se forme, elle essaye de déterminer comment l’homme connaît. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de définir une épistémologie en ce qui concerne la connaissance de la réalité sociale et de l’être humain. Il nous faut répondre à la question : comment je connais le social ? Comment je connais l’être humain ?

La première réponse que l’on peut formuler est celle de l’épistémologie classique, réaliste, qui a pendant des siècles fourni son contenu au bon sens. Dans cette méthode, il s’agit pour celui qui veut connaître, de rendre compte de ce qui correspond à un ordre, une permanence, au-delà des singularités de l’expérience. Est postulé ici la préexistence d’un ordre des choses, c’est cet ordre que le sujet connaissant essaye de saisir par l’expérience et la raison.

Elle aboutit à connaître la chose suivante : l’être humain est un être sexué, mâle ou femelle, et dont la cellule sociale de base est la famille nucléaire fondée sur la capacité reproductive de l’association d’un homme et d’une femme.

La seconde réponse est celle formulée par les études de genres, à la suite des études féministes. Elle repose sur deux postulats.

Le premier postulat est que : tout est politique, plus précisément, que tout savoir, toute connaissance sur le social est politique. Toute définition, connaissance, reflète donc un rapport de pouvoir, une relation d’un groupe à un autre dans la société.

Le second postulat, intimement lié au premier, est que le social, l’objet sur lequel s’exerce l’effort de connaissance, est en perpétuel mouvement, il est changeant, évolutif, nominal, toujours singulier, en raison de la volatilité même des rapports politiques.

Il en résulte que toute ontologie du social, toute tentative d’immobilisation, un tant soit peu définitive, ne peut être qu’une imposture au service d’un pouvoir, mais que dans le même temps, il est loisible à chaque société de déterminer l’ordre qui lui sied le plus. En l’occurrence, dans nos sociétés démocratiques, ce qui sied le plus est l’égalité.

Alors que la première épistémologie postule un certain ordre, la seconde à l’inverse postule au fond, un chaos où tout ordre n’est que le moyen par lequel s’exerce le pouvoir d’un groupe sur un autre. L’ordre n’existe pas en lui-même, il est une construction historique et politiquement située. Le travail du scientifique en général, du sociologue en particulier, n’est donc pas de saisir l’ontologie du social, de dire ce qu’il est, de le définir, mais au contraire de dresser et de mettre en évidence cette historicité et cette politisation des discours scientifiques afin d’éclairer les évolutions prochaines. C’est pour cette raison que les études de genre consistent souvent en une généalogie, il s’agit de retracer les évolutions, l’impermanence, d’un savoir. Elles accordent aussi une attention toute particulière aux individus "intersexes", à ces enfants naissant sans que l’on puisse déterminer s’il s’agit d’un garçon ou bien d’une fille. Les multiples études qui les concernent, ont pour principal objectif dans la perspective épistémologique des gender studies, de démontrer la malléabilité du sexe et du genre – notons l’instrumentalisation. Rien n’est préalablement défini, tout est affaire d’assignation et de choix y compris le biologique.

Sorte de messie, le sociologue des gender studies a donc pour tâche de démystifier les savoirs, pour permettre l’évolution de la société et l’effacement des inégalités résultants de ces savoirs politiques. La charge symbolique qui l’entoure est celle du libérateur, de l’éclatante lumière qui œuvre à l’émancipation de la société. Ce pouvoir résulte de sa capacité à déceler dans la société la moindre trace d’un ordre quel qu’il soit. Car finalement, le problème est bien là : tout ordre en tant que structuration d’une relation de pouvoir, est une forme de contrainte, d’inégalité arbitraire, exercée contre la liberté individuelle. Il s’agit pour les militants "homosexualistes" d’une bataille pour la liberté, l’émancipation, l’émergence d’un homme renouvelé car délivré des contraintes d’un ordre social.

Mais, réfléchissons un peu, qu’est-ce qui du chaos ou de l’ordre réalise véritablement notre liberté ?

« Ce qui est recherchée, c’est la réouverture indéfinie des possibles qui ne cessent de se jouer des limites, des différences et des identités. À la manière des pratiques sexuelles qu’ils valorisent comme création de possibles toujours nouveaux, les gays radicaux veulent en revendiquant le mariage et la filiation créer du tohu-bohu. Il y a un mot biblique qui dit en même temps ces préoccupation sexuelles et politiques et peut résonner au terme de ce décryptage. Finalement, on pourrait dire que ce qu’ils veulent vraiment, c’est foutre le bordel. » [1]

D’un point de vue politique, nul doute que l’analyse d’Eric Voegelin trouve ici un écho inattendu. Comment ne pas voir en effet, dans les théories du genre une gnose nouvelle ? Ne sont-elles pas dans leur essence même cette « révolte de la conscience humaine contre le fondement de son existence, qui est une existence ouverte à un au-delà d’elle-même qu’elle ne pourra jamais posséder » [2] ? Plus qu’un travail d’opposition militante, les théories du genre appelle donc une réponse de l’intelligence et de l’esprit qui ne se réalise que sur un temps long. Je ne dis pas que la bataille contre le mariage « pour tous » est perdue, je souligne simplement qu’elle n’est que la pointe avancée d’un mal beaucoup plus grand, d’un mal spirituel et métaphysique qui ne se résorbera pas par l’empêchement de cette loi seulement.

Le dialogue de sourd que nous évoquions au départ, vient de là, de cette manière complètement différente d’aborder la réalité. Ce nominalisme s’enorgueillit d’un plus grand réalisme que le traditionnel bon sens, parce qu’il accorde une importance sans équivalent aux contingences. Les théories du genre ne font en réalité que dissimuler le vrai derrière les artifices du singulier. Ne nous y trompons pas la déconstruction de l’ordre social, n’a jamais libéré l’Homme, ne l’a jamais sauvé de sa condition.

Pour en savoir plus :

Sur les théories du genre par ses auteurs et ses partisans :

Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités, PUF, 2008.

Sur les revendications qui en découlent :

Thibaut Collin, Le mariage gay, Eyrolles, 2005.

Sur le net :

L’avis de Nystagmus ou d’Henry le Barde

L’avis du philosophe Jean-François Mattéi


[1Thibaut Collin, Le mariage gay, Eyrolles, 2005, p. 146.

[2Thierry Gonthier (éd), Politique, Religion et Histoire chez Eric Voegelin, Cerf, 2011, p. 10.

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