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Louis Jamin, fondateur de Soutien aux écoles libres : « Le nombre d’écoles hors-contrat augmente chaque année, avec des besoins croissants »

R&N : Qui êtes-vous ?

Louis Jamin : Je suis le fondateur de l’association « Soutien aux écoles libres » (« le SEL »), association créée fin 2015. Nous venons en aide aux écoles hors-contrat ayant des travaux à réaliser pour améliorer les conditions d’accueil de leurs élèves et n’ayant pas les moyens de les financer.

J’ai créé cette association après avoir rencontré de nombreux directeurs d’écoles hors-contrat, qui m’ont tous fait part de leurs difficultés à conserver un budget équilibré, uniquement en payant - hélas souvent assez mal - leur équipe éducative et en réglant les factures de la vie quotidienne. Tous avaient pourtant besoin d’argent pour des travaux plus importants : l’un souhaitait installer des douches supplémentaires pour ses soixante élèves qui s’en partageaient quatre (oui, quatre) ; un autre devait impérativement mettre ses bâtiments aux normes avant le passage des services d’inspection sous peine de devoir fermer ses portes ; un autre encore devait rénover la deuxième moitié de son bâtiment pour que ses cinq niveaux n’aient plus à suivre leurs cours dans la même salle…

Tous avaient fait appel aux associations qui existent depuis longtemps, mais celles-ci sont submergées de demandes, qui souvent sont encore plus urgentes. C’est pourquoi j’ai eu l’idée de leur venir en aide, spécifiquement pour des travaux portant sur l’immobilier.

R&N : N’y a-t-il pas un risque de concurrence entre vous et les associations pré-existentes ?

Louis Jamin : Non, pour deux raisons. D’abord parce qu’il y a plus de besoins que nous ne pouvons en combler tous ensembles : le nombre d’école hors-contrat augmente chaque année. A la rentrée 2015, 67 nouvelles écoles hors contrat ont ouvert leurs portes (contre 51 en 2014), portant leur nombre total à 773 partout en France. Nous ne sommes pas trop de 3 ou 4 associations pour les aider toutes.

Ensuite parce que nous avons chacun nos spécificités. Nous l’avons vu, le SEL se concentre sur des besoins très concrets. La Fondation pour l’école soutient elle aussi les écoles hors-contrat, mais fait également un travail plus intellectuel : elle forme les professeurs qui enseignent dans ces écoles. L’AES du père Bonnet, elle, soutient les parents d’élèves n’ayant pas les moyens de payer l’intégralité des frais d’inscription.

Nous travaillons de façon complémentaire. Aucune concurrence, mais au contraire un travail d’équipe, chacun selon notre charisme, pour atteindre notre objectif commun.

R&N : Pourquoi aider le hors-contrat et pas le sous-contrat ?

D’abord parce que ce sont ces écoles qui en ont le plus besoin, puisqu’elles ne bénéficient d’aucune aide de l’Etat : elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour survivre et se développer.

Mais il y a une raison bien plus profonde à cela. Nous soutenons les écoles hors-contrat parce qu’elles sont libres. Elles ne sont pas liées à l’Etat, elles n’ont pas à lui obéir ni à lui rendre des comptes.

Elles sont libres de choisir leurs professeurs. Lors des Manif pour tous, j’habitais une ville de Normandie où se trouve une école sous-contrat connue et reconnue. C’était une très bonne école, avec de bons résultats et une équipe de direction de qualité. Pourtant, j’ai eu deux fois l’occasion de constater qu’il y avait un problème. La première fois, c’est quand la direction a joint aux bulletins de notes du premier trimestre un texte présentant plusieurs arguments contre le « mariage pour tous ». J’ai lu ce texte, qui était très calme et posé. Il a pourtant causé un scandale. J’ai appris ensuite que le scandale n’était pas venu des parents… mais de certains professeurs, qui avaient poussé des élèves à réagir (alors que ce texte ne leur était pas destiné).

Quelques temps après, lors d’une soirée des Veilleurs, quatre personnes sont venues arracher une banderole qui avait été étendue sur les remparts de la ville. Parmi ces quatre personnes, une paire lesbienne, un homosexuel et une hétéro militantes LGBT. J’ai discuté avec eux quatre tout le reste de la soirée. Cette quatrième personne était professeur dans l’école citée plus haut…

Comment est-il possible qu’une école privée catholique compte parmi ses professeurs une militante LGBT ? Comment croire que son engagement n’influait pas le contenu de ses cours ? Comment croire qu’elle apportait à ses élèves ce qu’on est en droit d’attendre d’un établissement catholique ?

Tout simplement, la direction n’avait pas pu refuser cette candidature : elle n’en avait pas le droit, en raison du contrat qui la liait avec l’Etat.

Ce n’est pas un cas isolé : dans les nombreuses écoles sous-contrat que je connais, la plupart des professeurs ne sont plus catholiques, et beaucoup de directeurs non plus.

R&N : Il n’y a pas non plus que des militants pour le mariage homosexuel parmi les enseignants dans le privé...

Louis Jamin : Bien sûr que non. Et il n’y a pas non plus que des mauvaises écoles sous-contrat, heureusement.

Cependant, les méthodes de formation des enseignants du privé sous-contrat ne sont pas meilleures que celles des enseignants du public. Dans les Instituts de formation des maîtres, on apprend aux futurs enseignants du privé qu’ils n’ont rien à apprendre à leurs élèves, qu’ils ne servent qu’à aider ceux-ci à faire éclore ce qu’ils ont en eux. On ne leur apprend plus à transmettre. A ce sujet, je ne saurai trop vous inviter à lire et faire lire les Déshérités, de François-Xavier Bellamy.

Les enseignants autorisés par l’Etat à travailler dans le sous-contrat sont donc gavés de la même idéologie que ceux du public. Vous comprendrez aisément qu’il devient très compliqué pour un directeur de recruter des enseignants de qualité.

Cela rejoint la deuxième grande liberté des établissements hors-contrat : ils sont libres de choisir leurs professeurs, mais aussi leurs méthodes d’enseignement. L’exemple le plus simple est celui-ci : nous n’aiderons pas d’écoles qui, en CP, utilisent la méthode globale. En règle générale, nous vérifierons que les méthodes utilisées ont fait leurs preuves par le passé, ou, si elles sont novatrices, qu’elles n’ont pas encore prouvé qu’elles étaient nocives.

R&N : Qu’entendez-vous par « novatrices » ?

Louis Jamin : Je pense à certaines écoles que nous connaissons qui proposent des pédagogies particulières, moins centrées sur l’enseignement académique.

Celle qui me tient personnellement le plus à coeur est l’Académie musicale de Liesse. Ce collège-lycée ouvert il y a deux ans est la seule école maitrisienne de France : ses élèves chantent chaque jour un office dans la basilique Notre-Dame de Liesse, qui est un sanctuaire marial. C’est une école où tout est orienté vers la pratique musicale, avec pour objectif de donner à ces jeunes le désir de se mettre au service de la beauté de la liturgie.

Ce modèle, encore très courant en Angleterre, a disparu en France à la Révolution. J’espère que nous pourrons aider le jeune directeur de l’Académie musicale de Liesse à concrétiser son rêve : ouvrir une dizaine de ces écoles, partout en France, dans les années qui viennent.

Mais nous sommes aussi très intéressé par un projet d’écoles rurales, où les enfants partagent leurs journées entre des cours « classiques » le matin et des activités artistiques ou paysannes l’après-midi.

Nous pensons que le hors-contrat est un formidable laboratoire, où de nombreuses formes d’enseignement peuvent être testées, améliorées, confirmées. Nous souhaitons nous associer à ce fourmillement d’idées, en soutenant concrètement un maximum de ces écoles.

R&N : Nous parlions tout à l’heure de militants pour le mariage homosexuel… Comment selon vous l’enseignement doit-il se situer par rapport aux évolutions sociales qui s’écartent du cadre moral traditionnel ?

Louis Jamin : Je pense que ce sont des questions qui ne sont pas vraiment du ressort de l’école. Je crois qu’une école qui fait bien son travail est une école qui donne à ses élèves les moyens de discerner le vrai du faux, dans tous les domaines. La morale n’échappe pas à la règle.

Nous ne cherchons pas des écoles militantes, au sens primaire du terme. Nous cherchons des écoles libres qui forment des élèves libres.

R&N : Comment choisissez-vous les bénéficiaires de vos aides ?

Louis Jamin : Ce sont des décisions prises par l’ensemble du conseil d’administration : nous étudions les cas, en discutons et décidons.

R&N : Comment est composé ce conseil d’administration ?

Louis Jamin : J’ai décidé de m’entourer de personnes connaissant le système de l’intérieur. Notre présidente a par exemple participé à la création d’une école hors-contrat il y a quelques années. Les autres membres sont une directrice d’école hors-contrat, un éducateur dans une école sous-contrat et une maman d’élèves dans le hors-contrat. Nous avons ainsi une vision assez globale de la situation. Par ailleurs, nous avons tous, présidente mise à part, moins de trente ans : nous ne faisons pas ça pour occuper nos retraites - ce qui n’a rien de mal en soi, d’ailleurs - mais pour construire notre avenir et celui de nos enfants.

R&N : La question sort peut-être un peu du cadre de notre entretien, mais votre engagement a-t-il un lien avec les récentes évolutions sociétales et avec l’opposition qui s’est levée contre elle ?

Louis Jamin : Clairement, oui, il y a un lien, même si nos engagements ne sont pas nés avec la Manif pour tous : certains d’entre nous avaient déjà commencé leur formation avant. Mais ce mouvement nous a sans doute tous poussés à nous engager plus concrètement, plus complètement. Ne serait-ce que parce que ça nous a fait prendre conscience de l’urgence de nous réveiller, quand nous pensions peut-être avant cela que nous avions encore le temps de faire de l’entrisme.

Je constate aussi que ces écoles hors-contrat mobilisent beaucoup de jeunes gens, parmi les enseignants bien sûr mais aussi parmi les créateurs d’écoles. Quant à savoir si c’est lié aux affaires récentes, c’est à eux qu’il faudrait le demander...

R&N : L’enseignement hors-contrat en France, très majoritairement catholique, ne l’est toutefois pas exclusivement. Comment voyez-vous l’articulation de l’enseignement catholique avec celui lié aux autres cultes, israélite et mahométan notamment ?

Louis Jamin : Ce qui importe pour nous, c’est que les écoles que nous aidons forment de jeunes Français heureux de l’être, connaissant leur pays, son Histoire, ses forces et ses faiblesses, et prêts à lui consacrer leur vie. Que ces écoles soient catholiques ou non ne change rien : si elles nous semblent répondre à ce critère essentiel, alors nous les aiderons.

R&N : Les défis auxquels vous vous efforcez de faire face ne sont pas vraiment propres à la France. Verriez-vous des avantages à rechercher des interlocuteurs dans d’autres pays ?

Louis Jamin : Bien entendu : il y a sans doutes de bonnes idées partout, autant aller les chercher là où elles se trouvent. Cependant, ce n’est pas à l’ordre du jour pour nous pour deux raisons : d’abord parce que notre association entend n’intervenir que sur des projets très concrets portés par les écoles elles-mêmes, ensuite parce que la situation est très différente selon les pays, mais toujours excessivement complexe.

Ce travail de recherche de ce qui se fait ailleurs est plus du ressort de la Fondation pour l’école, à mon avis, et bien entendu de tous ceux qui souhaitent créer des écoles… que nous aiderons avec plaisir.

R&N : Merci pour cet entretien. Comment nos lecteurs peuvent-ils vous aider concrètement aujourd’hui ?

Louis Jamin : C’est moi qui vous remercie.

S’ils souhaitent nous aider, vos lecteurs peuvent :

  • parler de l’association autour d’eux, par exemple en partageant cette interview sur les réseaux sociaux, en l’envoyant par mail à leurs proches, etc. ;
  • faire un don à l’école Fatima de Lyon, que nous soutenons activement et qui a lancé une campagne sur le site Credofunding.
Propos recueillis par Baudouin de Mitry
Cet article a été légèrement modifié le 14 janvier 2016, à la demande de Louis Jamin.

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