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Allée de palmiers le long de l’avenue Daumesnil, parasols dans le grand vestibule, reproduisant les atmosphères idylliques de contrées insulaires lointaines : le Palais de l’Immigration, refuge du multiculturalisme, accueille le visiteur à grands frais, abritant de ses bras protecteurs un fade exotisme.
Ce soir là, le parisien est de sorti : il va entendre un nouveau chapitre du roman national. « Un an après la grande manifestation du 11 janvier, où en est-on ? »
Il n’est plus de bon ton, parmi les intellectuels patentés, d’accorder leur crédit au Gouvernement ; d’entrée de jeu, Patrick Weil l’annonce : « il convient de faire la différence entre le ‘’ 11 janvier’’ et ‘’l’esprit du 11 janvier’’ ». L’auteur du Sens de la République voue en l’instant un culte restreint à ses officiants, plaidant à la récupération politique de la manifestation. Cet « enterrement dans l’intimité nationale » comprenait d’un côté ces Français, venus déplorer la perte de leurs « potes » Cabu et Wolinsky, de l’autre les représentants du Gouvernement, tentant irrémédiablement de récupérer la tendance en leur faveur. D’une furieuse objectivité, l’intellectuel déplore la médiocrité des stratégies électorales des cadres politiques…La seule question qui devait nécessairement émaner de cette manifestation était celle de l’unité des Français ; « car face au terrorisme, l’unité est bien la réponse », indique vaillamment le chercheur, avant d’ajouter, dans son rejet superbe d’un électoralisme dont il vient de déplorer les ravages : « c’est la raison pour laquelle j’ai écrit cet ouvrage ». Alors que réside la volonté de diviser dans le monde politique, Weil s’émerveille de l’écho unitaire qu’il a recueilli de part et d’autre, chez les journalistes d’un avis pourtant contraire au sien, de Natacha Polony en passant par Pierre Manent…
La lutte contre « l’essentialisation », combattant brillamment xénophobes comme djihadistes, s’avère l’issue salvatrice. Étonnamment - une fois n’est pas coutume, la laïcité ne fédère pas. Car le Gouvernement ne l’a pas définie avec clarté ; il lui fallait l’incarner, lui donner un sens profond, qu’il s’est révélé incapable de qualifier. Car c’est de ce manque de définition précise que se nourrit le discours de l’extrême-droite actuelle. « J’avais suggéré au Président de la République d’entamer ces débats », explique le docte professeur de Yale. « Il n’y a pas que la haine, les mémoires divisantes, il y a aussi le partage. Les Ménard,…, essaient de nous faire croire qu’on revit l’Algérie …. Le Grand Remplacement, théorie de l’Action française est aujourd’hui reprise par des Camus… quel est son prénom déjà… ? ». Rires moqueurs, regards entendus échangés parmi l’auditoire… On cherche, l’œil brillant, comme pour se rappeler un mauvais souvenir. « Ah oui c’est cela, Renaud Camus ! ».
D’autres perspectives doivent nourrir le combat politique à venir : le problème de la ségrégation, du contrôle au faciès, souligne Benjamin Stora. Et les deux intervenants de conspuer le projet de déchéance de nationalité pour les bi-nationaux…
Le consensus par la condamnation du Gouvernement fait suffrage : voilà le public rassuré. Non, les auditeurs ne comptent pas parmi les crédules récupérés du 11 janvier… Pour autant, à la suite de la tuerie de Charlie Hebdo, les « fractures de la société française se sont-elles résorbées ou accrues ? », interroge l’hôte de la soirée, tout en se riant de l’échec de l’État Islamique - ndlr. qui n’aurait pas réussi, comme il l’escomptait, diviser la société française.
Benjamin Stora l’admet : trois fractures sont aujourd’hui perceptibles à l’échelle française. Fracture sociale, générationnelle, mémorielle : tant de fissures dont les antécédents historiques ne font qu’entériner la profondeur. C’est à la lumière de cette dernière que la glose prend de l’envergure : les deux révolutionnaires de salon ont trouvé leur épouvantail : c’est de la méconnaissance historique de certains de ses ressortissants que résultent ces cassures. Identité fantasmée des Français, prompts à se fabriquer une Histoire sur des souvenirs qu’ils n’ont pas vécu… « Les revendications mémorielles et les recherches sur l’identité deviennent de plus en plus fortes. Aujourd’hui revendications mémorielles, inventions d’identités,…, sont des questions qui se posent. Il peut y avoir des retours dangereux à ces trop-plein de mémoire, qui fabriquent des destins identitaires dangereux », souligne l’auteur des Mémoires dangereuses. Et de prendre exemple sur l’identité revendiquée « française de souche » du Front National - « avec ses 7 millions d’électeurs !! », s’épouvante-t-il, tout en déplorant le grand nombre de jeunes gens affiliés à ce parti.
Patrick Weil renchérit : il faut remonter plus loin dans l’Histoire. Il faut expliquer aux primo-arrivants que cette perception des deux France ne date pas d’hier. L’émergence de ces scissions nationales remonte au début du siècle, à l’époque où l’Action française déplorait une immigration massive sur son territoire ; l’orateur, encouragé par les applaudissements et les rires d’un auditoire - dont on ne peut douter de la connaissance de cette partie de l’Histoire de France, déclare, galvanisé : « Deux France ont alors émergé ; celle qui combattait la République et l’autre pour la Monarchie, le maintien de l’Église catholique dans les structures de l’État ». Il convient de rappeler à ces nouveaux compatriotes, qui croient en la nouveauté des tenants de la dernière, qui les conspuent : cette bataille des deux France n’est pas nouvelle. « C’est une histoire minoritaire de la France, qui a perdu à la Révolution, et qui est revenue dans les bagages de 1940…. Et qui a de nouveau été battue en 1945 ! Il y aura toujours cette France nostalgique, qui n’a peut-être jamais existé que dans leur imaginaire », conclue-t-il, scrutant, avide, des œillades complices à échanger avec le public. Table-rase sur le Royaume de France ; c’est heureux : un peu plus, et l’ombre d’un patriotisme nostalgique de la grandeur monarchique, couvrait le Palais républicain de la Porte Dorée.
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