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[Leçon de style] La négation du sans que

4 novembre 2012 Étienne Blancard

La locution « sans que » doit-elle être suivie d’une négation ? Telle est la lancinante question qui, chaque soir, nous empêche de dormir. Pour retrouver le sommeil, tâchons d’y voir plus clair. Le dictionnaire des difficultés de la langue française est, comme de coutume, laconique : « Avec sans que, la particule ne est inutile (sans ayant par lui-même une valeur négative) ». Adolphe v. Thomas nous met cependant en garde : « Avec que mis pour sans que, la particule ne est indispensable ». Un verset issu du livre des Nombres illustre ce cas de figure : « Voici qu’un peuple se dresse comme une lionne, qu’il surgit comme un lion : il ne se couche pas, qu’il n’ait dévoré sa proie et bu le sang de ceux qu’il a tués » (Nombres, 23, 24, Bible de Jérusalem) . Le psalmiste semble lui aussi avoir écouté les conseils de notre bon maître en orthographe : « Je poursuivrai mes ennemis, et les attendrai ; et je ne m’en retournerai point qu’ils ne soient entièrement défaits » (Psaume XVIII, 41, La Bible de Lemaître de Sacy).

Jusqu’ici tout paraît assez simple. C’est oublier que des recommandations et des usages divergents ont pu fleurir çà et là ! Ainsi le juriste Alexandre Hory préconise-t-il de faire suivre « sans que » d’une négation si on trouve les mots « personne », « nul », « rien » dans la subordonnée. Ce conseil correspond grosso modo à la pratique. Grosso modo car celle-ci a tout de même tendance à instaurer la funeste négation dès qu’elle le peut, comme le rappellent les nombreux exemples fournis par le Grevisse. Et les meilleurs écrivains y ont cédé !

Alors que faire ? Faut-il sacrifier la logique à l’usage ? Dans le doute, mieux vaut faire confiance aux Immortels. Dans une « mise en garde » du 17 février 1966 l’Académie déclare que « sans que doit se construire sans négation, même s’il est suivi d’un mot comme aucun, personne ou rien, qui ont dans ces phrases un sens positif. » On ne saurait être plus clair. Remarquons pour finir que Josué avait devancé l’illustre institution : « tout ce que le Seigneur avait promis de vous donner est arrivé effectivement, sans qu’aucune de ses paroles soit tombée à terre » (Josué, XXIII, La Bible de Lemaître de Sacy).


Josué : conquête de la ville d’AÏ- Illustration de Gustave Doré.

4 novembre 2012 Étienne Blancard

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