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Le Souverain et le Droit

Avant la Révolution, point de Constitution. Il semble parfois, au détour d’un propos léger ou d’un livre académique, que l’histoire de France débute en 1789. L’homme moderne tend à voir l’Ancien Régime comme une sorte de préhistoire un peu barbare. La France aurait des racines monarchiques, un peu comme l’homme descend du singe. La période anté-révolutionnaire est la longue nuit du non-droit, dont la fin est commencée par l’aurore des Lumières.

C’est ce préjugé ridicule, et pourtant si commun, que Philippe Pichot-Bravard bat en brèche dans ce livre remarquable et admirable qu’est Conserver l’ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle). Docteur en droit, il dresse un tableau de trois siècles de lois fondamentales, avec autant de rigueur que de finesse, à l’aide d’une documentation fournie.
Philippe Pichot-Bavard commence son récit au XVIè siècle.

Avant les guerres de religion, les juristes distinguent la volonté éternelle du Roi et la volonté temporelle, et passagère, du roi. Il y a, d’une part, les lois du royaume, qui sont immuables, et, d’autre part, les lois du roi, qui sont modifiables. Bien que gouvernant par conseil, le roi est le gardien suprême de l’ordre constitutionnel formé par les lois du royaume. Celles-ci visent à garantir le règne de la justice de Dieu dans le royaume. Les lois sont légitimées non pas par leur origine, le respect d’une procédure, mais par leur finalité, qui doit être la justice.

Les graves désordres des guerres de religion renforcent, in fine, la puissance de l’Etat. Néanmoins, sa finalité n’est plus la justice, mais sa propre conservation. L’Etat justicier, protecteur des libertés, devient un Etat-puissance, que les élites considèrent de plus en plus souvent comme une menace envers les libertés. Peu confiant dans l’humanité, les élites intellectuelles commencent à rechercher la protection des libertés ailleurs que dans la vertu du roi et de ses conseils. Pour eux, la loi est légitime parce qu’elle a respecté la procédure légale. A la suite de Montesquieu, la protection des libertés ne se fait plus dans la vertu des hommes, mais dans la vertu d’une constitution équilibrée. Au même moment, le triomphe des idées cartésiennes fait émerger le contractualisme.

La Révolution de 1789 s’inscrit dans la lignée de ces courants idéologiques. Sa volonté de régénérer la nation provoque un incroyable mouvement législatif, et les débordements que l’on connaît. La nécessité d’un organe conservateur de la Constitution se fait sentir très rapidement. Néanmoins, l’idée d’une soumission de la volonté nationale à des principes supra-constitutionnels, immuables, est contraire aux principes de l’ordre constitutionnel révolutionnaire. C’est pourquoi aucun contrôle constitutionnel n’a réussi à s’imposer au cours du XIXe siècle.

A cet égard, l’ouvrage du professeur Pichot-Bravard mérite d’être lu à plus d’un titre. Depuis près d’un siècle, un grave malentendu conceptuel a conduit à penser que la monarchie absolue était un régime tyrannique. Or le terme ne fait que renvoyer à l’indépendance temporelle du roi vis-à-vis de Rome. Le lecteur découvrira, ou redécouvrira, au fil des pages le trésor constitutionnel de la monarchie française. Il pourra s’imprégner de son esprit et de l’évolution de sa perception. Les amateurs d’histoire moderne trouveront des références intéressantes sur l’histoire politique de la France.

Au-delà de l’approche purement historique, l’ouvrage du professeur Pichot-Bravard est remarquable par ses novations en histoire du droit constitutionnel. Il rappelle que la période anté-révolutionnaire est dotée d’une constitution. Il retrace la genèse d’une volonté de conservation de l’ordre constitutionnel, qui trouve actuellement une traduction avec le Conseil Constitutionnel.

De l’histoire du droit, le lecteur est invité à descendre dans les profondeurs de la philosophie du Droit. En somme, le véritable problème de la conservation de l’ordre constitutionnel est celui de la soumission du souverain au Droit. Il ne s’agit pas du droit positif, mais bien du Droit, transcendant, immuable, indépendant du primat de la volonté nationale. Le Conseil Constitutionnel permet le respect d’un Etat de Droit. Mais cet Etat de Droit n’est qu’un Etat de droit positif. Pourvu que la procédure en vigueur soit respectée, rien n’interdit que des lois attentatoires à la dignité de l’homme ne soient votées. Le juriste contemporain est tiraillé par un paradoxe : d’une part, il souhaite la protection des droits de l’homme, dont il pressent qu’ils sont immuables ; d’autre part, il est tributaire du primat de la volonté nationale, qui est allergique à l’idée d’une norme supra-constitutionnelle.

C’est ici que se trouve l’actualité du livre du professeur Pichot-Bravard. Croyant se libérer de l’asservissement monarchique, la Révolution Française a fait de la volonté générale la norme suprême. Elle a détruit la transcendance de la loi, empêchant toutes barrières à celle-ci. Par un paradoxe destructeur, la Révolution Française a instauré la tyrannie législative en prétendant s’affranchir d’une tyrannie monarchique. C’est ce paradoxe de l’asservissement par le refus des limites que le juriste, l’historien et le philosophe sont invités à visiter. Après la Révolution, point de Constitution ?

Loriquet

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