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Nous avions oublié ce que cela pouvait être qu’un comportement respectueux de la loi et de l’autorité. Dans un pays où chaque décision fait désormais l’objet d’une contestation de plus en plus bruyante et vulgaire, souvent appuyée sur des affects qui n’ont que peu à voir avec le bien commun, il semble presque invraisemblable qu’on puisse attribuer à un jugement public une objectivité et une légitimité qui dépassent le ressenti personnel que chacun peut avoir. C’est pourquoi j’ai ressenti une surprise assez peu commune en lisant, à la fin d’un article concernant le cas des époux Shoji, vignerons japonais menacés d’expulsion dans le cadre de procédures tatillonnes comme la France sait les inventer, que les intéressés déclaraient : « Si la France ne veut pas de nous, alors nous partirons. » Pas même une tentative de plaider sa cause, de se révolter verbalement contre ce qui est, de toute évidence, une injustice invraisemblable : M. et Mme Shoji se savent étrangers sur le sol français, et savent, eux qui viennent du Japon, qu’on ne saurait contester à un pays sa légitimité à décider qui peut résider sur son sol : que ce droit de chaque pays relève de la raison d’État, et dépasse, dans sa visée qui est le bien commun, les particularités relatives à chaque individu qui demande un titre de séjour. Ils savent que la collectivité a sa légitimité propre, et qu’elle ne saurait se plier aux exigences personnelles de tout un chacun sans s’abolir dans son principe-même ; ils savent aussi qu’une collectivité est avant tout un ordre naturel, qui prend, qui a presque toujours pris, racine dans l’appartenance à un même peuple, à une même identité généalogique. Et que par-là, un Japonais ne sera jamais chez lui en France, en Catalogne, à Banyuls-sur-Mer, que s’il est accepté par la communauté installée là depuis des siècles, et qui connait ses propres besoins et ses propres capacités d’accueil. M. et Mme Shoji se sont donc, dignement, contentés de se soumettre au jugement qui devait être rendu par les autorités françaises.
Et pourtant, peut-être est-ce le sang français qui parle, avant d’être impressionné par une telle circonspection, quelle n’a pas été mon envie, comme celle de bien des gens, de crier au scandale en prenant connaissance des tenants et aboutissants de l’affaire. Quel n’a pas été notre soulagement d’apprendre à l’instant que la préfecture va délivrer un titre de séjour à ce couple de vignerons, et que l’indignation qui s’est élevée à ce sujet a permis de forcer la main à cette administration ubuesque qui s’éloigne jour après jour de la réalité vécue par le peuple de France. Si, comme l’oublient désormais trop souvent nos gouvernants, le fondement d’un peuple est nécessairement, historiquement, ethnique, il est vrai qu’un pays peut s’enorgueillir d’être suffisamment ouvert à l’universel pour accepter et assimiler en son sein des étrangers qui sont prêts à faire leurs son passé, sa culture, et ses intérêts. De cela, M. et Mme Shoji avaient amplement fait la démonstration, qui avaient étudié la viticulture dans le cadre de la loi, pour s’établir régulièrement dans un domaine obtenu en toute honnêteté, où ils se sont attachés, alors que de moins en moins de jeunes Français se sentent prêts à le faire, à mettre en valeur le patrimoine vivant de la tradition agricole et gastronomique française. Cela, jusqu’à ce silence empli d’un respect inconditionnel pour le pays qui les accueille, silence que nous n’avions pas observé dans les jungles à Calais et partout ailleurs en Europe, où des hommes arrivés illégalement par masses gigantesques sur les territoires européens se comportaient avec une agressivité et un sans-gêne terrifiants, réclamant toujours plus, insultant les autorités et même les particuliers naïfs qui venaient leur apporter de la nourriture en croyant remédier à ce qu’ils considèrent être une défaillance des états modernes.
Comment ne pas s’interroger sur l’incohérence qu’il y a à ergoter sur la faisabilité de l’expulsion d’individus dangereux, qu’ils soient des djihadistes ou tout simplement des caïds violents, pendant que la préfecture de Perpignan invoque des motifs lunaires, comme l’ont rapporté les journaux, pour refuser un titre de séjour à un couple aussi exemplaire ? Et pourtant, maintenant que cet incident se clôt d’une manière heureuse, il me semble qu’il faut rendre grâce à ce couple, qui aurait pu, sans atteindre le dixième de l’impudence que l’on observe aujourd’hui chez nombre d’immigrés, voire de leurs descendants, se rebeller, se lancer dans des déclarations médiatiques bruyantes, et s’en prendre à l’autorité de l’État. Ils auraient pu le faire, chacun en voit bien la légitimité, et ils ne l’ont pas fait. Par leur résignation choquée, ils ont rappelé une valeur qui ne peut et ne doit pas être l’apanage des cultures asiatiques : la primauté du droit du collectif, qui tend à l’objectivité, sur celui de l’individu, qui est nécessairement subjectif.
Reconnaissant spontanément la valeur de la contribution de ce couple qui s’est si admirablement intégré à elle, la communauté locale (leurs clients, des confrères vignerons, peut-être des voisins) s’est elle-même dévouée pour protéger ceux qu’elle considère désormais à raison comme les siens, contre les abus d’autorités distantes et vraisemblablement animées par des vues peu louables, en tout cas incompréhensibles. Ici, c’est le collectif qui a pris soin de l’un de ses membres, et qui, en protégeant un des individus qui le composent, a permis de rétablir un ordre juste en son sein. Pour une fois, l’autorité n’a pas cédé au tapage organisé autour de l’individualité devenue centre de l’attention moderne, elle a concédé à une communauté locale ce que celle-ci demandait pour l’un des siens mais aussi et surtout pour elle-même. L’ordre politique, dans une France qui marche beaucoup sur la tête en ces temps étranges, semble, brièvement, furtivement, avoir fonctionné comme il se doit, et rétabli un semblant de raison.
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