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Les Veilleurs et Nuit Debout : récit d’une soirée mouvementée

PROLOGUE

Mercredi 8 juin. La Veillée place de la République est prévue pour 20h30. Si les Nuit-Deboutistes encore présents sont de la même trempe que les antifas que j’ai déjà croisés ailleurs, la nuit promet d’être sportive.

Arrivée en avance, je fais un tour. Il y a peut-être deux ou trois cents personnes disséminées sur l’immense esplanade ; beaucoup autour de la colonne, qui font résonner leurs tambour ou jouent au ballon. Les installations provisoires semblent plutôt un campement de romanichels qu’un lieu culturel. On dirait que partout la laideur de la déconstruction combat la volonté d’élévation. « Musées Debout », cette idée intéressante de diffusion de l’art, fait pendre des images de chefs-d’œuvre dans des cadres dorés à des ficelles minables. Une autre exposition, qui pourrait être proprement installée même parmi ces moyens austères, est grossièrement scotchée en désordre sur une bâche.
Les regards sont soupçonneux, hostiles. Le jean-polo ne doit pas être le style vestimentaire en vigueur. C’est sans doute aussi grave que si j’avais tatoué sur mon front je ne sais quel emblème provocateur. Il faut dire que je ne dois pas avoir l’air réjoui non plus. Cela sent trop le slogan et l’utopie. On sait comment ont débuté les révolutions ; on ne sait que trop comment elles ont fini.

EXPULSION

Il est 20h30, et pas de trace des Veilleurs. Ah, mais si. De l’autre côté de la place, des glapissements s’élèvent : ils ont dû trouver un comité d’accueil.
Le temps de rejoindre le groupe, les responsables de la Veillée errent déjà, indécis, devant la terrasse d’un café à quelques mètres de la place, d’où les hurlements ininterrompus d’une femme les poursuivent toujours. Smartphone en main en guise d’enregistreur, une journaliste essaie en vain de faire dire à l’un des organisateurs ce qu’il ne pense pas.
Un petit groupe s’incruste pour épier les discussions sur le réaménagement du programme de la soirée. Tête à demi rasée, une moue narquoise aux lèvres, des vêtements à la coupe volontairement informe... La fille du groupe et ses acolytes assortis me montrent que finalement, le vêtement marque bien quelque chose : non pas une classe sociale (je suis assez convaincue que le bobo parisien moyen gagne deux ou trois fois mon salaire), mais une certaine pensée, une conception de l’être, deux esthétiques opposées du monde.
« On les garde à l’œil. Il ne faut pas s’en tenir là. » Cela promet.

QUAI DE VALMY

Finalement, Axel Rokvam étant revenu de son tour d’exploration, une décision est prise et les premiers Veilleurs (quinze ou vingt seulement à cette heure précoce) s’ébranlent vers le Canal Saint-Martin, où les Parisiens du soir prennent l’air, assis en ligne, en groupes colorés, le long des berges.
L’investissement de la passerelle qui joint les deux rives fait débat. Il s’agit d’être visibles et audibles, mais pas de nuire à la circulation des piétons. Le chef tranche : on laissera un passage au bord des marches.
20h40 : les Veilleurs s’assoient sur les degrés. 20h50 : le groupe de simili-espions refait son apparition, bière à la main, et se prend en selfie devant les Veilleurs, au pied de la passerelle. Deux photographes approchent, puis quatre, et mitraillent la petite assemblée qui grossit et se resserre. L’un d’eux, chauve, grisonnant, en blouson de cuir noir, semble particulièrement intéressé par les visages. Pris dans le champ d’un appareil qui embrasse la scène en contre-plongée depuis le haut de la passerelle, il hésite et fait semblant de prendre un nouveau cliché pour masquer son visage. Les renseignements s’intéressent-ils donc à la Veillée ? Au bout d’un quart d’heure, satisfait sans doute, il quitte les lieux.
Enfin, la Veillée commence.

NOTION DE TRAVAIL ET AUTRES RÉFLEXIONS

La première allocution, celle d’un professeur d’histoire ayant fait sa thèse sur le travail, a été rédigée par lui à l’attention de la Veillée à laquelle il ne pouvait se rendre. Le propos s’articule en six points.
1° La notion de travail ne va pas de soi. Notre idée du travail est une notion moderne née avec la révolution industrielle au XIXe siècle. Elle a ceci de particulier qu’elle est très générale et spécifiquement économique. Au contraire, dans l’Antiquité gréco-romaine, la valeur du travail reposait sur son caractère autarcique : était digne le propriétaire qui travaillait librement sur sa terre, indigne l’employé journalier dépendant d’autrui pour son salaire quotidien.
2° On dit que le christianisme a « réhabilité le travail », mais c’est faux : c’est la dépendance qu’il a réhabilitée, car il ne croit pas à l’autarcie de l’homme. Pour lui, tout homme est, spirituellement, un journalier qui touchera le salaire de ses œuvres dans l’Au-delà.
3° Tout ce qui est productif est mis sur le même plan. Déjà Tocqueville observe qu’aux États-Unis tout travail honnête est honorable, tandis qu’en Europe c’est le travail en vue du profit qui est méprisé : travail et gain y sont disjoints, contrairement à ce qui se fait dans les sociétés démocratiques.
4° Le monde moderne est une société de travailleurs. C’est l’idée émise par Hannah Arendt dans la Condition de l’homme moderne. En conséquence, dit-elle, l’homme est réduit à sa valeur économique, et sa valeur spirituelle décline. Le chômage est alors une désintégration, et les tâches familiales sont dévalorisées.
5° Il se produit aujourd’hui une « überisation » du travail. La notion de métier est en train d’exploser, et avec elle la notion de compétence. Exemple typique : l’audit, par lequel des jeunes gens qui ne sont spécialistes de rien donnent des leçons à des travailleurs chevronnés. On aboutit à une situation absurde, dans laquelle de moins en moins de gens rament pour faire avancer le navire commun, tandis que ceux qui leur disent comment ramer sont de plus en plus nombreux.
6° Il y a un problème structurel : on voudrait nous faire croire que le capitalisme est inévitable. A ce sujet, il serait bon de relire Rerum novarum et Laudato si.

Après ces réflexions, « Charles » apprend aux Veilleurs le Canon de la Paix que beaucoup ne connaissent pas encore. C’est un peu laborieux, un peu ridicule du coup, mais bon enfant. Les regards des Parisiens assis sur les berges convergent soudain et ils écoutent.

Puis vient la fable bien connue du Laboureur de La Fontaine.

PREMIÈRE AGRESSION

La Veillée suit son cours normal. Axel Rokvam reprend la parole : il est 21h25.
L’objectif était de veiller place de la République, mais les Veilleurs en ont été empêchés par les circonstances. Il espère donc que ces individus retrouvent la raison et considèrent cette place pour ce qu’elle est, c’est-à-dire la place de la chose publique. Afin d’y parvenir, il demande que deux Veilleurs volontaires se rendent place de la République pour parlementer avec Nuit Debout.
Tandis qu’il parle, une Veilleuse fait doucement « non » de la tête. Pas le temps pour un éventuel volontaire de risquer sur la place son intégrité physique : « Moi, j’ai une proposition à vous faire : c’est cassez-vous parce que ça va mal se passer ! » L’homme hurle, debout sur les marches à mi-hauteur de la passerelle. Les vociférations éclatent, criées en désordre depuis le quai par les Nuit-Deboutistes rassemblés : « Eh ! les fachos ! Dehors les fachos ! » , « Fachos hors de nos vies ! »
Pour maintenir la paix et la cohésion des Veilleurs assis Charles relance le Canon qui bientôt s’arrête sous les hurlements hystériques. Axel Rokvam appelle calmement les hommes à descendre vers l’avant du groupe, qui subit déjà la pression des assaillants, tandis que l’homme en noir joue son psychodrame à plein poumons : « Homophobes ! Vous êtes des homophobes ! Moi, je suis trans ! J’ai des seins ! » Après quoi il entreprend de se déshabiller pour exhiber le bandage noir qui couvre son torse plat. Tandis que les hommes se fraient un passage pour descendre, les glapissements repartent de plus belle : « Il m’a touché ! J’ai des seins ! C’est une agression sexuelle ! » C’en est trop : les Veilleurs éclatent de rire.
L’individu cherche la confrontation avec ceux qu’il croise en redescendant sur le quai.

De là où je suis, on ne voit rien. On sent la tension, on entend les cris, mais guère plus. Les orateurs débout sont pressés et poussés par une foule indistincte.
Je m’extrais du groupe pour composer le 17 et monte au sommet de la passerelle encore presque désert.
Soudain, cédant à la pression croissante, les Veilleurs se lèvent et commencent à monter les marches.
« Vous avez demandé police secours, ne quittez pas... Vous avez demandé police secours, ne quittez pas... » Je pense aux publicités de l’ARPAC.

Une clameur éclate de l’autre côté du canal. Je me retourne : trois Veilleurs se jettent sur un homme en veste noire, ivre de rage, pour le maîtriser, tandis qu’un homme en polo beige s’éloigne, le nez en sang, abreuvant d’insultes et de menaces de mort le chef des Veilleurs qu’il vient d’agresser.
Dans cette cacophonie d’’invectives variées, les Veilleurs s’égaillent sur la rive du canal qu’ils ont enfin traversé, harcelés par la quarantaine de Nuit-Deboutistes qui les y a suivi. Hors d’eux, le visage déformé par la hargne, des hommes en tenue sombre, certains armés de bâtons, les menacent, les chassent devant eux. Trois ou quatre partent à fond de train et coursent des Veilleurs le long du canal. Et la police, qui a enfin répondu, n’arrive pas...

Dissoute, la Veillée se recoagule plus loin. Les groupes se reforment et se suivent en marchant au hasard. Une sirène stridente : le SAMU, toujours pas de police.

RUE DE LA FONTAINE AU ROI

Le groupe à peu près reformé établit ses quartiers sur l’espèce de parvis où le Franprix vendait ses fleurs après le 13 novembre, juste à côté du café de la Bonne Bière touché par les attentats. Il est presque 21h45.
On hésite un peu devant le parterre de déjections de pigeons, mais on s’assoit finalement en rangs, hommes et femmes alternés, à la demande du chef qui veut profiter de l’occasion pour retrouver la forme traditionnelle des Veillées. Il reprend la parole et apaise les esprits ; parle de la société du don, de la paix qui est perdue parce que ce don manque aujourd’hui. « Nous sommes tous responsables de tout et de tous » (Dostoïevski)
« Ah ! un groupe nous rejoint ! » _ « Les survivants ! » lui répond un homme en plaisantant.
Axel Rokvam continue. Il fustige le confort bourgeois qui nous rend indifférent à la souffrance d’autrui, qui s’exprime aussi par la haine. « Pardon, un petit coup de véhémence, ça soulage ! » (rires) « Ah, encore un petit groupe de survivants... »
La Veillée reprend enfin...

DIGNITÉ, MERITE ET PROPRIÉTÉ

Pourquoi organiser une Veillée sur le thème du travail ? Parce qu’il existe des violences économiques dans la société qui détruisent la vie et la dignité des gens. C’est une sorte de métaphysique inversée : en haut, les minéraux (diamants, or, etc.) ; ensuite, les animaux ; et en bas seulement, les êtres humains, sur lesquels on a le droit de pratiquer des expérimentations. Mais l’homme est intouchable ! Les minéraux n’ont pas de valeur ! Trop de gens font l’inverse.
L’orateur s’arrête. Tandis qu’il parlait, des Veilleurs sont revenus au compte-goutte. En aparté, il s’’inquiète de ne pas voir arriver Charles : pris en chasse sur les quais par des Nuit-Deboutistes, il est parti et ne reviendra pas.

Une jeune femme s’’avance avec sa guitare et entonne « Petit Cheminot » de sa jolie voix : un Petit Cheminot enrichi de nombreux couplets qui détend joyeusement les Veilleurs. Des passants s’arrêtent et sourient. La tension s’évacue paisiblement.

Il est 22h et voici Nietzsche. On peut résumer la citation ainsi : il y a dans la glorification du travail la même arrière-pensée que dans la glorification des actes concourant au bien général, à savoir une crainte de l’individualité.

Dans le calme de la nuit, « Thibaut », philosophe, aborde la culture du mérite. Debout face aux Veilleurs, il dénonce l’idée d’un mérite attaché au seul travail d’une personne. En effet, dès sa naissance, tout le monde a tout reçu d’autrui ; c’est pourquoi on ne peut dire qu’il a tout accompli par ses seuls efforts. D’ailleurs, ceux qui sont réellement méritants se contentent d’une reconnaissance sociale, parce qu’ils savent qu’ils n’ont fait que leur devoir.
Par conséquent, en ce qui concerne le droit de propriété, la jouissance de la propriété n’est pas contradictoire avec la propriété publique, commune, d’un bien. Il existe aussi une jouissance de ne pas posséder : l’amour.
En ce qui concerne la propriété de son corps, en république, on ne fait pas ce qu’on veut, ni de soi ni des autres. On doit défendre le travailleur contre lui-même quand il accepte la marchandisation de son corps. C’est l’argument traditionnel des marchands d’esclaves de dire que l’homme est libre de se vendre. On n’a pas le droit de se vendre, et pas le droit de laisser les autres se vendre.
L’orateur fait référence à Jean-Claude Michéa. Les questions sociétales et sociales sont liées. Le consentement entre adultes ne suffit pas : on doit protéger les personnes contre elles-mêmes quand leur consentement est sujet à caution, car il y a un bien et il y a un mal objectifs.
La loi n’a pas tous les droits. On ne peut pas considérer l’homme comme un simple animal. L’orateur s’appuie sur l’article 5 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » On ne peut pas accepter un système économique où quelques centaines de personnes peuvent priver des nécessités de l’existence des milliards d’autres. En conclusion, il faut refuser une société fondée sur l’économie pour pouvoir retrouver une société politique.

SECONDE AGRESSION

Je me retourne. Assise au premier rang, j’ai du mal à évaluer le nombre des Veilleurs. Je dirais que nous sommes quatre-vingt, peut-être plus. Les organisateurs ont demandé un peu plus tôt aux Veilleurs d’inviter leurs amis à rejoindre la Veillée en leur indiquant son nouveau lieu.
Vient une sympathique reprise de « Je ne veux pas travailler » par une jeune femme.

« Plaf ! » Un oeuf éclate sur le sol à côté de moi. Une rafale d’oeufs s’abat sur les Veilleurs paisibles. « C’était la Commune ici ! On vous a crâmés ! » Les hurlements déchirent l’air avec les aboiements furieux des chiens. « Pas de quartier pour les fachos ! Pas de fachos dans nos quartiers ! » La horde a surgi de nulle part et, après un moment de flottement, écrase d’un seul coup la Veillée de sa clameur énorme. Vus depuis le sol, ils sont indénombrables. L’homme au polo beige, encore lui, mène sa meute. Tenues noires, barres de fer, bandanas sur les visages. Immédiatement, les organisateurs de la Veillée sont assaillis. Les hommes qui se sont levés et placés en protection devant la Veillée encaissent la poussée et parent les coups. « Vous avez demandé police secours, ne quittez pas... Vous avez demandé police secours, ne quittez pas... »
Axel Rokvam est particulièrement visé. Son épouse Alix le rejoint et tous deux, main dans la main, s’efforcent de garder la maîtrise de la Veillée en soutenant le chant de l’Espérance qui lutte contre les cris et les sifflets.
Instinctivement, nous nous sommes soudés les uns aux autres, assis serrés et crochés par les coudes pour tenir le terrain. Les antifas claquent des mains au-dessus de leur tête, sifflent, crient, poussent, cognent. L’Espérance, chantée à pleins poumons, se limite bientôt à un refrain repris sans interruption, dans l’impossibilité d’entendre aucune parole, tandis que des remous violents remontent de l’arrière de la Veillée où l’on se bat. Des Nuit-Deboutistes tentent d’arracher des Veilleurs aux rangs serrés toujours assis.
« Retournez dans le XVIe ! » Ce serait sûrement très sympa, mais mon arrondissement à deux chiffres est plutôt réputé pour sa population étrangère, sa mafia et ses barres soviétoïdes qui s’étalent sous mes fenêtres. « Siamo tutti antifascisti ! » Les antifas ont appris une nouvelle langue étrangère mais ne savent toujours pas varier les slogans.
Toujours liée à mes voisins du premier rang, je crochète le pied de l’une des trois furies qui s’attaquent de concert à un organisateur. Furieuse, elle se retourne et lance une volée de coups de pied que je pare sans difficulté.
Axel Rokvam, toujours devant, crie : « OK ! OK ! On va s’en aller ! » Il tente de se faire entendre des Nuit-Deboutistes qui s’enivrent de leur propre colère, mais peine perdue. Les hurlements et les sifflets redoublent. A son signal, les Veilleurs se lèvent et se séparent. Les antifas masqués le suivent à la trace en scandant : « Alerta ! Alerta antifascista ! »
Un groupe de Nuit-Deboutistes a réussi à coincer un Veilleur et le contraint à effacer la vidéo qu’il vient de filmer. On part sans savoir ce qu’il est advenu de la sono ni du logisticien assailli.

LA VEILLÉE CONTINUE

Il est 22h30. L’attaque a duré presque dix-sept minutes, et continue peut-être encore. Parvenu avenue de la République, le groupe disloqué des Veilleurs tente de se reformer. Ceux qui sont là appellent les absents par téléphone. Des antifas qui suivent de loin décroche lorsque paraît une petite voiture de police dont le conducteur semble seul.
Les organisateurs hésitent sur le lieu où déplacer la Veillée pour continuer. Des ordres sont donnés : déplacement en ordre compact, rapide, furtif pour des raisons de sécurité. Un journaliste appelle Axel Rokvam par téléphone et obtient le lieu de destination en échange de la promesse de son silence. On gagne la bouche de métro la plus proche. Des tickets sont récoltés et distribués à ceux qui n’en ont pas. Direction l’Assemblée Nationale.
Quatre hommes montent à la première station : je reconnais l’un des photographes. Une jeune femme montre son téléphone brisé par les Nuit-Deboutistes pour l’empêcher de filmer. On souffle en silence dans les wagons.

La Veillée reprend tranquillement son cours sur le quai de la station Strasbourg-Saint-Denis en attendant le métro. C’est maintenant l’histoire de la place de la République et de son rapport avec les réformes sociales. Des usagers tendent l’oreille.
« Pour conclure sur l’histoire de la place de la République, on n’a pas encore trouvé le moyen de faire de la politique de manière paisible. » (rires) La rame entre en gare...

La station familière des Invalides nous accueille. Nous traversons l’esplanade de tant de manifestations, remontons la rue de l’Université dans la nuit silencieuse. Nous arrivons derrière l’Assemblée. Tout est calme.
Là, entre la guérite abandonnée et le poste de garde, assis contre le mur d’enceinte, la dernière partie de la veillée va pouvoir commencer. Il est 23h15.

À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Axel Rokvam prend la parole. « L’espérance est un combat, c’est un désespoir surmonté. » (Bernanos)
Des gardes paraissent dans l’encadrement de la porte. « Vous n’allez pas pouvoir rester ici. » Rokvam s’arrête et leur répond du tac au tac qu’en toute bienveillance, les Veilleurs resteront là jusqu’à ce que la police se décide à protéger les Veilleurs de la chasse à l’homme qui veut les massacrer ; qu’ils n’ont qu’à se renseigner auprès de la Préfecture de Police qui est largement au courant, et qu’au moins si les Veilleurs sont encore agressés, ce sera sous les yeux de la République qui ne pourra pas faire semblant de ne pas être au courant.

Je compte une cinquantaine de personnes. « Nous sommes ici au cœur de la nouvelle résistance française. » Axel Rokvam propose de discuter quelques minutes pour se détendre mais déjà, Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC, entame son discours. Le chef des Veilleurs a déjà rejoint les gardes et parlemente.
« Vous savez, quand les bourgeois s’accaparent quelque chose, ils ont du mal à le partager. Aujourd’hui est l’anniversaire de la publication de 1984 de George Orwell. Nous avons vu l’action de la police de la pensée. »
Il parle de Jean-Jacques Rousseau, de Le Chapelier qui a décrété la liberté du travail avec pour conséquence immédiate le pouvoir du plus fort sur le plus faible, car celui qui a besoin d’un travail pour faire vivre les siens est obligé de tout accepter. Marx est cité.
La course au matérialisme qui réduit le travail à une fonction productive s’accélère. Pourtant, il est nécessaire d’avoir des jours de repos, en famille, de souffler. Ce repos augmente aussi la productivité. Il a écrit cela au directeur de l’INSEE suite à la publication d’une étude sur la perte de PIB occasionnée par les ponts de mai, en lui demandant pourquoi on n’évaluait pas aussi le gain de productivité obtenu grâce à ces jours chômés. Le directeur lui a aimablement répondu qu’on ne parlait pas de ce gain de productivité parce qu’on n’était pas capable de le mesurer.

Les Corons, dont on reprend le refrain en chœur, rappellent un peu l’arrivée de la Région Nord au pèlerinage de Chartres. Des badauds passent en souriant. L’air patibulaire, en gilet pare-balle, trois ou gardes sont restés dans l’encadrement de la porte. L’un d’eux porte son fusil bien visible, en position patrouille haute.

La police appelée par les gardes arrive. Ils sont une dizaine et leur chef nous demande de quitter les abords de l’Assemblée pour nous établir en face sur la petite place. Le chef négocie un quart d’heure de plus : c’est promis, à minuit, la Veillée terminée, nous nous lèverons et irons discuter de l’autre côté de la route. Marché conclu.
La journaliste au smartphone a refait son apparition. De l’autre côté de la guérite vide, elle interviewe un pilier des Sentinelles qui a suivi la Veillée depuis le quai de Valmy.

La Veillée se termine sur une citation magnifique de Saint-Exupéry. Rendez-vous le 24 juin pour la Veillée nationale. Axel Rokvam plaisante : « Venez sécurisés, sans argent, sans téléphone... » On rit.

ÉPILOGUE

Certains y ont perdu leurs lunettes, leur téléphone. Une femme qui appelait police secours s’est entendu répondre : « Ce n’est pas notre problème ! » Un homme immobilisé par les antifas a pris deux coups à la mâchoire.

On sait enfin ce qu’est devenu le logisticien. Les époux Rokvam quittent rapidement la Veillée pour le rejoindre à l’hôpital Saint-Antoine où il se fait recoudre après avoir reçu un coup à la tête.

Certains ont vu des poings américains, des barres de fer, des Nuit-Deboutistes qui fouillaient les poubelles du quai de Valmy à la recherche d’armes improvisées et de projectiles.
Pour ma part, je suis convaincue que le peu de dommages subis tient avant tout au calme et à la maîtrise des organisateurs.

Le lendemain, j’appelle Axel Rokvam pour l’interroger : vous pouvez retrouver ici cet entretien où il revient sur les événements de la soirée et sur l’esprit de Nuit Debout.

Guillemette Pâris

Illustration : image TV Libertés

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