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Sermon de l’abbé Iborra pour la solennité de saint Eugène

Sermon prononcée par l’abbé Iborra en l’église Saint-Eugène le dimanche 17 novembre 2013, solennité de Saint Eugène (forme extraordinaire de l’unique rit romain).

À Tolède cet été ou à Rome cet automne, vous avez été quelques uns à anticiper les festivités qui nous rassemblent cette semaine autour des saints patrons de notre paroisse. Autour des reliques de la riche héritière de la gens des Cecilii qui aida de ses biens le pape S. Calixte au début du 3e siècle et dont une Passion du 6e siècle fait une jeune martyre dont la constance convertit son fiancé alors qu’elle chantait les louanges du Seigneur. C’était il y a quelques semaines lors d’un pèlerinage dans la belle basilique éponyme du Trastevere, confiée à la prière vigilante des moniales bénédictines. Autour des reliques du martyr de Deuil-la-Barre, qu’évoque l’éditorial de la feuille paroissiale, et dont la légende fit un disciple de S. Denis, premier évêque de Paris, envoyé évangéliser la Castille et fonder le siège épiscopal de Tolède, avant de connaître ensuite le martyre non loin de Paris au 3e siècle . C’était il y a quelques mois déjà, en août dernier, en la cathédrale de Tolède qui s’honore d’une chapelle à lui dédiée tandis que dans le cloître attenant se déploie en fresques du 18e siècle sa légende, jusqu’au transfert en Espagne sous le règne de Philippe II des reliques du martyr de Deuil-la-Barre jusque là conservées pour l’essentiel en l’abbaye royale de Saint-Denis. Il n’est pas impossible que les reliques de l’obscur martyr oriental qui périt au 6e siècle en Gaule reposent désormais aux côtés de celles de l’évêque du même nom qui fonda effectivement le siège de Tolède et ce dans le splendide reliquaire d’argent conservé dans la magnifique sacristie de l’auguste primatiale de toutes les Espagnes... Il est vrai qu’Eugène était un nom pour ainsi dire commun à l’aube du christianisme et que la confusion était possible, voire tentante. Si nous considérons leur dies natalis, nul doute qu’ils portent encore mieux leur nom : « bien nés », ils le furent en effet par ce martyre qui marqua leur naissance au ciel !

Qu’est-ce que S. Eugène et S. Cécile peuvent bien nous enseigner aujourd’hui ? Tout d’abord, observons qu’il s’agit d’un patronage double. Nous rappelant ainsi que l’Église est une communauté. Que si le Christ en est la pierre de fondation, elle repose sur douze colonnes qui sont les douze apôtres, et s’enracine, en amont si l’on peut dire, dans la communauté d’amour de la Sainte Trinité. C’est toujours ensemble que nous vivons notre relation à Dieu, un Dieu qui est lui-même communion. Nous ne pouvons devenir chrétien sans être engendré par un autre que soi. A travers, celui qui, par le sacrement, nous baptise ; à travers celui qui, par la prédication, nous évangélise. C’est ce qu’avait découvert S. Augustin : au chercheur solitaire de la vérité s’est substitué le pasteur serviteur d’une communauté.

Ce double patronage est ensuite un résumé d’humanité : un homme et une femme, c’est-à-dire la plénitude de l’image de Dieu dans le créé telle que nous l’enseigne l’anthropologie chrétienne fondée sur le livre de la Genèse. Souvenons-nous qu’il y a un an jour pour jour nous étions des centaines de milliers à travers toute la France à manifester pour rappeler cette évidence à des sourds et à des aveugles que le Seigneur n’a pas encore fait le miracle de guérir. Peut-être bien parce qu’il s’agit d’une surdité et d’une cécité volontaires...

Un homme et une femme ensuite qui sont aussi un évêque – c’est ainsi qu’il est représenté dans notre église – et une laïque. Autrement dit, à la différentiation sexuelle s’ajoute la différentiation qui structure l’Église – prêtres-laïcs – et qui donne son sens ultime à la première : l’évêque tient la place du Christ, l’Époux de l’Église, quand il célèbre les mystères sacrés pour sa communauté. C’est d’ailleurs pourquoi il porte un anneau au doigt. Quant à la laïque, elle représente l’Épouse du Christ, l’Église. L’anthropologie de la Genèse trouve ainsi son aboutissement dans le commentaire qu’en fait S. Paul dans son épître aux Éphésiens, aboutissement que célèbrent les mystiques quand ils conçoivent leur vocation baptismale comme une existence nuptiale avec le Seigneur.

La seconde chose que nous enseignent S. Eugène et S. Cécile, c’est ceci : l’antiquité de leur existence nous rappelle que nous sommes enracinés dans l’histoire, et dans une histoire qui n’est pas déterminée par l’effacement des siècles, certains étant censés compter moins que d’autres.

Une histoire d’abord. De même que nous sommes donnés à nous-mêmes par l’amour prévenant de Dieu et de nos parents, de même nous nous recevons spirituellement de la Tradition. C’est elle qui nous enseigne les paroles, les gestes et les attitudes qui nous ouvrent à la prière et qui façonnent notre agir. Avant d’être des créateurs, nous sommes des héritiers. Déjà, au 11e siècle, S. Fulbert, évêque de Chartres, disait que si nous pouvons voir plus loin que nos ancêtres, ce n’est pas parce que nous sommes plus malins qu’eux, mais parce que nous sommes « des nains juchés sur les épaules de géants ». Ces géants qui nous permettent de voir les choses qui importent vraiment, au-delà du voile des réussites technologiques de notre société moderne, ce sont les saints. Tous ces saints que nous avons fêtés collectivement et anonymement le 1er novembre, tous ces saints dont les noms, parfois étranges, surtout dans la forme extraordinaire – clin d’œil au Raspail du Camp des Saints – jalonnent l’année liturgique. Ce sont eux qui donnent à notre histoire sa physionomie particulière, ce sont eux qui rendent actuels des temps autrement oubliés. Le calendrier liturgique a en effet ceci de merveilleux qu’il fait se côtoyer sous nos yeux, et dans une joyeuse incohérence, des gens de toutes les époques et de tous les lieux où la prédication évangélique a retenti : des hommes et des femmes, des riches et des pauvres, des moines et des laïcs, des rois et des gens simples. Pour nous en tenir à la France, c’était l’an dernier S. Jeanne d’Arc, une pauvre bergère, et l’an prochain S. Louis, le roi tout-puissant. Bref, encore une fois, c’est l’universalité des temps et l’universalité des lieux caractérisant l’Église que tous ces saints nous signifient. Cette foule si bigarrée de témoins nous invite à mettre nos pas dans les leurs. Eux, qui ont reçu, nous ont aussi transmis. A nous de ne cesser de nous ouvrir aux richesses spirituelles qu’ils nous offrent pour les recevoir et les transmettre à notre tour, pour que la Bonne Nouvelle continue de retentir sous nos cieux, pour qu’elle signifie aux jeunes générations, parfois si éloignées de nous par la culture et par les origines, autre chose qu’une simple plaque dans la station de métro d’à-côté.

Enfin l’un et l’autre, Eugène et Cécile, se célèbrent en rouge, la couleur du sang. Cela nous rappelle qu’être chrétien ne va pas plus de soi au 21e siècle qu’au 3e ou qu’au 6e. Des chrétiens meurent encore pour leur foi à quelques heures d’avion d’ici, en Syrie par exemple, comme nous nous en sommes faits l’écho il y a quelques jours à l’occasion d’une initiative pour soulager leur épreuve. Et en Europe même, combien de chrétiens ne souffrent-ils pas du climat délétère qu’entretiennent ceux qui poussent notre nation à une apostasie toujours plus complète. Climat où une sourde hostilité le dispute désormais à l’indifférence issue du matérialisme pratique qui caractérise déjà la grande majorité de nos concitoyens.

C’est ainsi que nous-mêmes devons être prêts à rendre témoignage de l’espérance qui est en nous, en toute circonstance, même lorsque cela peut nous coûter. Je disais l’an dernier que pour les plus jeunes, cela se limitait souvent à se lever le dimanche matin et j’ajoutais : peut-être un jour cela nous engagera davantage. Ce jour est arrivé où nombre d’entre eux ont connu des interpellations musclées et des geôles sordides pour avoir défendu non pas même le spécifique chrétien mais juste la loi naturelle, censée être commune à tous. S. Eugène et S. Cécile, par leur exemple, par l’exemple de leurs contemporains qui ont mis par écrit leur histoire ou leur légende, nous apprennent qu’être chrétiens, c’est suivre le Christ, c’est être plongés dans sa mort pour ressusciter avec lui. Les eaux rouges du lac Marchais où fut plongé notre saint patron sont à cet égard un symbole. L’un et l’autre nous appellent donc à la conversion. Et ils nous font entrevoir que sans la grâce de Celui qui peut tout en nous, nous, nous ne pouvons pas grand-chose. Lui, l’évêque aujourd’hui vénéré à Tolède, et elle, la patricienne qui repose à Rome, nous invitent à vivre intensément de notre baptême en cette France qui plus que jamais a besoin de notre témoignage.

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