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Sermon de l’abbé Iborra : fête de sainte Jeanne d’Arc (2014)

Si la liturgie nous invite aujourd’hui à tourner notre regard vers Jeanne d’Arc, c’est grâce à M. Deschanel, l’inénarrable président de la République qui, au lendemain de la canonisation proclamée par Benoît XV en 1920, fixa au 2e dimanche de mai la fête nationale de celle que tant de catholiques appelèrent la « Sainte de la patrie ».

Nous tournerons aujourd’hui d’autant plus facilement notre regard vers S. Jeanne d’Arc qu’à l’occasion du 6e centenaire de sa naissance nous avons transféré sa statue du fond de l’église au lieu qu’elle occupait à l’origine, dans le déambulatoire côté épître. Et nous rencontrerons alors le regard de celle qui, l’an dernier, lui a élégamment cédé la place en se positionnant en face, côté évangile, S. Thérèse de l’Enfant-Jésus. Ce vis-à-vis des deux jeunes patronnes secondaires de la France n’est pas sans signification. Si Jeanne lève les yeux vers le ciel, notre Thérèse, elle, contemple avec douceur celle qui l’a précédée sur les voies de la sainteté. La figure de Jeanne l’a saisie dès son enfance pour ne plus cesser de l’accompagner, et ce jusqu’à sa mort. Thérèse consacrera des poèmes et des prières à Jeanne qui à son époque – notons-le bien – n’était pas même béatifiée. Elle lui consacrera même deux pièces de théâtre. C’est que Thérèse qui, malgré sa petitesse voulait devenir par grâce une grande sainte, se reconnaissait en Jeanne. En brossant dans un cantique le portrait de Jeanne n’est-ce pas le sien qui se donne à voir ? « Jeanne, Seigneur, est ton œuvre splendide, / un cœur de feu, une âme de guerrier, / tu les donnas à la vierge timide / que tu voulais couronner de laurier ». À l’abbé Bellière, en 1897, l’année de sa mort, elle confie dans une lettre : « Lorsque je commençais d’apprendre l’histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d’Arc me ravissait. Je sentais en mon cœur le désir et le courage de l’imiter. Il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses ». Mais Thérèse, qui fut dès sa prime adolescence attirée par le cloître, savait bien que sa mission différait de celle de Jeanne. Elle continue : « Je ne me trompais pas, mais au lieu de voix du ciel m’invitant au combat, j’entendis, au fond de mon âme, une voix plus douce, plus forte encore, celle de l’Époux des Vierges qui m’appelait à d’autres exploits, à des conquêtes plus glorieuses et dans la solitude du Carmel, j’ai compris que ma mission n’était pas de faire couronner un roi mortel, mais de faire aimer le Roi du ciel, de lui soumettre le royaume des cœurs ». En un mot Thérèse actualisait la figure spirituelle de Jeanne : du service de Charles VII à celui du Christ, de la soumission du royaume des lys à celui du royaume des cœurs. Thérèse nous invite aujourd’hui à faire de même, à imiter sinon extérieurement du moins intérieurement celle que la « plus grande sainte des temps modernes », aux dires de S. Pie X, tenait pour la plus grande sainte du Moyen Âge.

Même si la mission terrestre de Jeanne demeure toujours d’actualité – car le royaume des lys est aujourd’hui comme hier en grand péril : péril de perdre sa souveraineté politique par la mondialisation et l’impérialisme de la finance apatride, péril surtout de perdre son unité culturelle et religieuse sous les coups du relativisme éthique et de l’islamisme militant –, sa mission céleste, que rend visible Thérèse, l’est peut-être davantage encore. A maux nouveaux, armes nouvelles. S’adressant au Christ, Thérèse déclare : « Mon glaive à moi, c’est l’amour. Avec lui je chasserai l’étranger du Royaume ; je vous ferai sacrer Roi des âmes ». Il n’y a pas d’opposition entre la mission de Jeanne et celle de sa cadette : l’une et l’autre mènent avec le même courage, la même constance, le même sens du sacrifice, le combat pour l’honneur et la gloire de Dieu, et par redondance pour la paix et la justice dans la patrie terrestre. N’oublions pas que si Jeanne lutta contre les Anglais, ce fut sans haine et avec un certain dégoût, celui de n’avoir pu gagner le roi d’Angleterre en ce 15e siècle commençant à son grand dessein qui consistait à unir les forces de la chrétienté pour reprendre à nouveaux frais l’œuvre alors ô combien nécessaire de la croisade contre les Ottomans qui s’apprêtaient à faire tomber Constantinople et à se répandre pour des siècles en Europe centrale et balkanique.

La mission de Jeanne n’est jamais finie, celle de Thérèse pas davantage. La France, l’Église, les patries ont toujours besoin d’être protégées, d’être libérées des dangers qui menacent leur existence et leur foi. C’est pourquoi afin de compléter l’œuvre de restauration nationale et chrétienne entreprise autrefois avec succès par Jeanne, l’Église a associé à notre époque la figure de Thérèse. Dans notre société matérialiste, relativiste, hédoniste, on a exclu Dieu et sa charité. Et de ce fait on a laissé une place plus grande au « prince de ce monde », « menteur et homicide dès l’origine ». Division et violence règnent comme autrefois, mais à l’intérieur des cœurs, sous une forme plus sournoise, en prenant l’apparence de la liberté. Thérèse, qui avait si vivement ressenti dans sa nuit de la foi la morsure de l’athéisme moderne en passe de déchristianiser la société de son temps et de la conduire à l’apostasie, appelait de ses vœux le retour de Jeanne. Elle l’écrit dans un cantique : « Jeanne, c’est toi notre unique espérance. / Du haut des cieux, daigne entendre nos voix, / descends vers nous, viens convertir la France, / viens la sauver une seconde fois ». D’une certaine manière, elle a été exaucée, car la Jeanne des temps modernes, c’est un peu elle. Elle que nous pouvons imiter, nous, pour actualiser la mission de Jeanne. S’il est peut-être aujourd’hui moins utile de revêtir une armure de fer, il est certainement plus nécessaire de brandir le glaive de la foi et de dégainer l’épée de la merci, glaive et épée qui furent aussi ceux de Jeanne, glaive et épée qui font d’elle une figure qui franchit les frontières, jusqu’à passer le Channel puisqu’on trouve une chapelle qui lui est consacrée dans la cathédrale catholique de Westminster à Londres… Jeanne, disait Malraux, « qui as donné au monde la seule figure de victoire qui soit figure de pitié ».

Thérèse a peut-être encore été exaucée de nos jours, en notre pays, avec ces sentinelles qui se sont dressées silencieusement et pacifiquement devant ces lieux de pouvoir où l’arrogance le dispute à l’incompétence, où l’ennemi de toujours, paré des oripeaux de la modernité, attise haine et division dans un peuple trop enclin à y succomber. « Refusant la société matérialiste et prométhéenne, écrit une philosophe contemporaine, [ces veilleurs] souhaiteraient lui trouver une âme, et au moins faire en sorte que ce qui subsiste d’âme ne s’éteigne pas. Ce qu’ils veillent, c’est la petite lueur de prudence, de pudeur, de décence, d’espérance, dans une société pathétique de mensonges, de snobismes, de toute-puissance et de consommation ». Oui, Jeanne n’es-tu pas invisiblement présente à la résistance que mènent aujourd’hui ces veilleurs, Jeanne « sans sépulcre et sans portrait, toi qui savais – comme disait encore Malraux – que le tombeau des héros est le cœur des vivants ». Oui, Jeanne, veille avec nous, aide ainsi à reforger dans l’âme des Français d’aujourd’hui l’antique épée de Charlemagne que tu redécouvris aux commencements de ta chevauchée victorieuse. Oui, Jeanne, sois auprès de ces Français qui veillent à l’instar de ces Polonais qui pendant une neuvaine d’années préparèrent avec le succès que l’on sait le millénaire de la conversion de leur nation. Que nous aussi, avec Thérèse et Jeanne, à l’instar des Polonais d’alors, nous puissions dire à celle qui est notre patronne principale : « ô Marie, Reine de la France, je suis avec vous, je me souviens, je veille »...

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